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Masques artisanaux : objets de mode ou barrières contre le Covid-19 ?

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Ils complètent les gestes barrières, mais ne protègent pas assez

L’augmentation du nombre de morts, de personnes infectées et le renforcement des mesures de sécurité sanitaire ont occasionné un déferlement de masques artisanaux dans la lutte contre le Covid-19. Puisqu’ils font désormais partie du quotidien, les Haïtiens ont décidé d’adopter ces objets, d’abord utilitaires, avec du style.

Ces accessoires complètent les gestes barrières, mais ne protègent pas assez pour empêcher la contamination dans un contexte où leur fabrication peut favoriser la transmission de la maladie alors que la plupart des gens ne savent pas comment les utiliser correctement.

Ces accessoires complètent les gestes barrières, mais ne protègent pas assez pour empêcher la contamination. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Les normes

Ils sont faits de Tétrex, de Crêpe, de Dacrone, de Coton, de Polycoton… Masques de grapheurs, de carnaval, de sacs en plastique troués au nez, aux yeux et à la bouche ; masques en tricot de laine, assortis au vêtement, masques-casquette… les choix semblent infinis.

Tagués, griffés ou à l’effigie de personnages de dessins animés, les masques-fashion sont la nouvelle mode. Les modèles artisanaux, principalement, le cache-nez, sont faits de tissus et fabriqués dans les ateliers de couture, des entreprises à la chaîne ou fait-maison. À ce jour, il existe très peu d’études sur leur efficacité. Même s’ils n’offrent certainement pas le même niveau de sécurité que les masques N95, FFP2, FFP3 ou les dispositifs chirurgicaux, ces objets sont recommandés par les autorités haïtiennes parce qu’ils réduisent les risques de transmission du Covid-19.

Des études ont démontré que l’utilisation du masque sans le respect de la distanciation sociale et du lavage fréquent des mains expose davantage au risque de contamination.

Des études ont démontré que l’utilisation du masque sans le respect de la distanciation sociale et du lavage fréquent des mains expose davantage au risque de contamination. Photo : Réginald Louissaint / K2D

En France, l’Association française de normalisation (AFNOR) en a normalisé la confection pour les industriels, les petits ateliers et les particuliers. Cette démarche suggère des conditions très strictes de fabrication qui passent aussi bien par l’utilisation du tissu approprié, les couches à ajouter, les mesures exactes pour l’étanchéité et le confort du port (recouvrir le nez, la bouche et le menton) ainsi que par le niveau de sécurité. Par exemple, il est déconseillé que le masque soit cousu au milieu à cause du risque de contamination qui est plus élevé. 

La fabrication de masques en Haïti 

Dans un communiqué publié le 9 mai dernier, le Premier ministre Jouthe Joseph a déclaré le port du masque obligatoire dans tous les espaces publics à partir du lundi 11 mai.

Dans un communiqué publié le 9 mai dernier, le Premier ministre Jouthe Joseph a déclaré le port du masque obligatoire dans tous les espaces publics à partir du lundi 11 mai. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Cette décision s’est accompagnée de plusieurs annonces de distributions en marge de la réception des masques commandés auprès des industries de manufacture en Haïti et à l’étranger. En plus des 50 200 masques chirurgicaux et N95 et les 250 000 visières en plastiques arrivés de la Chine, les industries haïtiennes du textile — à travers le président de l’Association des Industries d’Haïti (ADIH), M. Georges Sassine —, avait annoncé fin mars qu’un don d’un million de masques sera fait au gouvernement.

Certaines de ces industries confectionnaient déjà des blouses pour médecins et patients, ainsi que des uniformes médicaux. « Mais nous ne faisions pas de masques et ne savions pas comment les confectionner. Il a fallu revoir l’installation de l’espace en fonction des exigences sanitaires et initier nos ouvriers à l’apprentissage de ces techniques. Ça nous a pris environ quinze jours avant de pouvoir produire la première partie de la commande », confie Sassine dans une entrevue accordée aux journalistes Milo Milfort et Pierre Michel Jean le 4 mai dernier.

