AyiboPost a recueilli les témoignages de plusieurs enfants recrutés par les gangs. Un parent se plaint pour sa fille et son fils membres d’un groupe armé
Le garçon n’avait pas de quoi se nourrir à Martissant.
Sa belle-mère ne pouvait pas l’aider à terminer sa septième année de scolarité fondamentale. Il habitait chez elle, et la dame le «battait sans cesse».
À dix ans, le garçon fugue.
Trois ans après, le gang «5 Segonn» établi dans la zone l’enrôle.
«Ne t’inquiète pas, je te prends sous mon aile», aurait déclaré au bonhomme le chef du groupe spécialisé dans le kidnapping, Johnson «Izo» André.
Dans quelques mois, le garçon atteindra la majorité.
AyiboPost le rencontre au local d’une institution publique à Martissant où une ONG intervient pour accompagner les enfants membres de gangs.
Il insiste avoir une histoire à raconter.
Un récit de poudre à canon.
De sang.
Et de deuil non digéré.
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Selon un communiqué d’une entité des Nations Unies, les enfants représenteraient 30 à 40 % de l’effectif total des gangs du pays.
Une source d’AyiboPost investi dans l’accompagnement des enfants membres de gangs estime ces statistiques exagérés, mais admet une solide présence de ces derniers dans les bandes armées de Port-au-Prince.
«Ils commettent la plupart des meurtres», relate à AyiboPost Camille Emmanuel, du «Komite pwoteksyon Timoun Site Letènèl» (KPTSL).
Le « komite » fournit un appui psychosocial à une cinquantaine de mineurs enrôlés dans des groupes armés dans les quartiers défavorisés de Port-au-Prince.
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Les recrutements d’enfants par les gangs s’accélèrent à l’approche de la force armée dirigée par le Kenya, apprend AyiboPost auprès de la Brigade de protection des mineurs (BPM), une entité de la Police nationale d’Haïti (PNH).
Contre rémunération, ces enfants servent comme informateurs, espions, vigiles, passeurs d’armes à feu et de munitions, combattants ou preneurs d’otages, révèle la BPM à AyiboPost.
Certains font également des courses, achètent de la drogue et participent aux pillages, péages routiers et aux crimes afin d’obtenir promotion dans le gang.
Selon le responsable de la BPM, Harold Barreau, les membres des gangs abusent sexuellement des jeunes femmes en leur sein.
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En ce jeudi matin, des crépitements de mitrailleuses retentissent près du bâtiment de l’organisation locale à Martissant lorsqu’un jeune homme fluet de seize ans, réprimandé par l’animatrice de groupe qui l’assiste, rétorque sèchement : « Je suis un chimè - bandit ! »
Depuis qu’il se rapproche des gangs de Martissant, le discours du jeune homme prend en virulence et ses menaces empruntent une courbe ascendante, constate son entourage.
Au loin, des dizaines d’enfants excités s’amusent dans l’enceinte de cet édifice public aux murs décrépis, autrefois blancs.
Assistés psychosocialement par l’organisation locale œuvrant dans le quartier depuis environ dix ans, les enfants font des va-et-vient incessants sous les rayons d’un soleil de plomb, tamisé par le feuillage touffu des arbres de l’espace.
Contre rémunération, ces enfants servent comme informateurs, espions, vigiles, passeurs d’armes à feu et de munitions, combattants, preneurs d’otages.
La tête baissée, un autre adolescent de quatorze ans, élancé, au teint noir, raconte paisiblement comment il fait des courses pour le gang de Gran-Ravin.
Il dit vouloir devenir aviateur, mais les violentes explosions qui rythment son quotidien n’ont rien à voir avec l’aéronautique.
«Des amis me demandent constamment d’intégrer le gang et de porter une arme», confie à AyiboPost le natif du quartier de Bolosse, 5e Avenue.
Pour ce garçon, la mort représente une possibilité constante.
