POLITIQUE

Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont la peste et le choléra pour des étudiants haïtiens

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Etudiants et aspirants étudiants commentent témoignent à AyiboPost

Reginald Joinchain est licencié en administration depuis deux ans. Employé dans une organisation non gouvernementale, il entreprend cette année des démarches afin de partir étudier en France. Son admission à l’université en main depuis un mois, il évoque aujourd’hui quelques réticences quant à partir réaliser son master, comme il le souhaitait il y a encore quelques mois. Il explique ce doute par les prochaines élections présidentielles opposant les candidats à la présidence Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

« Je ne suis pas vraiment la politique française. C’est cette année que j’ai commencé à m’y intéresser, en particulier depuis que Éric Zemmour — candidat malheureux des dernières élections — s’est porté candidat, avec comme cheval de bataille la question migratoire. Si c’est pour être tué parce que je suis noir ou déporté dès que j’ai fini mon master, autant rester chez moi. »

Jean Pierre soutient qu’elle quitterait la France si Marine Le Pen venait à remporter l’élection présidentielle.

Selon des statistiques disponibles sur le site de la plateforme Campus France, l’hexagone représente une des cinq destinations favorites des étudiants haïtiens. 60 % de ces derniers, présents sur ce territoire, sont en licence, pour 35 % en master. Selon Cyndia Jean Pierre, en France depuis 2010, quel que soit le dénouement de cette élection, elle entraînera des conséquences sur les étudiants déjà en France, et ceux à venir.

« Marine Le Pen a un programme électoral qui se base beaucoup sur la question migratoire, analyse Jean Pierre. Sachant qu’ici, quand on parle de migrants on met tous les étrangers dans le même panier, le terme inclut donc les étudiants d’origine haïtienne. Par conséquent, cette question les affectera certainement. L’une des formes que sa politique migratoire prendra certainement sera de limiter le nombre de visas attribués aux demandeurs, et dans ce cas précis, aux étudiants. »

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Si pour beaucoup, Le Pen et Macron sont deux faces de la même pièce, et que l’issue de cette élection engendre des conséquences sur les étudiants et les ressortissants haïtiens en France, c’est surtout la candidate d’extrême droite qui fait peur à certains. C’est ainsi que sur un ton pince-sans-rire, Jean Pierre soutient qu’elle quitterait la France si cette dernière venait à remporter l’élection présidentielle.

Dans ses diverses interventions publiques, Marine Le Pen précise que si elle est élue à la tête de la France, sa première mesure sera d’engager un référendum sur l’immigration, afin de la contrôler. La loi qu’elle propose de voter s’intitule citoyenneté, identité, immigration. Elle comporte deux aspects : la première, réduire le flux migratoire en France, et deuxièmement, réduire les droits des étrangers, notamment au niveau du travail, du logement, et des aides financières qui leur sont allouées.

Avec Marine Le Pen, un étranger qui n’aurait pas travaillé pendant un an pourrait légalement être expulsé, peu importe son statut. Cette mesure vise aussi un favoritisme des Français lors des demandes d’emploi et de logement, face aux demandeurs étrangers. Le revenu de solidarité active, qui est une aide accordée aux personnes nécessiteuses, et à laquelle peuvent prétendre les étrangers, serait exclusivement réservé aux Français. Il en va de même pour l’aide médicale d’Etat, à laquelle tout étranger, même ceux en situation irrégulière, c’est-à-dire sans papiers, peuvent prétendre, qu’elle propose de supprimer. Malgré tout, aucune mesure particulière ne vise directement l’université.

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Stephane Saintil qui réalise un travail de recherche sur l’œuvre du romancier haïtien Jean-Claude Charles à l’université de Grenoble-Alpes, doute de la manière dont l’ancienne députée européenne appliquera ces mesures si elle arrive à la tête du pays. C’est aussi le cas de Rebecca Odena, licenciée en droit, qui soutient qu’il y a peu de chance pour que Le Pen finisse présidente.

« Même si elle gagnait l’élection, ça ne changerait pas grand-chose, dit Odena. Il y a déjà du favoritisme pour les Français quant au logement et à l’emploi, mais en définitive, les étudiants trouvent quand même où habiter, et du travail. »

Saintil, qui a pendant longtemps dirigé la revue Controverse Haïti, qualifie de « raciste » le programme électoral de Le Pen fille. D’après lui, plus directement, une élection de cette dernière légitimerait des actes ouvertement racistes à l’encontre des étrangers. Cependant, le sociologue garde foi en la possibilité pour son parti et elle de perdre la majorité parlementaire, servant ainsi de contre-pouvoir à sa politique.

