Moonlight Benjamin a quitté Haïti en 2002. Mais la culture haïtienne l’habite toujours. La chanteuse a deux albums à son actif, Siltane et Simidò
Longue robe noire. Voile. Un peu de maquillage de couleur sombre. L’artiste Moonlight Benjamin se met sur son 31 pour presque toutes ses sorties médiatiques.
Pour la ressortissante Haïtienne basée en France, le noir est un appel à la renaissance. « Il symbolise la mort, dit-elle. Pour avoir le blanc, il faut le noir ; pour avoir la vie, il faut la mort. En m’habillant en noir, je me demande pourquoi ne pas repartir à zéro et renaitre comme Jésus l’a fait pour nous. »
Moonlight Benjamin est cette voix féminine haïtienne qui fait le tour du monde avec la musique vaudou qu’elle chante en Rock. Avec son album Siltane, Moonlight a joué 80 concerts à travers le monde en 2019. L’année dernière, elle avait prévu une autre tournée mondiale avec Simidò, son deuxième album paru avant le confinement, mais le coronavirus a changé ses plans.
En m’habillant en noir, je me demande pourquoi ne pas repartir à zéro et renaitre comme Jésus l’a fait pour nous. Moonlight Benjamin
« Le Covid-19 a eu un impact important sur tous les secteurs. Dans notre métier, la scène est l’âme de l’artiste. Comme on ne peut pas monter sur scène, on n’est pas bien. On avait même prévu des prestations en Haïti, mais on a tout annulé », regrette l’artiste, dans une entrevue avec AyiboPost.
Championne de Chante Nwèl
Pour le public haïtien, Moonlight Benjamin n’est pas la plus connue des artistes haïtiens qui évoluent à l’étranger. Mais les grands fans du concours Chante Nwèl de Telemax peuvent la connaître sans le savoir. En 1999, elle et Max Aubain ont remporté ce concours avec le titre « Nwèl Milenè ».
Après cette victoire, Max Aubain qui était déjà souffrant est décédé. Moonlight décide du même coup de quitter le pays. « C’était un grand ami avec qui j’ai travaillé. Je ne voyais pas comment continuer à faire de la musique en Haïti sans Max. »
En 2002, elle s’installe en France, précisément à Toulouse, pour une formation en musique. Là-bas, elle noue contact avec d’autres musiciens et fusionne d’autres styles avec les rythmes vaudous traditionnels. Elle crée en même temps le groupe Djawoule Pemba. Aujourd’hui Moonlight se consacre uniquement au vaudou rock.
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La chanteuse de 50 ans a quitté le pays depuis 19 ans, mais elle reste connectée à la culture haïtienne. Ses titres sont exclusivement en créole haïtien. Pòtoprens mazora manman, Pòtoprens flobop manman… », sont des paroles de l’une de ses compositions, où elle déplore la dégradation de la capitale haïtienne.
Dans la plupart de ses chansons, Moonlight Benjamin adapte des musiques traditionnelles haïtiennes, et des œuvres poétiques d’auteurs haïtiens comme Georges Castera et Franketienne. « Un ami m’avait offert le livre Anthologie de la poésie haïtienne et j’y ai pris plaisir. Pour moi, une poésie est déjà une chanson », continue-t-elle.
« Clair de lune »
Moonlight, signifiant clair de lune, est le vrai nom de l’artiste. Personne ne lui a jamais dit pourquoi elle porte ce prénom anglais. Cette dame qui, aujourd’hui, chante Papa Legba, n’a pas toujours été vodouisante.
Moonlight a reçu une éducation chrétienne à l’orphelinat Galiléen childrens room à l’Arcahaie, où elle a passé une bonne partie de son enfance. Jusqu’à l’âge de 17 ans, elle n’avait jamais connu sa famille biologique. C’est le pasteur Buffet Alvarez, responsable du centre, qu’elle appelait papa.
« Physiologiquement, on ne se ressemblait pas. Je sentais que quelque chose n’allait pas. Il y avait une cinquantaine d’enfants dans l’orphelinat, mais j’étais la seule à appeler le pasteur papa. Bien que j’étais aimée, à un moment donné, c’était dur. Je me demandais, elle est où maman ? »
Moonlight apprendra à dix-sept ans que sa mère était morte en lui donnant naissance et que son père qui était dans l’incapacité de prendre soin d’elle l’avait confiée à l’orphelinat. Un jour, une voisine l’a fait rencontrer un de ses cousins, qui lui a fait rencontrer son père. « On était tous les deux contents de nous rencontrer, dit la chanteuse. Mais on ne se parlait pas beaucoup. Mon père était discret. »
Aujourd’hui les deux papas de l’artiste, biologique et adoptif, sont morts.
Rupture à la vie chrétienne
Moonlight a aussi grandi à Carrefour où elle allait à l’église à Radio lumière dans les années 1980. C’est là qu’elle a commencé à chanter. Mais elle avait envie de vivre autre chose. « J’étais à la recherche de moi-même. Savoir qui je suis et arrêter de suivre les autres », se souvient-elle.
Pour cette quête de soi, elle a abandonné la maison familiale. Elle allait voir des gens qui pouvaient lui parler de la culture haïtienne. Pas de vaudou parce qu’à l’époque, même après avoir quitté l’église, Moonlight considérait les chansons traditionnelles comme la musique du diable.
« C’était très compliqué, mais je ne regrette pas d’être partie de la maison familiale. J’ai travaillé avec des personnes qui m’ont aidée à entrer dans cet univers vaudou. J’ai pu comprendre que le vaudou nous met en face de nous-mêmes. Il n’y a pas un Dieu qui va nous punir », dit-elle.
Cette quête de soi l’a amenée à s’initier au vaudou jusqu’à devenir prêtresse en 2009. Aujourd’hui Moonlight se dit guérisseuse. « Je demande à l’univers de me donner des tournées thérapeutiques. »
Parmi les chanteuses haïtiennes qui l’ont façonnée, elle compte Mambo Diela, une dame qu’elle a rencontrée en Haïti dans des cérémonies vaudou. Il y a aussi Toto Bissainthe et Rutshelle Guillaume. Moonlight rêve de venir jouer ses albums dans le pays. En attendant, elle annonce déjà une chanson inédite.
Laura Louis
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