L’affrontement des groupes armés de Tibwa et Grand Ravine, zones situées dans les périphéries de Martissant, fait des dizaines de victimes à Fontamara
Ce soir-là, Mayco Jean Pierre et les membres de sa famille regardaient le match qui opposait l’Argentine et l’Italie. C’était le 1er juin 2022. L’équipe de Lionel Messi est sortie vainqueur avec un score de trois buts à zéro contre l’Italie.
Le débat sur la partie de football a continué après le match entre Jean Pierre et ses amis à Nan Mapou, dans les hauteurs de Fontamara. Mais les réjouissances tourneront au drame lorsque Jean Pierre qui était assis s’effondre subitement, après avoir reçu un coup violent sur la tête.
« [Une balle perdue] a ravagé une partie de sa nuque et de sa mâchoire », raconte la tante de Jean Pierre, Minezana Jacquet.
Jean Pierre est transporté d’urgence dans un centre hospitalier à Diquini dans la commune de Carrefour. Il n’a cependant pas eu le temps d’entrer dans la salle d’urgence. « Il a rendu son dernier souffle en arrivant sur la cour de l’hôpital », relate sa tante, la voix cassée par l’émotion.
L’affrontement des groupes armés de Tibwa et Grand Ravine, zones situées dans les périphéries de Martissant, fait des dizaines de victimes à Fontamara. Selon les témoignages recueillis par AyiboPost, la grande majorité des personnes affectées ont été touchées par des balles perdues, communément appelées « bal mawon » en Haïti.
Mayco Jean Pierre, 44 ans, était à la fois électricien et peintre. L’homme s’apprêtait à fêter son anniversaire le 1er juillet prochain. Au chômage et père d’un petit garçon de six ans, Pierre se préparait à se rendre en République Dominicaine, pour retrouver sa sœur et d’autres membres de sa famille déjà installés au pays voisin.
« Mayco Jean Pierre n’avait pas d’activités professionnelles ces derniers jours, fait savoir Jacquet. Tous les chantiers où il travaillait étaient à l’arrêt ». Il a été mis sous terre le samedi 11 juin 2022.
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Les balles dites perdues sèment régulièrement le deuil dans et autour des zones contrôlées par les bandits armés.
Cherika Bazil habite au village Anacaona à Fontamara. Le 2 juin 2022, Hilaine Cadet, une jeune femme, l’accompagnait pendant qu’elle ramassait les vêtements sur le toit de sa maison, faite en béton.
« Alors qu’elle pliait les habits pour les déposer dans la cuvette, j’ai entendu un petit son sec », raconte Bazil. Cadet a été touchée au front par une balle perdue et en est morte sur-le-champ.
Hilaine Cadet était orpheline de père et n’avait que 21 ans. Elle rêvait d’intégrer l’Université d’État d’Haïti. Bazil la décrit comme une personne humble. « Les gens du quartier l’aimaient beaucoup, déclare Bazil. Elle était très gentille. »
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Selon une étude de l’agence de santé américaine Centre For Disease Control and Prevention (CDC) réalisée en 2003, « les balles tirées en l’air tombent avec des vitesses supérieures à 60 mètres par seconde, une force suffisante pour pénétrer le crâne humain et causer des blessures graves ou la mort ».
Autour des zones de conflits, certaines personnes font le choix de rester derrière des murs pour se protéger. L’ex-ministre et ancien colonel Himmler Rebu estime que cette protection n’est pas assez sûre, mais peut quand même aider selon la qualité de la balle et la capacité de résistance du mur. « Quand le projectile rencontre un obstacle, sa force de pénétration diminue », dit l’ancien militaire.
Depuis la mort de son amie, Cherika Bazil adopte ce réflexe lors des fusillades. « J’ai failli mourir en décembre dernier pendant que j’étais assise sur la galerie de la maison, raconte l’étudiante en technologie médicale. Un projectile était tombé tout près de moi ».
Presque chaque habitant de Fontamara a une anecdote sur les balles perdues. Le nommé Jean, un artisan de la zone, a failli perdre son fils de dix-neuf ans fin mai 2022. Une « bal mawon » a traversé sa fenêtre pour finir dans le mur de la maison, non loin de l’espace où se trouvait l’enfant.
Selon Jean, les balles perdues font partie du quotidien des habitants de Fontamara. « Nous vivons avec beaucoup d’inquiétudes », se plaint-il.
Depuis tantôt un an, des groupes armés s’affrontent régulièrement à Martissant. Le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits Humains (CARDH) a enregistré près de 200 décès dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince pour le mois de juin uniquement.
Photo de couverture: Place Fontamara 43
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