Lyonel Trouillot | Folie des livres

Folie des livres. De quoi être admiratif quand on connaît les difficultés liées à la production des livres. De quoi sourire aussi, tant il y a de « livres » qui ne le resteront que pour les auteurs

Livres en folie a le mérite de donner lieu à une folie de livre ou des livres, au moins chez les auteurs.

L’événement reste en cela majeur et fait la preuve annuelle d’une vitalité de la production de livres en Haïti, qui dépasse largement celle de la plupart des autres pays du Sud de sa taille. Dans ce pays, on écrit, on publie.

Les choses portent en elles les défauts de leurs qualités. Cette belle folie des livres a sa part de précipitation, de fumisterie, de ridicule. C’est pareil dans tous les pays, la sortie de livres majeurs et de non-livres.

Ce qui manque sans doute ici, et ce n’est la faute aux foires du livre ni aux auteurs, c’est le caractère systématique et intelligent de la recension. Absence quasi-totale de critique universitaire comme de critique journalistique. Cette remarque n’est pas pour nier les efforts quasi héroïques de journalistes et de chercheurs dont on ne peut que saluer le mérite.

Mais ce n’est pas systématique, rubriqué dans les médias.

Les auteurs autant que les lecteurs sont donc abandonnés à eux-mêmes. La morale de la réception des textes en général et des textes littéraires en particulier reste la pluralité. En France, Mauriac dénonçait comme abjecte la littérature de Simone de Beauvoir, et si des critiques américains avaient vu dans Les Raisins de la colère un chef-d’œuvre aux accents prophétiques, d’autres aujourd’hui oublié ne lui avaient trouvé qu’un réalisme vulgaire.

N’empêche que, justement parce que c’est un espace polémique, la critique ouvre le livre à un débat plus large incluant les conceptions de la littérature, les théories sociales et économiques, les visions du monde et de l’art.

La critique est le lieu où la production littéraire et intellectuelle se prolonge et s’évalue dans ses tendances et ses désaccords. Elle éclaire ainsi les lecteurs qui pourront se demander pourquoi tel critique voit dans un best-seller un minable roman de gare et tel autre un ouvrage important. Le lecteur, bien entendu, garde la liberté de ses choix, mais il n’est pas seul pour son entrée dans la « circulation générale des semences ».

Folie des livres. De quoi être admiratif quand on connaît les difficultés liées à la production des livres. De quoi sourire aussi, tant il y a de « livres » qui ne le resteront que pour les auteurs. Et ce déficit désolant de lectures critiques nous renseignant un peu sur ce vers quoi nous allons. Il faudrait peut-être exiger que les livres soient fabriqués plus tôt, ce qui permettrait à des voix relativement autorisées de les lire en amont et d’accompagner nos choix.

Par Lyonel Trouillot

Image de couverture : 29ème édition de Livres en Folie : 8 juin 2023, Karibe Convention Center. UNIBANK

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