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Opinion | Jean Casimir : Les exclus de l’armée indigène

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Pour que le triomphe des armes indigènes ne fut pas plus longtemps retardé, il fallait que ses bandes entrassent dans l’insurrection organisée

Madiou écrit clairement et sans embages : « (Dessalines) ne rêvait qu’aux moyens de se défaire de Lamour Dérance. Celui-ci, plongé dans de grossières erreurs, ajoutait foi aux sortilèges, aux prophéties des papas (lwa) ou prêtres du fétichisme africain qui composaient son conseil. Son système était celui de la barbarie ; ses gens divisés par tribus n’étaient pas organisés en troupes régulières.

Quand il marchait au combat, il était précédé de bandes de Congos, d’Aradas, d’Ibos, de Nabos (sic), de Mandingues, de Haoussas, qui se précipitaient contre les bataillons français avec une prodigieuse intrépidité, en criant que les boulets n’étaient que poussière. Mais ce courage qu’exaltaient les superstitions venait se briser contre les remparts de fer et de feu des carrés européens.

(Dessalines) ne rêvait qu’aux moyens de se défaire de Lamour Dérance.

Lamour Dérance ne combattait pas pour fonder un état indépendant; il voulait continuer cette existence nomade qu’il menait depuis le commencement de la révolution. Pour que le triomphe des armes indigènes ne fut pas plus longtemps retardé, il fallait que ses bandes entrassent dans l’insurrection organisée. Elles ne se rallieront aux troupes indépendantes qu’après l’arrestation de leur chef qui sera tué à coups de baïonnette. Ainsi succombent finalement quelle que soit leur force numérique ceux qui luttent contre un système plus civilisateur que le leur. Ainsi était tombé Sans-Souci dans le Nord. » (Madiou, T. III, p.53) (emphase nôtre).

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Aussi Madiou, joyau des hautes sphères de la bureaucratie haïtienne, définit le mot indigène qui situe le type de modernité de l’armée et de la révolution promue par les tenants du pouvoir :

«Dès à présent, nous entendons par indigènes, non seulement les Noirs et les hommes de couleur nés à Saint-Domingue, mais encore les Africains transplantés». (Madiou, 1847, T. II, p. 162). «Transplantés», explique-il ; et Madiou, qui écrit en français, ne croit pas devoir dévoiler l’acrobatie mentale qui permet de qualifier d’indigène cette majorité née en Afrique.

Lamour Dérance ne combattait pas pour fonder un état indépendant; il voulait continuer cette existence nomade qu’il menait depuis le commencement de la révolution.

Alors, qui s’étonnera que les monolingues créolophones, les «gens du dehors» et leur créole «rèk» (le basilecte), n’utilisent jamais le mot indigène qui, au nom des races qu’invente la modernité, exclut les ethnies qui en se fusionnant institue le «tout moun se moun», pierre angulaire de la nation.

Parce que le même Madiou informe avec son honnêteté d’historien :

«C’est (…) le cas de nous rappeler que la guerre cruelle et héroïque de l’indépendance d’Haïti n’avait été supportée que par les habitants des mornes et des plaines qui seuls avaient fourni les bataillons parmi lesquels il s’était trouvé quelques rares hommes à cœur d’élite et de quelque instruction qui avaient été élevés au sein des villes (Madiou, T. VI. 455) (emphase nôtre).

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Ce constat de l’historien explique qu’en 1805, le même Dessalines brandit l’article 28 de sa Constitution Impériale : «Au premier coup de canon d’alarme,…».

À bon entendeur, salut !

Jean Casimir,

Delmas, le 27 avril 2023


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Jean Casimir, doktè nan sosyoloji, ap anseye nan Fakilte Syans Imen, Inivèsite Leta Ayiti.

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