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Lyonel Trouillot | Non, docteur Conille !

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Sans juger de l’individu ou des individus, aucun membre du pouvoir de facto du docteur Ariel Henry ne mérite de rester à son poste

Non, docteur Conille, ne tuez pas le mot « rupture » !

Il arrive que les mots meurent. Quelque chose, quelqu’un vient les détourner de leur sens premier, les rouler dans la farine ou les réduire à une caricature. Enterrer la chose en enterrant le nom de la chose. Ou enterrer la chose sous un faux nom qui la rend invisible en la dénaturant.

Durant le premier quart du XIXe siècle, dans la diplomatie internationale, on utilisait peu ou pas le nom Haïti, c’était une façon de nier l’existence d’une réalité trop radicale pour le capitalisme colonial.

Aujourd’hui, dans certaines sociétés aussi hypocrites qu’arrogantes, on enterre le mot peuple en le caricaturant dans un fourre-tout, la nébuleuse du « populisme ». Il ne faut plus dire peuple. Tous ceux qui disent peuple sont des « populistes », ainsi l’extrême droite et l’extrême gauche, portant pourtant des visions irréconciliables de ce qu’elles appellent peuple, c’est la même chose. Gouvernance remplace gouvernement, on propose aux peuples non des penseurs politiques porteurs de projets humains, mais des directeurs exécutifs qui appliquent des méthodes.

Durant le premier quart du XIXe siècle, dans la diplomatie internationale, on utilisait peu ou pas le nom Haïti, c’était une façon de nier l’existence d’une réalité trop radicale pour le capitalisme colonial.

Ici, on veut enterrer le mot rupture. Le bon docteur Conille est arrivé, Zorro des Américains, accueilli à l’unanimité par un Conseil présidentiel qui prend de plus en plus l’allure d’un parlement croupion. Ils ont belle gueule, les représentants et représentés au sein de ce Conseil, qui réclamaient hier la rupture.

Et, pour l’assurer cette rupture, le bon docteur Conille voudrait garder le ministre de l’Éducation nationale. Pourquoi ? Pour assurer la stabilité ! Pour assurer la stabilité, gardons l’un des ténors d’un pouvoir qui n’aura produit que de l’instabilité et la destruction des institutions. On trouvera certainement d’autres qui méritent d’être gardés tant ils ont servi la patrie.

Un tel acte de la part du Premier ministre imposé signifierait simplement et clairement qu’il méprise totalement le souhait de rupture exprimé par la population. Il réclame un chèque en blanc pour faire ce qu’il veut. Cela aussi entre dans la tradition PHTK et consorts : faire ce que l’on veut. Et ce que l’on suppose que les «blancs» veulent.

Docteur Conille, vous n’êtes pas un leader populaire. Vous n’êtes que le plus acceptable pour l’international dans ses projets, et c’est la faiblesse des acteurs politiques progressistes nationaux qui vous place au pouvoir.

Un tel acte de la part du Premier ministre imposé signifierait simplement et clairement qu’il méprise totalement le souhait de rupture exprimé par la population.

N’enfoncez pas le clou, et ne provoquez pas la population, les progressistes haïtiens, en montrant dès le départ que vous venez assurer une continuité qui ne nous a fait que du mal. Sans juger de l’individu ou des individus, aucun membre du pouvoir de facto du docteur Ariel Henry ne mérite de rester à son poste.

Lire aussi : Lyonel Trouillot | Premier ministre nommé : enjeux et inquiétudes

N’enterrez pas le mot rupture et n’enterrez pas votre notoriété et le (peu de) crédit dont vous disposez en vous montrant inutilement autoritaire dans la défense de la continuité. Si vous vous engagez sur cette voie, personne ne vous croira désireux et capable d’organiser des élections libres et crédibles. Or nous ne voulons plus que qui que ce soit, les Américains, l’UE, le Core group, le gouvernement en place continue de nommer nos élus.

Par Lyonel Trouillot

Image de couverture : Le Premier ministre Garry Conille a reçu l’ampliation de l’arrêté de sa nomination, lundi 3 juin 2024, à la Villa d’Acceuil, à Musseau. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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