Petits et grands designers et les masques 

Tailleur et entrepreneur, Leriche possède un atelier de production de masques à Tabarre 27. Dans sa liste de clients, il compte des particuliers, des entreprises et des revendeurs. Ses masques, cousus en Tétrex, Dacrone Peau-de-plume, sont filtrés au Pelone. Les prix varient entre 75 et 125 gourdes et peuvent augmenter selon le tissu et aussi pour les modèles les plus stylés. C’est le cas des masques au portrait de personnages de dessins animés comme Dora l’exploratrice, Spiderman ou les masques arborant des logos d’entreprises.

Le style des masques ne garantit malheureusement pas la protection. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Les plus grands noms de la mode haïtienne se sont mis aussi au masque-glamour. La styliste Phélicia Dell compte parmi les premiers designers à personnaliser les masques. Au Vèvè, sa griffe, ou autres dessins, Dell favorise les couleurs pastels, tous très classes et chic décontractés. Elle partage les images sur les réseaux sociaux accompagnés souvent de messages promotionnels ou d’encouragement.

Designer créatif, Miko Guillaume propose de son côté des modèles assortis à ses célèbres chemises Guarabella pour homme – un modèle en 3D fait de quatre couches de matériels (lin, Denim, Canvas) avec du coton comme matière de résistance à la base. Christelle Dominique, modiste et styliste de haute couture, a présenté lors d’une émission télé des masques assortis créés par sa maison Mejeanne Couture.

Garantie de sécurité

Photo : Réginald Louissaint / K2D

Le style ne garantit malheureusement pas la protection. La plupart de ceux qui utilisent les masques artisanaux ne s’inquiètent pas de savoir s’ils les protègent réellement. La population se les fournit généralement auprès de petits fournisseurs et des revendeurs ambulants. Ces « cache-nez » achetés parfois à 50 gourdes dans les rues ne sont pas protégés par des sacs stérilisants.

« Lorsque je reçois les commandes de particuliers, explique Leriche, les gens se soucient davantage de la qualité du tissu, du design, de la couleur que des conditions dans lesquelles les masques sont confectionnés ». Pour le jeune homme, pourtant, assurer au mieux les conditions sécuritaires de fabrication est une garantie de vente auprès de ses gros clients. « Il est vrai que la plupart d’entre eux me connaissaient déjà et me font confiance, mais ils sont stricts sur le respect des consignes de sécurité », raconte-t-il.

Atelier de production de masques. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Atelier de production de masques. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Atelier de production de masques. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Leriche ne prend donc aucun risque. Il s’approvisionne chez l’un des plus anciens et plus réputés magasins de tissus en Haïti. Avant la confection, tout le matériel est désinfecté au chlore ou à l’alcool. Ses quinze employés sont munis de cache-nez et de gants, autant ceux qui sont au découpage qu’au montage. Les nouveaux masques, doublés au filtre Pelone, sont ensuite testés pour vérifier leur étanchéité. « Le test du feu permet de tenir le cache-nez face à une bougie et de lui souffler au travers en direction de la bougie. Si celle-ci ne s’éteint pas, c’est que le niveau d’étanchéité et de sécurité est bon », confie le tailleur. Les masques sont ensuite emballés dans du plastique et livrés.

Atelier de production de masques. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Notons toutefois que l’efficacité du test du feu a été remise en question par des spécialistes internationaux, dont ceux de l’AFNOR.

Dans leurs publications sur les réseaux sociaux, notamment Instagram, Phélicia Dell et Miko Guillaume ne communiquent pas beaucoup sur les mesures de sécurité qu’ils mettent en place dans leurs ateliers lors de la fabrication des masques. Christelle Dominique, quant à elle, a fait en direct le test du feu pour donner les mêmes garanties que Leriche. Son atelier a ceci de particulier qu’il propose les masques et les filtres séparément, de sorte que le client peut décider lui-même de la couche de filtre à mettre en raison du confort et de l’étanchéité.

