L’administration de Jovenel Moïse avait promis la prise en charge financière de l’étude universitaire des lauréats nationaux. Elle n’a pas tenu cette promesse, et ces jeunes se trouvent en grande difficulté
Darbens Pierre fait partie de la première cohorte de lauréats ayant bénéficié le programme de bourse d’excellence en 2016. L’originaire de la commune de Verettes a été lauréat départemental de l’Artibonite. « Tout allait bien durant la première année du programme qui a viré au fiasco après le départ du Premier ministre Enex Jean-Charles », dit Pierre.
Dès lors, le jeune homme raconte avoir passé une année entière sans verser un sou à l’Académie nationale diplomate et consulaire (ANDC) où il effectuait des études en diplomatie.
Darbens Pierre a bouclé son cycle d’études de quatre ans l’année dernière. Mais, dit-il, rien n’est encore versé à l’université pour ma dernière année d’étude qui devait être payée depuis 2019. Cette situation l’empêche d’avoir ses papiers de fins d’études.
Chaque année, une cohorte de jeunes élèves réussissent avec brio les examens officiels. Ils sont classés lauréats nationaux ou départementaux par le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP).
C’est pour récompenser ces élèves et leur faciliter l’accès aux études supérieures que l’ancien premier ministre Enex Jean Charles avait initié par arrêté du 26 octobre 2016 un programme de bourse d’excellence.
Enex Jean Charles quitte la primature le 21 mars 2017. Depuis, le programme bat de l’aile, selon le témoignage de plusieurs étudiants bénéficiaires qui n’arrivent pas à payer leur scolarité.
Nombre de ces jeunes, venant d’autres départements du pays, se sont établis à Port-au-Prince après les promesses de l’État. Ils devraient recevoir une enveloppe annuelle de 120 000 gourdes pour leur scolarité et 10 000 gourdes comme frais de subsistance mensuels. Quant aux trois premiers lauréats nationaux, ils devaient bénéficier d’un montant de 15 000 dollars US en cas où ils souhaitaient étudier hors du pays.
Aujourd’hui, ces étudiants lancent un appel de détresse. Ceux ayant laissé leur demeure dans les villes de province après les avantages promis par l’État ne peuvent plus payer leur loyer, voire répondre aux exigences financières pour leurs études dans des universités privées de la capitale du pays.
Programme dysfonctionnel
Après avoir été lauréate en 2017 pour le département de l’Ouest, Michaëlle Moïse a été récompensée et médaillée pour son beau succès par le président Jovenel Moïse. Les multiples promesses réalisées pour prendre à charge l’écolage de cette fille qui a terminé ses études classiques à l’âge de 15 ans ne lui ont pas permis de rentrer à l’université durant cette même année.
« Après de longues attentes, mes parents ont décidé de m’envoyer au Mexique pour réaliser mes études », relate Michaëlle Moïse qui a passé une année sans rien faire après ses études classiques. À présent, elle est en troisième année d’études en génie mécanique dans une université mexicaine.
« Mes parents ont été contactés après mon départ. Un montant de 119 000 gourdes a été déposé sur le compte en banque de mon père en juin 2018. Depuis, c’est le silence total et jusqu’à aujourd’hui mes frais de scolarité sont assurés par mes parents », lâche-t-elle.
Des menaces formulées
Malgré la déception des jeunes, ils sont contraints de ne pas divulguer d’informations concernant les mauvais traitements reçus dans le cadre de ce programme.
En 2018, l’un des boursiers avait pris la presse pour dénoncer la façon dont l’État n’a pas tenu ses engagements envers eux. À l’époque, ce boursier qui était admis dans une université privée de Port-au-Prince avait des difficultés de paiement pour une année entière. Du coup, l’université lui avait interdit de réaliser les examens.
« Les autorités de la primature m’avaient demandé de leur adresser une lettre d’excuse, sinon, ils menaçaient de m’ôter la bourse d’excellence qui m’était accordée », témoigne le boursier requérant l’anonymat.
Malgré la déception des jeunes, ils sont contraints de ne pas divulguer d’informations concernant les mauvais traitements reçus dans le cadre de ce programme.
Devant l’insistance des autorités académiques, les boursiers reçoivent une lettre de la primature rappelant aux universités que la charge d’étude est sous la responsabilité de l’État. Certaines universités l’acceptent, d’autres se montrent plutôt intransigeantes sur ce dossier.
C’est ainsi que Kettia Flore Jean-Baptiste a fini par abandonner le programme après avoir essuyé des refus catégoriques auprès de deux universités privées à Port-au-Prince.
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« J’avais abandonné l’Université de Port-au-Prince (UP) après deux années d’études en science comptable. L’État n’a pas versé un sou après le paiement des frais d’entrée. Après avoir refusé la lettre de la primature, l’université m’avait interdit de passer les examens sans payer les deux années d’études », dit celle qui était lauréate pour le département des Nippes en 2017.
