Qu’on l’aime ou pas, Stromae s’impose et en impose par « ses mots qui exorcisent les maux »1. Avec Papaoutai, il signe un titre qui tape en plein dans le mile. Comment peut‑on passer à côté d’une chanson qui brosse un portrait cru et poignant d’une réalité cynique trop souvent passée sous silence mais que (je l’espère !) nous aurions tous aimé éviter. D’un morceau qui dénonce haut et fort l’absence factuelle ou symbolique des pères dans la vie de leurs progénitures et qui soulève des interrogations intéressantes sur la paternité : père admirable [ou] détestable ? Père démissionnaire, père intérimaire, père imaginaire…? «
Commençons donc par le commencement. Qu’
Et, aujourd’hui, s’il y’a si peu de papas c’est parce que nous vivons dans une société pleinement acquise à l’idée que l’« élevage » d’enfants est une responsabilité intrinsèquement « femelle » et dans laquelle on s’attend systématiquement à ce que les femmes comblent le vide laissé par les paternels absents. Dans une société au sein de laquelle les hommes ont trop souvent la latitude de décliner leur responsabilité d’encadrer, d’enseigner et de guider leurs enfants et où, à la limite, ils sont mêmes incités à ne pas les assumer du tout… comme quoi le fait d’être lâche et irresponsable est une condition sine qua non pour être viril et masculin. Évidemment car les représentations qui dépeignent la mère comme figure principale et le père comme figure secondaire, voire facultative de l’attachement, de l’éducation et du soin à l’enfant ont la vie dure : c’est la mère d’abord, la mère ensuite, la mère encore et le père à la toute fin, parfois même pas du tout. Alors que personne ne questionne le rôle éducationnel de la femme dans la vie de ses petits, partout on ressasse ces mêmes vieux clichés de pères maladroits, à la Homer Simpson, au jugement tellement obtus qu’ils doivent constamment être maternés, presqu’autant que leurs propres rejetons. Titulaires d’un
Tout ça parce que nous encourageons nos fils à disperser leurs semences sans leur apprendre à assumer les conséquences et nos filles à encaisser sans jamais contester. À la manière de Stromae : « Tout le monde sait comment faire des bébés, mais personne [ne] sait comment faire des papas! ». Et, en tant que femmes évoluant dans cet espace social, nous sommes à la fois victimes et coupables. Victimes car nous opérons par conditionnement et mimétisme. Coupables car consciemment ou non, nous élevons nos enfants pour qu’ils reproduisent ce même modèle que nous souhaitons abolir (j’ose croire que nous nous étions mis d’accord sur ce point plus haut).
Rien ne saurait mieux souligner l’absurdité de cette programmation sociale que le dicton « Manman poul veye tipoulèt nou yo, kòk mwen deyò ». Je dis bien programmation sociale car cette division des rôles dans la société n’est pas un fait de nature mais de culture. L’identité sexuelle de nos enfants se construit à partir de leur assimilation des rôles que nous, adultes et figures de référence, avons associé à leur appartenance à un sexe donné, assimilation qui conduit à la transmission des « rôles de genre » qui prévalent aujourd’hui dans notre espace social et font perdurer ces inégalités entre hommes et femmes. Et, à l’instar du sexe biologique, ces rôles sont socialement construits. Donc si aujourd’hui les femmes sont des « éleveuses » d’enfants, ce n’est pas parce qu’elles sont biologiquement programmées comme tel mais parce qu’on a associé ce rôle à leur sexe biologique. Ce même raisonnement s’applique pour les hommes à qui on a apposé l’étiquette de Don Juan. Et c’est bien là le cœur du problème.