Là où Macron affiche clairement un mépris de classe, [Marine Le Pen] affiche un mépris de la race. – Jean James Junior Jean Rolph

Si dans la plupart de ces allocutions sur l’immigration Le Pen ne prend en compte que la région métropolitaine, son discours a semblé trouver un écho dans l’oreille de certains habitants des Dom Tom, notamment en Guyane, où elle est arrivée deuxième.

Jean James Junior Jean Rolph qui vit sur l’île depuis deux ans, et qui s’est investi dans une campagne pro Jean Luc Mélenchon en Guyane, affirme que le vote Le Pen est surtout dicté par un désir de freiner l’immigration haïtienne.

« Il y a beaucoup d’Haïtiens en Guyane, mais aussi beaucoup de Brésiliens et de Surinamais. D’après eux, Le Pen va mettre fin à cette invasion d’étrangers. Cette dernière a la même approche économique que Macron. Cependant, là où Macron affiche clairement un mépris de classe, elle affiche un mépris de la race. »

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D’après Rolph, la vie des étudiants étrangers en particulier pourrait indirectement se retrouver affectée par une présidence de Le Pen. Par ailleurs, le mépris de classe de l’actuel président s’illustre, par exemple, par le prix à payer pour manger au sein même de l’université.

« Au début du mandat de Macron, il fallait 3 euros et quelques centimes pour manger. Ça a ensuite baissé jusqu’à un euro. Et quelque temps avant l’élection, le prix est remonté à trois euros, avec cette fois, la possibilité de manger à un euro, si vous êtes boursiers. Sachant que la plupart des boursiers sont français, on comprend vite qui vise cette mesure. »

Autre particularité en Guyane, d’après Rolph, beaucoup d’étudiants haïtiens qui font le choix de cette île, y ont des parents. À la fin de leurs études, après cinq ans sur l’île, ils peuvent prétendre à un séjour familial. Cependant, dans les mesures que propose Le Pen, les conditions pour ce séjour seraient modifiées dans le meilleur des cas, voire de complètement l’interdire.

L’autre crainte que devraient avoir les étudiants d’après Jean Pierre, concerne le prix des études. À la suite de l’élection de Macron en 2017, il avait fait passer, avec son Premier ministre Edouard Philippe, une loi sur le prix des études, qui réajustait ces derniers à la hausse durant l’année 2019.

« L’ironie du sort c’est que cette mesure, quoi qu’elle touche Français et étrangers, s’appelait bienvenue en France », se moque Saintil. Les universités étaient passées de 279 euros à environ 2000 euros. Cette décision avait beaucoup fait parler, à tel point que l’écrivain haïtien Nehemy Pierre Dahomey, en doctorat à l’époque, avait adressé une lettre ouverte au Premier ministre sur le sujet. »

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Donald Cavalier, en Guyane depuis un an, parle aussi de cette mesure prise sous la présidence de Macron.

« Macron, au contraire de Le Pen a une véritable politique qu’il souhaite appliquer par rapport aux universités, notamment aux prix des universités. Il veut par exemple reconduire les mesures sur le prix des études. Ça va faire très mal aux étudiants étrangers, car ce sont pour la plupart ceux qui ont le moins accès au travail. »

Rachelle Moïse, étudiante en deuxième année de master en développement local se dit elle aussi inquiète de cette mesure. En France depuis un an, elle avait utilisé toutes les économies qu’elle avait pu mettre de côté grâce à son travail afin de payer les frais du voyage, mais elle n’a jusqu’à présent toujours pas trouvé d’emploi.

« Pour partir, quelques personnes m’avaient prêté de l’argent, d’autres m’en avaient aussi offert, en plus de ce que j’avais mis de côté. Je paye 500 euros mon appartement; je suis en collocation. Je paye aussi 500 euros par an à l’université, car là où je suis, ils appliquent des exonérations pour les étudiants. Mais je ne sais pas comment je pourrai joindre les deux bouts si le prix des universités augmente d’un seul coup, car malgré les exonérations, les frais de scolarité augmentent déjà tous les ans, mais de manière progressive. »

La situation reste compliquée. « Nous sommes pris entre la peste et le choléra», conclut Rolph. L’ancien étudiant de l’école normale supérieure attend fatalement l’issue de l’élection, en affirmant, résigné, que ni l’un ni l’autre des programmes ne sera favorable aux étudiants haïtiens sur le territoire français.

Cet article a été mis à jour. 19.49 20.04.2022

 

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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