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Ma nuit dans la maison hantée de Bizoton

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Notre journaliste Laura Louis a décidé de passer une nuit au milieu des esprits malins et des forces invisibles. Elle raconte son expérience au pays des fantômes.

 

 Je suis journaliste à Ayibopost. J’ai 25 ans, je suis étudiante en Service social. Je n’ai pas l’habitude de céder aux superstitions et les maisons hantées ne font pas partie des croyances auxquelles je cède généralement, mais par conscience professionnelle autant que pour respecter l’injonction de mon rédacteur en chef, je me suis résignée à passer une nuit dans la maison de Mercedes, réputée hantée, pour tenter de partager l’expérience de sa famille.

La maison est peinte de couleur crème et marron avec fenêtres et barrières noires. Elle est grande ; en plus de rez-de-chaussée, elle dispose d’un étage, cependant Mercedes ne loue que cinq chambres. Je frappe à la porte vers 20h et j’entends instantanément une musique forte qui envahit toute la maison. Les paroles me paraissaient nouvelles mais je crois comprendre « Mwen vle sèvi ou Senyè… », une chanson évangélique interprétée par un homme qui habite à l’étage de la maison.

A ce que je sache, une chanson évangélique n’a jamais fait peur à personne ; cependant je ressens une frayeur intense en l’entendant. Je me dis que la locataire a élevé ce barrage sonore pour empêcher les esprits et je commence à croire qu’il y a vraiment des raisons d’avoir la trouille. Mais je ne m’éternise pas sur cette sensation. J’ai une mission à accomplir.

Mercedes m’ouvre la porte avec un large sourire. C’est une jeune femme dans la trentaine, qui vient de Jacmel, elle est infirmière. Depuis son mariage, Mercedes a déjà déserté deux maisons dont elle pense qu’elles étaient hantées. Elle vient tout juste d’emménager dans une grande maison à Bizoton 51. Elle espérait souffler un peu jusqu’à ce que son groupe de prière lui révèle que sa nouvelle maison, elle aussi, est habitée par des fantômes. « Je savais que la zone regorgeait de lougawou, cependant, j’ignorais tout du phénomène des maisons hantées ».

Mercedes raconte que dans les précédentes maisons qu’elle habitait, elle apercevait des manifestations physiques : « Je voyais des gens marcher dans les chambres, j’entendais des sons que je ne parvenais pas à comprendre ». La dame a des pratiques religieuses actives ; elle se rend à l’église tous les dimanches et elle a même une sœur prophétesse – c’est elle qui avertit la famille de presque tous les malheurs qui pèsent sur elle.

L’infirmière vit avec son mari (Simon), sa fille (Esther) de moins de deux ans et une jeune cousine (Stéphanie). La maison n’a rien des maisons hantées que l’on présente dans les films. Elle n’a pas l’air ancienne, elle n’est pas entourée d’arbres. Elle ressemble à toutes les maisons de taille moyenne, de facture moyenne, que l’on peut voir dans tous les quartiers de Port-au-Prince.

Chaque personne me donne sa version des troubles qui agitent leur demeure. Alors que Mercedes ne voit les fantômes que dans ses rêves, Stéphanie parvient à les apercevoir au réveil : « Un soir j’étais étendue sur le lit, j’ai entendu des bruits de pas, je pensais que c’était Monsieur Simon. Je me suis réveillée, personne n’était là. Tout à coup, j’ai vu l’ombre de quelqu’un et la chambre est devenue chaude. Le lendemain j’avais très peur. »

Avant de me rendre à la maison, pour préparer cet article de la manière la plus rigoureuse qui soit, j’ai surfé sur internet et j’ai découvert qu’en plus des films, il y a des histoires anciennes partout dans le monde qui évoquent les maisons hantées. J’ai même appris qu’aux États-Unis, on a déjà assigné le propriétaire d’une maison pour vice caché parce qu’il était au courant que des fantômes logeaient dans sa maison avant de la vendre. On aurait pu penser que cette affaire de maisons hantées est une étrangeté liée au goût haïtien pour les légendes et les esprits nocturnes. Il n’est en rien. Les maisons hantées prospèrent partout.

À 22 heures, Mercedes m’installe dans une pièce où je dois passer la nuit seule ; c’est l’espace réservé aux invités. La chambre est un peu étroite. Je vais dormir sur un lit très bas, en dessous d’une grande fenêtre avec un rideau rouge. Je ferme la porte et je m’attends à une nuit magique.

En réalité, la déception est énorme : j’ai dormi d’une traite, sans être interrompu par quoi que ce soit. Pas un bruit, pas une ombre, rien qui ne me tire même un instant du sommeil profond où j’étais plongé. Quand je me suis réveillée le lendemain matin, convaincue que cette maison était définitivement libre de forces invisibles, je me suis rendu dans la salle à manger. Mercedes m’attend les bras ouverts : « Avez-vous passé une bonne nuit ? » Après lui avoir expliqué que rien ne s’était passé et que j’avais dormi du sommeil du juste, sa cousine Stéphanie s’est exclamé que j’étais une inconnue dans cette maison, qu’il ne s’agissait que de ma première nuit entre ces murs et   que les fantômes, de ce fait, devaient sans doute respecter mon repos. Pour tout vous, dire malgré ma conscience professionnelle, j’ai préféré ne pas tenter le diable une fois encore.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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