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Malgré les avancées du mouvement féministe en Haïti, beaucoup restent à faire

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Prise en charge adéquate de la santé sexuelle et reproductive, lutte contre les féminicides, accès équitable à l’éducation supérieure… les revendications des femmes demeurent nombreuses

De 2017 à 2020, Naomie Marcelin a été en couple avec un homme violent. Il la frappait, et la menaçait verbalement. La femme de 35 ans n’a jamais porté plainte malgré ces abus. Elle avoue avoir toujours eu peur de le faire, parce que cet ex-compagnon comptait des amis dans la police.

« Il disait que si je le quittais ou le trompait, il me tuerait avec l’arme d’un de ses amis. D’ailleurs, cet ami en question était aussi violent avec sa conjointe », explique Naomie Marcelin.

Aujourd’hui, Marcelin est célibataire après s’être enfui en République dominicaine. Elle est traumatisée par cette expérience qui la rend méfiante par rapport aux hommes.

En effet, pour beaucoup d’hommes haïtiens la femme est encore considérée comme une propriété. C’est le cas de Pierich D. 1m50, sportif, le jeune homme travaille comme agent de sécurité dans une entreprise de la capitale. Avec sang-froid, il explique que si sa petite amie « se comporte mal », elle sera redressée. Pierich ne semble pas se soucier des dispositions de la loi contre les violences physiques infligées à autrui.

Pour cause, comme Naomie Marcelin, très peu de femmes victimes d’abus physiques portent plainte, ou l’annulent par peur de représailles. Cette situation perdure malgré les luttes et avancées obtenues par les femmes au moins depuis l’introduction de la Ligue féminine d’action sociale, première organisation féministe formelle d’Haïti, il y a 88 ans. De plus, la plupart des plaintes pour violence conjugale sont classées sans suite.

Cela conforte les hommes violents dans leurs pratiques. Certains cas débouchent sur des féminicides parfois médiatisés.

En plus des violences physiques, un accès inadéquat aux soins pour la santé sexuelle et reproductive, les femmes ne goûtent pas assez au fruit de l’éducation en Haïti. Jasmine Durocher, 65 ans, originaire de Saint Raphaël n’a par exemple pas fini ses études. Sa mère estimait que son frère aîné en avait plus besoin qu’elle.

Presque partout dans le pays, il y a une disparité dès le plus jeune âge entre filles et garçons, quand il s’agit d’éducation. C’est ce que constate Stanley Florival, avocat du barreau de Mirebalais qui a réalisé son mémoire de sortie sur le droit des enfants. Mais en réalité, l’écart est plus important dans le nombre de personnes qui ont atteint des études supérieures.

Selon un rapport de l’ONU sur les inégalités en Haïti de 2017, seulement 6,1 % des femmes de 35 à 39 ans ont fait des études supérieures. Ce chiffre s’élève à 11,8 % pour les hommes.

Au niveau secondaire, la scolarisation des filles dépasse largement celle des garçons.

Par ailleurs, les femmes ont moins accès au travail salarié. Selon une enquête du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) de 2017, la précarité de l’emploi est l’un des éléments qui ont contribué à une féminisation de la pauvreté en Haïti. Les femmes reçoivent un salaire inférieur à celui des hommes. Elles travaillent plus dans le secteur informel, sans droit à la sécurité sociale (seulement 55,9 % y ont accès), et sont moins représentées dans les emplois formels (30 %).

Au niveau politique, l’implication des femmes est également moins importante que celle des hommes. À titre d’exemple, en 200 ans d’histoire Haïti n’a connu qu’une seule femme présidente, Ertha Pascale Trouillot, qui de plus n’avait pas été élue. Pour l’ensemble du Parlement haïtien, la représentation féminine restait en dessous de 3 % en 2017 (2,72 % pour les deux chambres), une régression par rapport à 2003 où elle était de 9 %.

Même dans l’imaginaire collectif, il reste du travail à faire afin de redresser l’image de la femme dans la société haïtienne. Aujourd’hui encore, des stéréotypes tels que moun fou bay chans, ou l’association de la figure du loup-garou mangeur d’enfants à la femme âgée aident à légitimer des violences à l’endroit des femmes. La féministe Sabine Lamour croit que cela en dit long sur notre façon de voir l’humain.

Même si les disparités persistent, on ne peut nier qu’il y a eu des avancées. Le mercredi 4 juin 2014, après une longue bataille du secteur féministe haïtien, la loi sur la paternité, la maternité et la filiation, aussi connue sous le nom de : la paternité responsable, est publiée dans le Moniteur. Ces avancées sont liées au mouvement féministe haïtien, qui n’a cessé de militer, depuis la dictature des Duvalier.

Pourtant les militantes n’ont pas eu la vie facile. Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1958, Yvonne Hakim Rimpel, journaliste et membre de la Ligue féministe d’action sociale, est battue et laissée pour morte. Ce sera l’une des premières victimes d’une longue liste de femmes que la dictature des Duvalier emportera avec elle.

À rappeler que cette ligue avait mené un combat pour la création d’écoles pour filles, et avait joué un rôle décisif dans l’accès au droit de vote pour les femmes dès 1957, avant des pays comme la France.

À la chute de Jean Claude Duvalier en 1986, une manifestation simultanée au Cap-Haïtien et à Port-au-Prince a réuni plusieurs milliers de femmes pour ce qui sera le premier grand rassemblement féministe en Haïti, le 3 avril 1986. Cette journée sera par la suite consacrée « Journée nationale des droits des femmes haïtiennes ».

D’après Carole Pierre Paul, militante féministe, c’était un moment historique. « Cette manifestation était sans précédent. Elle marquait la rupture avec la dictature et mettait en avant les besoins fondamentaux des femmes de l’époque. »

D’après Carole Pierre Paul, c’est à partir de 1982, avec une meilleure organisation de l’opposition à Jean Claude Duvalier, que des femmes vont recommencer à se constituer en groupes organisés. Des figures importantes, comme Anne Marie Coriolan, incitaient ces regroupements.

« Il y aura un fort mouvement sur le terrain. L’Église catholique va s’impliquer dans l’opposition, et sous couvert d’alphabétisation dans les zones rurales, naîtront les premiers germes du nouveau féminisme », raconte-t-elle.

C’est ainsi que peu après le départ de Jean Claude Duvalier, des organisations féministes telles que Solidarite fanm ayisyèn (SOFA) et Kay Fanm seront créées.

Image de couverture : Une ouvrière prend part à une manifestation en février dernier pour exiger de meilleurs salaires dans le secteur du textile. Photo : Carvens Adelson/AyiboPost

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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