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Le nombre d’enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH est «significatif», révèle une scientifique

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Entrevue exclusive avec Sabine Lee de l’Université de Birmingham en Grande-Bretagne. Elle vient de publier avec la chercheuse Susan Barthels une étude sur les enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH en Haïti

Dans un éditorial acide publié le 23 décembre dernier, le New York Times s’est penché sur « l’héritage terni des Nations Unies en Haïti ». L’examen critique prend place après la publication, une semaine avant, d’une étude largement reprise par la presse mondiale sur les centaines d’enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH en Haïti, après 13 ans de mission dans le pays.

Parmi toutes les missions onusiennes controversées jusqu’à date, celle d’Haïti « vient en tête avec le plus de scandales », écrivent les éditorialistes du journal américain de référence. En support au réquisitoire, ils évoquent l’introduction du choléra dans le pays avec ses 10 000 morts et environ 1 million d’infectés. Mais aussi les multiples scandales d’abus sexuels, dont celui concernant plus de 100 Casques bleus sri lankais qui dirigeaient un réseau sexuel qui exploitait neuf enfants haïtiens entre 2004 et 2007.

Lisez également : L’ONU refuse d’assister les enfants abandonnés par les soldats de la MINUSTAH

Aucune information empirique, solide, n’était cependant disponible sur les enfants engendrées de relations avec le personnel de l’ONU dans le pays et leur abandon subséquents par leur père et l’organisation mondiale qui pourtant a pour mission de défendre les droits de l’homme. L’étude intitulée : « Ils vous mettent quelques pièces de monnaie dans la main et vous laissent avec un bébé – 265 histoires d’enfants haïtiens abandonnés par leurs pères soldats de l’ONU » tente de combler ce vide. Elle est menée par les chercheurs Sabine Lee de l’Université de Birmingham en Grande-Bretagne et Susan Barthels de l’Université d’Ontario.

Pour comprendre les ressorts de cette enquête scientifique, Ayibopost a pris contact avec Sabine Lee. Ses réponses ont été traduites de l’anglais au français.


Qu’est-ce qui vous a amené, vous et votre collègue Susan Bartels, à étudier les enfants abandonnés par les soldats de l’ONU en Haïti ?

Le projet est né d’un travail à long terme sur les enfants nés de la guerre (enfants engendrés par des soldats étrangers et nés de mères locales). Les enfants nés de soldats de la paix sont un cas particulier d’études adjacentes.

Un intérêt supplémentaire a été l’exploitation sexuelle, les abus et la violence liés aux conflits et les conséquences pour la santé publique qui en découlent.

En tant que chercheur, pourquoi pensez-vous qu’il est important de partager ces histoires ? Qu’espérez-vous accomplir avec cette recherche ?

La recherche fournit la base factuelle sur laquelle les politiques et les programmes devraient être fondés. Avant notre projet, il y avait peu de preuves empiriques concernant les enfants nés de gardiens de la paix. Ni les enfants eux-mêmes ni leurs mères n’avaient une voix forte. Nous espérions mettre en avant les voix des mères, des enfants et des communautés locales qui accueillent l’ONU.

Il est important de partager les histoires pour informer la programmation et les politiques.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas estimer le nombre d’enfants abandonnés par les soldats des Nations Unies en Haïti ?

La recherche n’était pas axée sur les chiffres ou les estimations, mais sur les expériences des communautés qui avaient accueilli des soldats de la paix. Cependant, la méthodologie utilisée a fourni des preuves empiriques qui auraient permis une estimation fiable.

Si vous deviez donner une estimation, combien d’enfants abandonnés par le personnel de l’ONU diriez-vous qu’il y a en Haïti ?

Sur la base des preuves narratives, il est sûr de supposer que le nombre est significatif.

Dans votre article publié dans « Conversation », vous écrivez : « Certaines histoires étaient à la première personne, partagées par ceux qui avaient donné naissance à des enfants engendrés par le personnel des Nations Unies, tandis que d’autres histoires ont été racontées par des membres de la famille, des amis ou des voisins au sujet de femmes et de filles qui élèvent des enfants engendrés par des soldats de la paix. » N’existe-t-il pas un risque d’inflation ou de comptabilisation à la hausse des histoires sachant que ces communautés sont parfois petites et plusieurs personnes peuvent rapporter la même histoire ? 

Le nombre d’histoires sur les enfants nés de gardiens de la paix n’équivaut pas au nombre d’enfants issus de relations avec les soldats de la paix. Il est possible que plusieurs histoires concernent les mêmes enfants. Cependant, les histoires ont été collectées à travers plusieurs endroits ; et elles varient dans les détails sur les expériences.

Le tableau indiquant le nombre de participants à la recherche montre que Port-Salut, une petite ville du sud, possède le plus grand nombre d’histoires de « Petit Minustah ». À votre avis, pourquoi est-ce le cas ?

Il est difficile de le dire sans une analyse qualitative détaillée, ce que nous ferons dans les prochains mois.

Les relations consensuelles peuvent également s’inscrire dans une dynamique d’exploitation

Sachant qu’une partie des relations était consensuelle et/ou transactionnelle, pourquoi est-ce pertinent d’utiliser le terme « exploitation sexuelle » ? 

Les relations consensuelles peuvent également s’inscrire dans une dynamique d’exploitation, car le consentement est souvent donné dans des circonstances qui limitent gravement les choix et la liberté d’action d’une femme.

En lisant la recherche, on a l’impression que le problème central n’est pas l’agression sexuelle, mais la pauvreté. Est-ce le cas ?

Pour faire court, c’est une façon de voir les choses. Chaque cas d’agression est un cas de trop, mais l’impression dominante est que la pauvreté sous-jacente est la cause profonde qui explique que la plupart des femmes acceptent (ou choisissent activement) d’entamer des relations intimes avec les soldats de l’ONU.

Les Nations Unies refusent d’aider les victimes. Que dit ce refus sur l’identité de l’organisation ? 

À un certain niveau, il nous dit que l’ONU, de la manière dont les relations entre l’ONU, les pays fournisseurs de contingents et les pays hôtes sont construites, s’est privée d’une manière robuste de traiter certains actes répréhensibles graves. Mais l’analyse doit être beaucoup plus approfondie : pourquoi cette relation est-elle construite telle qu’elle est ? Qui a intérêt à soutenir les victimes ou pas ? Etc.

Vous avez fait des recommandations à l’ONU. Mais que pensez-vous que la société civile et les victimes en Haïti peuvent faire pour trouver justice ?

Il existe de nombreuses similitudes avec d’autres cas dans d’autres pays, notamment parce qu’il existe de nombreuses similitudes structurelles (accords équivalents entre l’ONU, les pays fournisseurs de contingents et les pays hôtes ; des relations également volontaristes ; des différences de pouvoir similaires ; des niveaux de pauvreté et de fragilité similaires dans les pays d’accueil). Mais il y a aussi des différences, souvent au niveau de la société civile dans le pays hôte ; mais aussi au niveau de l’engagement des groupes de soutien aux victimes. Il y a également des circonstances particulières en termes de structures de gouvernance locale.

Dans l’article qui restitue la recherche, vous parliez de diverses expériences positives et négatives qui ont été saisies. Pouvez-vous en partager au moins 3 pour chaque catégorie ?

Certains d’entre eux seront publiés dans un article pour le « Journal of Global Public Health » en janvier vers lequel je vous dirigerai.

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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