Face à cette réalité, les attitudes divergent. Il y’a celles qui ont assimilé et intériorisé ce modèle social. Honnêtement,
Il y’a aussi celles qui partent du principe que les hommes ne sont qu’une nuisance naturelle qu’il faut tolérer. Ayant classifié les membres de la gente masculine comme des pré
Ensuite, il y’a celles qui préfèrent se voiler la face et qui font semblant de ne pas savoir. Dans le meilleur des cas, elles rechigneront mollement, subissant les aléas de l’ordre social imposé. Elles se plaignent parce qu’elles ne veulent pas se résigner mais ne font absolument rien pour adresser le problème, préférant le réconfort et la reconnaissance qui leur viennent du fait de jouer ce rôle de victime impuissante face au bourreau qu’est l’homme. En amont, au milieu et en aval, elles se « laisseront avoir » et si mise au monde il y a, elles endosseront comme des damnées, le double rôle de mère et de père.
Loin de tout ça, il y’a celles qui, convaincues que faire le ménage ou élever des enfants sont des tâches qu’aucune programmation biologique n’assigne en propre aux femmes, refusent de se laisser réduire aux schèmes prescrits par l’ordre social en place. Véritables stratèges, elles attaquent le problème par tous les fronts : en amont, elles ne lésinent pas sur l’usage des contraceptifs ; en cas d’urgence, elles optent pour le Plan B ou la sortie d’urgence et en aval, elles font tout pour ne pas se faire gardiennes du modèle culturel qu’elles rejettent. Le hic avec elles, c’est que même si elles élèvent leurs enfants sans faire de distinctions de genres, elles sont souvent tellement fières qu’elles reproduisent, sans le vouloir, le modèle qu’au départ elles ont rejeté.
Puisqu’on a conféré aux femmes le rôle, fondamental, d’éduquer et de transmettre les valeurs, les codes de conduite… nous sommes collectivement responsables de ce que nous enseignons à nos enfants et nous avons le pouvoir de casser ce cycle en élevant de nouvelles générations d’hommes qui sauront aussi être pères (des vrais !). Mais, prisonnières de notre conditionnement social, nous ne faisons que (re)transmettre ces mêmes valeurs, a prioris, normes et conventions sociales qui nous oppressent une fois que nous nous faisons ensemencées, perpétuant un ordre social intrinsèquement déséquilibré. Résultat: nos garçons grandissent déresponsabilisés et nos filles convaincues que c’est à elles de tout assumer. Dans les meilleurs cas, nos fils deviennent des pères qui jouent un rôle de payeur‑pourvoyeur, comme si présents et présence étaient substituables et nos filles des mères qui, se positionnant comme des femmes indépendantes et autosuffisantes, transmettent à leurs enfants les mêmes représentations de genres que celles qui ont accepté le postulat selon lequel les femmes sont responsables de l’éducation de leurs progénitures. Et, de tous les côtés, le mal semble infini car avec trop de mère et pas assez de père, on finit toujours par aboutir au même résultat : des hommes qui ne savent pas être pères et des mères à deux têtes coiffées du double chapeau de Super
Il faut tout de même admettre que c’est impressionnant : nous avons monté un moule social duquel ne sortent que des individus programmés pour pérenniser le modèle de référence. Résultat, verticalement et horizontalement, d’une génération à l’autre et d’une famille à l’autre nous reproduisons invariablement ce même modèle qui nous est appris et imposé et que nous avons assimilé à un point tel que nous en devenons tous vecteurs, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement. Mais la vérité est que les enfants ont besoin de pères engagés tout comme ils ont besoin de leur mère car les deux parents contribuent de manière différente mais également importante à leur bon développement. La complémentarité entre père et mère n’est ni une lubie, ni une modalité d’éducation alternative. Non, c’est une réalité constatée et éprouvée. Et aucune mère, malgré toute sa bonne volonté, ne peut remplir la fonction paternelle. Et
Il est donc grand temps de casser ce cycle. Mesdames, ne soyez pas vos mères : ayez bien conscience de votre conditionnement social et du rôle que vous jouez dans la pérennisation du modèle social qui vous afflige. Sachez aussi choisir les pères de vos enfants. Et messieurs, ne soyez pas vos pères : si vous ne vous sentez pas capables d’assumer, prenez la peine de ranger vos membres non plastifiés.
1 Pons, C. (2013). Stromae, maestro des maux.
2 Father for good. (2014). Les pères sont essentiels.
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