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Lyonel Trouillot | Billet à Gary Victor

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J’ai hésité longtemps avant de me décider à t’écrire ce message

Cher Gary, j’ai lu avec beaucoup d’attention un texte présenté sur les réseaux sociaux comme ta réponse aux questions sur ta participation éventuelle à l’édition 2023 de Livres en folie.

J’ai hésité longtemps avant de me décider à t’écrire ce message. Tant de mésinterprétations, parfois volontaires, des propos de tel ou tel. La recherche du « zen » à la place de celle des questions de fond… Tel journaliste en mal de sensation parlera de « petits meurtres entre gens de lettres ». Tel politicien se cachera derrière des courriers anonymes pour répandre la calomnie. Mais je crois que toi et moi nous avons atteint l’âge où l’on peut laisser dire…

Je suis heureux que ta colère ne te porte pas à parler de censure, de privation de droits. La pétition du refus ne porte aucunement sur la liberté d’expression. Personne, faut-il encore le rappeler, ne demande l’exclusion d’un auteur. Il y a d’ailleurs parmi les signataires des gens à avoir été victimes de censure, d’exil ou d’isolement pour leurs œuvres ou leurs idées. Ce serait paradoxal qu’ils réclament contre d’autres le recours aux mêmes procédés. Pour ma part, je crois que la littérature, les écrits, sont un haut lieu de polémique, d’échanges contradictoires, et que c’est sur le terrain des idées qu’il faut vaincre les idées, jamais par le baillon.

Je suis heureux que ta colère ne te porte pas à parler de censure, de privation de droits.

Tu l’as signalé dans ton texte : la contestation est sur le choix de l’invité d’honneur, non sur la circulation de son œuvre. C’est montrer un peu d’inintelligence ou peut-être de mauvaise foi que de parler de censure. Tel défenseur zélé de l’invité d’honneur a même parlé d’autodafé. Tu l’admets : les organisateurs ont fait un mauvais choix qui allait forcément soulever des questions d’éthique. Tu es d’ailleurs plus virulent envers eux que les pétitionnaires.

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Là où j’ai quelque réserve sur ton analyse – mais je crois que c’est la voix de la colère qui s’est exprimée – c’est lorsque tu parles de ce mauvais choix que toi-même tu dénonces comme prétexte offert à des gens qui ne construisent rien pour détruire Livres en folie.

Qui aurait intérêt à détruire Livres en folie ? Dans un scenario complotiste venu de l’imagination d’un auteur de thriller, on pourrait penser à une banque concurrente, jalouse de la publicité faite à la Unibank ou d’une imprimerie jalouse de l’Imprimeur II. L’intrigue pourrait plaire, mais serait peu réaliste.

Qui aurait intérêt à détruire Livres en folie ?

Combien de fois, toi et moi, avons émis des critiques sur tel salon ou tel autre ! Sur Livres en folie, n’avons-nous pas posé la question des avantages réels pour les auteurs en dehors de l’exposition que la foire assure à leur travail ! Il y a aujourd’hui, au Marché de la poésie à Paris une querelle autour de la présidence d’honneur enlevée à la poétesse et critique cubaine Nancy Morejon à la demande d’anti communistes primaires. Les poètes prennent position, mais personne ne parle de détruire le Marché de la poésie.

Mais là où je crois que ta colère t’a quelque peu aveuglé, c’est quand tu accuses les pétitionnaires d’être des gens n’ayant rien fait pour le livre. Je vois, dans l’impressionnante liste des signataires, des gens de lettres et de culture qui ont fait fonction d’animateurs culturels, de créateurs d’associations et d’événements culturels, de troupes de théâtre, de bibliothèques, de festivals, de maisons d’édition, d’émissions sur le livre, des auteurs d’articles et d’ouvrages d’histoire et de critique littéraire. Leur seul tort est de ne pas disposer d’un capital à la hauteur de leur engagement ou de leur ténacité.

Mais là où je crois que ta colère t’a quelque peu aveuglé, c’est quand tu accuses les pétitionnaires d’être des gens n’ayant rien fait pour le livre.

Pour toi ou moi, pour fauchés, « razè », que nous puissions être à tel moment, une absence à Livres en folie n’affectera pas vraiment notre équilibre budgétaire ni notre reproduction sociale qu’une longue carrière et une relative notoriété nous assurent. Mais je pense à cette jeune maison d’édition qui ne publie qu’en créole et connait d’énormes difficultés financières. Je pense à ces jeunes poètes et romanciers appelés à nous remplacer et peut-être nous surpasser, qui ont besoin que leurs livres soient exposés, achetés, lus. Je pense à ces jeunes enseignants qui organisent des foires et des rencontres littéraires dans les établissements scolaires, rencontres auxquelles il nous arrive à toi et moi de participer. Tous consentent un sacrifice au nom d’une conviction, d’un principe éthique. Pouvons-nous balayer leur geste d’un revers de main ou d’un trait de plume ! Ils sont tous au service du livre, dans des conditions plus difficiles que les nôtres, et ils ont le droit, ici le courage, de prendre position.

C’est surtout sur ce point que je voulais réagir. Pour le reste, je partage les motifs de la colère exprimée dans ton style toujours fougueux.

Amitié littéraire et patriotique.

Lyonel Trouillot


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Poète, romancier, critique littéraire et scénariste, Lyonel Trouillot a étudié le droit.

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