Il y avait de cela chez René Philoctète quand il haranguait les consciences endormies, dénonçait l’indifférence au sort des démunis
« Rien n’est à eux, ni le travail ni la misère ». C’est l’Aragon d’Enfer-les-Mines. Il y avait de cela chez René Philoctète quand il décrivait la condition populaire.
« Tu es terrifiant mon frère, comme la bouche d’un volcan éteint ». C’est Hikmet dans sa critique des lâches. Il y avait de cela chez René Philoctète quand il haranguait les consciences endormies, dénonçait l’indifférence au sort des démunis.
« La terre des Tomas d’Haïti étincelle de merveilles telles que nul passant ne pourrait s’imaginer que la détresse, la misère eussent pu prendre racine dans un pareil décor. » C’est l’Alexis de Les arbres musiciens. Il y avait de cela chez René Philoctète quand il opposait ce « merveilleux (qui) fuse de chaque parcelle de terre » aux crimes « des hommes contre l’homme ».
« Qu’est le beau sinon la présence du vrai dans la forme ? » C’est Darwich dans sa proposition du rapport entre l’esthétique et le réel. Il y avait de cela chez René Philoctète quand il écrivait ses « poèmes de salut public ».
On pourrait prolonger à l’infini ce jeu un peu infantile des correspondances. Il ne s’en fâcherait pas. Il avait de la culture, de l’humour, et ‘’enfance faisait partie de ses nombreuses amours. Avec elle Jérémie ; Port-au-Prince ; Dessalines ; Villon ; le plus petit cours d’eau et les fleuves majestueux ; les oiseaux, mais pas l’aigle ; les mendiants et les éclopés ; la beauté triste des sœurs de charité victimes et généreuses que sont les prostituées ; l’idée du pain sur toutes les tables ; « les chiens battus errant sans maîtres » ; la kalinda, le yanvalou ; Margha, l’épouse adorée, « lune en visite à la terre », qui est entrée dans sa vie « comme un peuple au jour des réjouissances » et à laquelle il consacre le plus long poème d’amour de la littérature haïtienne.
D’amours encore, les aquarelles de Cédor ; ses compères de spirales et d’ancrage : Etienne et Fignolé ; « ce bon vieux zigue d’Anthony Phelps » ; la mer, ce qui n’étonne pas chez un nageur majestueux et poète d’archipel ; La Caraïbe et « ces îles qui marchent » ; le foot ; ses enfants pour qui il aurait tout donné ; les jeunes, à condition d’être porteurs d’un humanisme sans fatuité ; faire des blagues terribles sur lui-même, ses amis et ses suiveurs ; recevoir les jours de fastes comme les jours maigres ; lire des poèmes des autres, donner un avis sincère aussi radical qu’amical…
Et jamais de posture d’artiste, de demi dieu solitaire. Haïti littéraire, Le Spiralisme, l’Association des Ecrivains haïtiens, tout en consacrant pendant des années des journées entières à l’enseignement. Les centaines de jeunes qu’il a formés.
Voilà trente ans, jour pour jour, qu’il est mort sans que tous aient enfin compris combien son œuvre est essentielle à Haïti. Haïti dans ce qu’elle a accompli. Haïti dans ce qu’elle a souffert. Haïti dans sa possibilité qu’il voulait promesse de devenir communauté habitable par tous ses membres réunis dans l’abondance, la dignité, le partage.
Ce qu’il y a de beau dans l’humanisme chrétien, dans l’hypothèse communiste, dans l’humanisme vodou – une religion dans laquelle les dieux sont au service des hommes – est présent dans la mystique Philoctète : le triomphe de l’humain dans un partage égal en harmonie avec la nature. Les dieux (du vodou ou des taïnos) sont partout dans l’œuvre de Philoctète (sa poésie surtout, mais aussi son théâtre, ses romans), mais qu’on ne s’y trompe pas. Il s’agit plus d’une mystique de l’humain que d’un mysticisme. Philoctète appelle les dieux pour qu’ils deviennent serviteurs à la table de l’abondance et de l’amour. Il ne les évoque pas, il les convoque.
Car toutes les forces, celles de la nature, celles qu’on voudrait surnaturelles, celle de l’humain, la vraie, celle qui dépend de nous, ne doivent converger qu’à une chose : « une Haïti belle comme un dimanche d’amoureux » dans un monde non moins beau.
« Les tambours du soleil ; Promesse ; Ces îles qui marchent ; Entre les saints des saints ; Monsieur de Vastey, Margha ; Le peuple des terres mêlées, autant de merveilles. Philoctète, c’était le rêve d’un « nous ». Mais aussi un regard impitoyable à ce qui fait obstacle à la constitution de ce nous : le dépendance servile, le mépris du populaire, la violence répressive, le mimétisme ridicule des « élites », le faux-semblant, la paresse éthique.
Ce que Philoctète offre à Haïti, c’est sa mise en langage : le chemin critique vers et la confiance inébranlable dans une Haïti à venir. Parlant de lui, on ne se lassera pas, au risque d’énerver ceux qui n’aiment pas les peuples, de citer le mot de Darwich : « Aucun peuple n’est plus petit que son poème ».
Les autres œuvres publiées. Les inédits en français et en créole. Trente ans qu’un grand malheur nous a frappés. Mais avec René, il ne faut jamais donner raison au malheur ni à la bêtise. Rééditions et publication d’inédits : la maison Deschamps, L’Atelier Jeudi Soir, Atlantiques déchaînés, Edisyon Pwotra. Avec la complicité de préfaciers comme Michel Soukar et Evelyne Trouillot.. Des activités académiques et intellectuelles qui se mettent en place. Un documentaire sur sa vie et son œuvre. Un comité existe, présidé par sa fille Valérie, pour porter tout ça. Bien entendu, sans le moindre intérêt ni soutien du Ministère de la Culture.
Le patrimoine, ça ne s’auto désigne pas. Cité, imité, récité, il est présent chez les jeunes poètes. Et deux de ses poèmes, les originaux en créole et les traductions en français, sont de plus en plus travaillés dans les écoles primaires et secondaires: M chouke et Psom. Les titres disent tout, et les élèves comme les enseignants ne s’y sont pas trompés : « Pourquoi je reste ici ? » Avec comme réponse à la question, ce contre quoi et ce pour quoi je me bats. Et Psom : le pari sur la bonté et la générosité : « Si pou fini m bezwen renmen mwen mande kè mwen vin pi laj pou yo tande li toupatou ».
Ce petit bout d’homme, dans sa vie et par son œuvre, a quelque chose d’un bien commun, chose si rare en Haïti.
René Philoctète, 16 novembre 1932 – 17 juillet 1995
Par : Lyonel Trouillot
Couverture |Portrait du poète et dramaturge haïtien René Philoctète. Source : Inconnue
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