Il y a quelques mois, il raconte avoir perdu un de ses camarades enrôlés par les gangs lors d’une violente altercation avec un troisième ami, recruté lui aussi par les groupes criminels.
«Cela me fait mal de le voir mourir ainsi», souffle le jeune homme, les épaules affaissées.
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Le glissement des enfants dans la violence destructrice des gangs affecte également leurs parents.
Comme ce père de quatre enfants dont la fille et le fils, âgés de dix-sept ans, ont été recrutés l’année dernière par «5 Segonn», dirigé par le trafiquant de drogue Izo.
D’après cet homme résidant depuis huit ans à Fort Sainte-Clair, au cœur de Port-au-Prince, les enfants cherchaient des moyens de subsistance qu’il «ne pouvait pas leur fournir.»
En mars 2024, la coalition de gangs «Viv ansanm» a détruit sa petite entreprise informelle de lavage de voitures au bas de la ville, le plongeant davantage dans la précarité.
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«Cela me fait mal, car je n’ai aucun moyen économique pour reprendre mes enfants», dit l’homme, parlant de ses deux enfants orphelins de mère, depuis un camp de déplacés à Port-au-Prince.
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Plusieurs facteurs poussent les jeunes dans la spirale violente des groupes armés.
Mais l’explosion du cocon familial, «la vulnérabilité socio-économique les rend faciles à exploiter», analyse le commissaire de police et responsable de la BPM, Harold Barreau.
Les initiatives publiques et privées pour endiguer le phénomène d’enrôlement des enfants «restent insignifiantes», selon Barreau.
Aujourd’hui, la BPM ignore combien d’enfants font partie des gangs.
Parfois, la police appréhende des adolescents membres de groupes criminels.
Cependant, « n’y a [pratiquement] aucun accompagnement post-carcéral destiné» à ces derniers, constate Jude Chery, président de l’Association des volontaires pour la réinsertion des détenus en Haïti (Avred-Haïti).
Aussi, le risque de récidive reste grand, selon Chery.
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L’Institut du bien-être social et de recherches (IBESR) reçoit les enfants enrôlés amenés par la BPM pour tenter de les réunifier à leur famille biologique, déclare Arielle Jeanty Villedrouin, directrice de l’institution.
Une initiative interinstitutionnelle dans le domaine menée par l’IBESR, il y a un an, tarde à porter des fruits.
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Le garçon de Martissant, désormais membre de «5 Segonn» insiste pour raconter son histoire.
Un ami a logé une balle dans la tête de son frère cadet parce qu’il l’accusait de sortir avec sa petite amie, confie-t-il.
Lui et son frère sont les fils d’un mécanicien de la Grand-Rue de Port-au-Prince et d’une ancienne commerçante.
«Cela me fend le cœur», dit-il d’une voix étouffée, évitant les regards.
Mais «le tour de celui qui a tué mon frère viendra, car je me vengerai», déclare l’adolescent les sourcils froncés. «Et celui qui m’a fait pleurer doit pleurer aussi», continue-t-il.
L’enfant avoue avoir participé à plusieurs attaques.
Par exemple, il avait pris part aux destructions au bas de la ville aux côtés des soldats d’Izo après avoir contribué à l’invasion de Carrefour-Feuille en 2023 avec le gang de Grand-Ravin.
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Entre les murs de cette organisation locale à Martissant, les adolescent.e.s membres de gangs rendent souvent l’État responsable de leur destin tragique.
«Mon rêve était de devenir médecin, et je l’ai toujours dit à ma mère», déclare le garçon de Martissant à AyiboPost.
Image de couverture éditée par AyiboPost illustrant la présence de mineurs dans une manifestation conduite par le puissant chef de gang Jimmy «Barbecue» Chérizier.
Visionnez notre reportage réalisé sur les tactiques utilisées par les gangs pour se préparer contre la force multinationale.
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