Tout au début, les modèles faits par les industries affiliées à l’ADIH ne respectaient pas les standards parce que l’accent était davantage mis sur l’urgence de la quantité à produire, selon le président de ladite association. Aujourd’hui, la manufacture en confectionne à trois couches (comparable au N95 version tissu) et à une couche de tissu, selon des standards en vigueur. « Même s’ils contiennent les trois couches de matières réglementaires comme pour le N95, ces masques ne sont pas aussi sécuritaires que les chirurgicaux. Il faudrait qu’ils soient fabriqués dans un espace stérilisé, ce dont nous ne disposons pas », avance Sassine.

Un marchand ambulant interviewé dans le cadre de ce reportage confie, pour sa part, qu’il étend le tissu à découper sur un autre tissu déposé à même le sol. Après la confection, les masques, qu’il vend au marché à 25 gourdes, sont lavés quand il en a le temps. Sinon, ce sont ceux qui les achètent qui les lavent.

L’État et les masques artisanaux 

Photo : Réginald Louissaint / K2D

L’État haïtien fournit aussi des masques artisanaux à travers des institutions publiques comme l’Institut national de Formation professionnelle (INFP). Les masques qui portent l’étiquette de l’INFP n’ont ni filtre ni plusieurs couches de tissu.

Contacté sur le manque de sécurité de ces masques, le docteur Lauré Adrien, coprésident du Comité de gestion scientifique du Covid-19, a avancé qu’un cadre du ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) serait plus à même de répondre à cette question. Daniel Denis, directeur général dudit ministère, nous a appris que le Bureau haïtien de Normalisation (BHN) avait commencé, dès le début de la pandémie, à travailler sur un document de normalisation de fabrication de masques adapté à la réalité haïtienne.

Beaucoup d’Haïtiens acceptent aujourd’hui de porter un masque, chirurgical, mais surtout artisanal. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Intitulé « Guide d’exigences minimales, de méthodes d’essais, de confection et d’usage. Fabrication en série et confection artisanale», ce document s’inspire du guide de l’AFNOR et a été élaboré en atelier avec des institutions partenaires. Parmi elles, la Faculté des Sciences (FDS) de l’Université d’État d’Haïti, l’Association des consommateurs du Nord-Est (ASCONE), l’Association des Pharmaciens d’Haïti (APH), l’Association haïtienne pour le Management de la qualité (AHMAQ) et la Chambre de Commerce et d’Industrie de l’Ouest (CCIO). En avant-propos, il est indiqué que le guide est « destiné à compléter les gestes barrières et les règles de distanciation sociale. Il s’adresse au grand public, les personnes saines ou asymptomatiques ».

Ce geste barrière fait encore trop partie d’un effet de mode qu’un véritable moyen de lutter contre la propagation du virus. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Comme le guide de l’AFNOR, celui du BHN relate tous les détails sur le type de tissus, le jeu de brides, les soupapes d’expiration et d’inspiration. S’y trouvent aussi des exigences particulières pour la confection artisanale. Le document a été validé par un comité de travail et sera bientôt disponible sur le site du ministère, du BHN et des différents partenaires. Pour l’heure, le guide n’est que consultable à l’interne pour toute personne qui en fait la demande auprès du ministère. Interrogé sur le rôle du MCI dans le contrôle du respect des normes dans la confection des masques, le directeur général du MCI a dit devoir compter sur les associations de couturiers pour effectuer ce travail. « Le ministère du Commerce s’occupe davantage de la normalisation, de la vulgarisation de ces normes tout en faisant un travail de sensibilisation auprès des fabricants, quels qu’ils soient », a-t-il maintenu.

