La présentation de la collection d’automne s’achève pour notre maison de haute couture. Le stress a rendu ma patronne hystérique.
Depuis 2 ans, elle est persuadée qu’elle deviendra aussi riche et célèbre que Karl Lagerfeld, que ses créations marqueront les esprits, et que son nom fera la une des magazines people.
Dommage pour elle, car elle va bientôt être obligée de reléguer ce grand espoir dans les cartons de l’oubli, sur l’étagère de ses rêves inachevés. Je la plains, moi, cette mademoiselle Donarte qui a eu la malchance, de se retrouver à la tête des créations Dupuis, à la mort de sa tante, l’incontournable styliste.
Celle-là… elle ne doit pas reposer en paix. Faut dire que sa maison a peu à peu perdu sa réputation après sa disparition. Mademoiselle Donarte avait placé tous ses espoirs dans cette nouvelle collection qu’elle voyait comme le début de la renaissance des créations Dupuis. A 22h00, le lancement se termine, ma meilleure amie était parmi les mannequins et me propose de l’accompagner dans un club branché de la ville, pour célébrer son premier défilé. Chloé a été conditionnée dès son plus jeune âge pour devenir mannequin, elle a passé son premier casting à 5 ans, sans jamais réussir à intégrer une agence, ni à décrocher le moindre contrat. Je comprends qu’elle veuille savourer cet instant de gloire, d’autant que ce sera peut-être le seul !
L’idée ne me déplait pas. D’ailleurs je n’ai pas mis les pieds dans un club depuis bien longtemps. Excitées, nous enfilons nos fringues les plus sexy parce qu’au House Party, le club le plus réputé de la ville, c’est un défilé incessant de célébrités et de paparazzis. Néanmoins, je ne pensais pas passer ma soirée en solitaire… ma tendre et chère copine s’est envolée au bras d’un cadre VIP.
Je lui pardonne, c’est son heure de gloire. Je pense un instant appeler un taxi et rentrer chez moi pour terminer la soirée en matant mon replay de danse avec les stars et mangeant un pot de glace au caramel beurre salé. Toutefois, pourquoi ne pas profiter à fond de ce samedi après toute cette tension ? Ce n’est pas tous les jours que je me trouve dans l’antre des vedettes, un verre vide à la main. Vide, il ne va pas le rester, pas question de faire la fête sans ma dose de « Sex in the beach », fameux cocktail à base de vodka… une vraie tuerie…
Après 3 verres, je commence à me sentir plus légère. L’esprit confus, je monte sur la piste, comme une tornade. Je fais une entrée spectaculaire sur la chanson « Animals » de Martin Garrix Animals. Déchainée sur la piste, je beugle le refrain qui est imprimé dans ma tête : « We’re the fuckin animals ».
Un type mignon danse face à moi, il me dévore du regard. Je le provoque en me déhanchant. Un petit jeu de regard s’engage entre nous, son sourire est magnifique. C’est la première fois que je ressens une telle sensation de bien-être, peut-être est-ce juste l’effet de l’alcool qui atteint son paroxysme. Ultime provocation, je lui fais signe avec mon index de s’approcher. Le corps à corps commence et les danses s’enchainent. Notre désir monte, il me murmure à l’oreille : veux- tu que je t’emmène dans un autre monde ? En pleine ivresse, je ne me contrôle plus et suis consentante à toutes sortes de folies.
Il m’ouvre la bouche et y dépose une petite pilule, puis il me tend un verre et me commande de l’avaler. Je me soumets à ses ordres, incapable de la moindre rébellion dans cet état. Je sens bien pourtant que son intention n’est pas bonne, ma tête va exploser, je ne supporte plus cette musique et cette putain de lumière me brule les yeux. Je vois trouble, je vacille…
Le type me dit : « aies confiance » et il me conduit par la main dans une pièce sombre séparée d’une autre par deux grands rideaux. Il me jette sur un grand sofa rouge et me caresse le visage puis me dévore les lèvres comme une bête sauvage s’attaquerait à sa proie. Il arrache ma robe et mes sous-vêtements avec agressivité. Je tremble devant tant de violence.
Il passe à l’acte sans la moindre pitié, une larme coule sur ma joue. Ce sadique me cloue à terre, je n’ose même pas lever la tête de peur de croiser son regard de prédateur sexuel. Heureusement il s’essouffle, se bat pour en finir sans y parvenir. Je l’entends murmurer : « …me lâche pas… me lâche pas ». Cependant, il manque de puissance pour achever ce qu’il a commencé. Il se relève énervé et me bourre de coups de pied, puis se rhabille en me jetant tout de même un regard de satisfaction. Il fourre ma culotte dans sa poche et disparait.
Je suis vidée, mon corps n’est que douleur. Il faut me relever, retrouver une contenance après une telle épreuve. Mais je tremble trop, je retombe sur mes genoux. J’appelle Chloé… aucune réponse. J’ai froid, mes bras sont sans force, je ne peux même pas enfiler ma robe. Je m’affaiblis, je lutte de toutes mes forces pour ne pas m’endormir. Je m’écroule.
Je me réveille dans une ambulance, Chloé me serre la main avec force. Elle fond en larmes en voyant mes yeux s’ouvrir, me suppliant de lui pardonner. Toujours cette migraine douloureuse. Je ne comprends pas, ce qui vient d’arriver. Chloé m’explique que j’ai été droguée, violée et battue, que l’on m’a retrouvée nue dans le salon VIP. Je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé après que je me sois séparé de ma copine. Mais je me sens salie, humiliée, on m’a volé quelque chose d’indéfinissable.
Aux urgences, je refuse totalement de me soumettre à l’examen post-viol. Exposer mes organes génitaux à une batterie de test pour entendre les médecins radoter sur mon infortune, non cela ne peut me faire du bien. Ce n’est pas à eux de décider si l’on a abusé de moi. Je sais mieux que quiconque ce qu’il est advenu de mon corps. Je n’ai aucune envie de déballer mes souffrances devant un psychologue, un type insensible qui remplira des grilles de mots croisés en m’écoutant évoquer mes malheurs. Je ne porterai pas plainte non plus, par crainte de l’enfer qui m’attend ensuite. De toute façon, cela ne me soulagera pas, cela ne peut remplacer ce truc brisé au fond de moi. Suis-je totalement victime ? A demi seulement, mais ma vie ne va pas se résumer aux évènements de cette maudite nuit, je me le répète sans cesse avant de tomber dans un sommeil profond, de sombrer dans un oubli salvateur…
Louis Galianie
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