La jeune fille a connu le même sort après avoir intégré l’Université Quisqueya. Cette institution « ne m’a pas permis de poursuivre mes études en sciences comptables puisque je n’avais pas les attestations d’études de l’UP. Après le renouvellement de ma bourse, j’ai dû entamer en 2020 une nouvelle étude en relation internationale à l’UNiQ. L’université m’avait refusé l’accès pour réaliser les examens de fin de session sans la lettre de la primature », explique la jeune femme qui a reçu tardivement cette lettre. Au final, l’université lui a demandé de reprendre la session. C’est à ce moment qu’elle a abandonné.
S’installer à Port-au-Prince
Tous les lauréats nationaux ne viennent pas de Port-au-Prince. Les lauréats départementaux proviennent de chaque département du pays. Par exemple, la léoganaise Michaëlle Moïse était la première lauréate du département de l’ouest en 2018. Elle s’est placée aussi à la dixième place dans la liste des lauréats nationaux.
Après leurs prouesses dans les examens officiels, les lauréats sont tous invités à Port-au-Prince pour prendre part à une cérémonie de remise de prix. Du coup, ils s’inscrivent dans une des universités de la capitale pour des raisons de proximité avec ces établissements de formation supérieure.
Geneviève Jean-Pierre a été lauréate du département du nord en 2018. Elle s’est installée à Port-au-Prince depuis janvier 2019. Elle est en troisième année d’étude en sciences informatiques à l’Infrotronique.
Si j’avais su que ce programme d’appui avait autant de problèmes, je ne l’aurais pas intégré en 2018
« L’État avait seulement payé ma première année d’étude », dit Jean-Pierre qui rapporte éprouver aussi des difficultés pour payer son logement. « Je n’ai pas reçu de frais de subsistance pendant deux ans et mes parents n’ont pas les moyens adéquats pour me soutenir. Si j’avais su que ce programme d’appui avait autant de problèmes, je ne l’aurais pas intégré en 2018 », confie-t-elle.
Cette situation met la jeune femme dans l’incapacité de payer son loyer depuis deux ans. C’est la compassion du propriétaire de la maison où elle demeure et l’appréciation des dirigeants de son université qui lui ont permis de poursuivre son rêve sans trop de difficultés dans l’attente des frais promis par l’État.
D’autres étudiants sont obligés de se débrouiller autrement. Pour assurer leur survie dans la capitale, Darbens Pierre pratique le journaliste dans un média en ligne et Kettia Flore Jean-Baptiste prête ses services comme caissière dans un supermarché de la capitale après avoir abandonné ses études et la bourse d’excellence.
Le MENFP se dédouane
Depuis l’année dernière, les lauréats nationaux ont un accès direct à l’Université d’État d’Haïti (UEH) sans passer par les concours d’entrée. Avant ce protocole d’accord signé entre les autorités de l’UEH et ceux du MENFP, les lauréats devaient subir les épreuves de l’UEH avant d’avoir accès à l’institution.
Suivant leur champ d’études, une moyenne d’excellence est demandée par la primature pour le renouvellement annuel de la bourse. Les étudiants admis dans les sciences humaines et sociales devraient avoir 7,5 comme moyenne. Ceux dans les sciences expérimentales comme les étudiants de la Faculté des Sciences doivent réaliser une moyenne de 6,5.
« La plupart des boursiers éprouvent des difficultés à fournir la preuve pour renouveler leur bourse », fait savoir Meloody Vincent, responsable de communication du MENFP. Il fait savoir que c’est l’une des causes occasionnant les retards dans le processus du paiement de la bourse pour cette catégorie d’étudiants.
« Parfois les universités refusent de nous livrer des documents à cause de nos dettes. D’autres lauréats ratent souvent leurs examens à cause de ce même problème », déclare Darbens Pierre.
Par ailleurs, le MENFP se dédouane de toute responsabilité pour la bourse d’excellence. « Les études sont financées par l’État à travers la primature. Le MENFP a seulement identifié les lauréats et organisé une cérémonie de remise de prime », dit Meloody Vincent.
La responsable du programme d’appui aux lauréats à la primature, Djenane Étienne, n’a pas voulu lâcher un mot à ce sujet. « Mes obligations comme fonctionnaire de l’État m’empêchent de divulguer des informations sur ce dossier. Mais je pense que tout ce que les lauréats vous rapportent en termes d’informations devrait être vrai. »
Malgré les défaillances enregistrées, le programme suit son chemin. Si en 2016, le nombre de lauréats départemental était uniquement dix, à présent, le nombre augmente avec l’implémentation du nouveau secondaire. Le choix des lauréats se fait actuellement en fonction de chaque filière du nouveau secondaire.
Le nouveau programme d’enseignement a une filière en sciences de la vie et de la terre (SVT), une filière sciences mathématiques, physiques (SMP), une autre en science économique et sociale (SEC) et une filière lettres, langues et arts (LLA).
Michaëlle Moïse est la seule lauréate qui a accepté de dévoiler son vrai nom dans l’article. Les autres noms cités dans le travail sont tous des noms d’emprunt.
Emmanuel Moïse Yves
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