Renforcement des mesures de sécurité

Ce décret dispose en son article 8 que le port du masque de protection contre la pandémie/épidémie est obligatoire. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Le jeudi 21 mai, dans le numéro 88 du journal national, Le Moniteur, un décret présidentiel fixe les règles générales de protection de la population en cas de pandémie/épidémie. Ces règles, comme dit dans le décret, s’appliquent à partir de l’entrée en vigueur de l’Arrêté déclarant l’état d’urgence sanitaire.

Ce décret dispose en son article 8 que le port du masque de protection ou d’un équipement de protection individuelle, protégeant au moins la bouche et le nez ou de tout autre équipement de lutte contre la pandémie/épidémie, déterminé par Arrêté pris en Conseil des ministres, est obligatoire pour toute personne se trouvant ou circulant sur la voie publique, sous peine de 3 000 gourdes d’amende, de cinq jours d’emprisonnement ou de 15 jours de travail d’intérêt général à déterminer par le Conseil Municipal.

Photo : Réginald Louissaint / K2D

« Cette obligation s’applique dans tous les centres et établissements commerciaux, les institutions publiques et privées et tous espaces ou zones recevant du public », lit-on dans ce décret qui établit que les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas aux enfants de moins de cinq ans, aux personnes ayant des difficultés respiratoires ou celles pouvant justifier d’autres situations de nécessité ou de force majeure.

Le masque ne doit pas couvrir plus de 30 % du nez et doit laisser visible les oreilles, poursuit le document soulignant que tout autre dispositif utilisé à des fins de protection sanitaire doit laisser visibles plus de 70 % du nez, des yeux, des oreilles et du front. En aucun cas, une cagoule ne peut remplacer ou être substituée à un masque.

« L’obligation du port du masque ou de l’équipement de protection individuelle, protégeant au moins la bouche et le nez, ne fait pas obstacle à ce qu’il soit demandé de le retirer pour la stricte nécessité du contrôle de l’identité du porteur », note le décret.

Utilisation et entretien du masque

Si l’accessibilité des masques est moins un problème aujourd’hui, il n’en est pas ainsi de leur utilisation et de leur entretien. Photo : Réginald Louissaint / K2D

Si l’accessibilité des masques est moins un problème aujourd’hui, il n’en est pas ainsi de leur utilisation et de leur entretien. Peu de gens savent jusqu’à présent comment bien se servir d’un masque.

James par exemple se fait de fausses idées sur l’utilisation des masques. Ce sociologue, administrateur d’État civil, pense que s’ils sont en tissus, les masques peuvent être portés à longueur de journée. Même s’il vérifie que le masque à une doublure, James se le procure aussi bien en atelier de couture qu’auprès des commerçants ambulants. « Pour ce qui est de l’entretien, je n’en sais pas grand-chose, raconte-t-il. Mais je me lave toujours les mains et ne me touche pas le visage ».

Selon les conseils d’entretien et de manipulation de l’AFNOR, après cinq lavages à 60 degrés, dix lavages dans certains cas, le masque n’offre plus aucune garantie de protection. Il faut le toucher au niveau du jeu de brides et non près du nez ou de la bouche. Il ne se porte jamais sous le menton ou au-dessus de la tête. En tissu, il doit être lavé immédiatement après chaque utilisation et jeté une fois enlevé s’il est en fibre polymère (FFP2, N95, KN95, chirurgical).

Ils sont encore trop nombreux ceux qui pensent que le Covid-19 est un mythe ou une affabulation du gouvernement pour soutirer de l’argent à la communauté internationale. Toutefois, beaucoup d’Haïtiens acceptent aujourd’hui de porter un masque, chirurgical, mais surtout artisanal. Ils ont bien compris que porter un masque artisanal était préférable à ne pas en porter du tout. Cette mesure ne suffit malheureusement pas puisque ce geste barrière fait encore trop partie d’un effet de mode qu’un véritable moyen de lutter contre la propagation du virus.

Péguy F. C. Pierre

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