SOCIÉTÉ

L’insécurité a plombé les fêtes de fin d’année. 2022 ne s’annonce pas meilleure.

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Des entreprises ont enregistré un important manque à gagner, et elles ont dû mettre à pied un certain nombre de personnes qui elles-mêmes se retrouvent en difficulté.

À la veille des fêtes de Noël, sur la route de Martissant, le représentant du Front Unifié des Transporteurs et Travailleurs d’Haïti au niveau du département des Nippes, Guy Polynice alias Ti Guy est tué par balles. Il est abattu, ainsi que deux autres hommes qui l’accompagnaient.

Ce même 24 décembre, un minibus en provenance de Miragoâne est attaqué dans la soirée par des bandits armés qui ouvrent le feu sur le véhicule. Trois personnes sont mortes sur le coup et plusieurs autres en sont sorties blessées.

Trois jours après, toujours sur la route de Martissant, plus de sept personnes sont tuées par balles et plusieurs autres sont blessées après que des bandits ont ouvert le feu sur deux autobus qui assurent le transport en commun entre Port-au-Prince et le grand Sud.

Sapins, fanaux, guirlandes étaient quasiment absents des bâtiments commerciaux et des maisons.

Ces crimes décrivent l’ambiance des fêtes de fin d’année en Haïti, en 2021. Entre kidnappings, rançonnements et exécutions, cette année l’insécurité a pris des proportions jamais vues. L’ambiance n’a pas été à la fête.

Toutefois, selon Steven Aristil, journaliste culturel, si la population n’arrive pas à fêter comme elle le devrait, l’insécurité n’en est pas le seul facteur. « En dépit de tout, dit le journaliste, des gens ont pris part aux différents spectacles lancés notamment par les groupes musicaux». Pour lui, le débat est aussi économique.

Une économie chamboulée

Pour Enomy Germain, économiste, auteur du livre Pourquoi Haïti peut réussi, l’économie a vraiment entravé la réalisation de plusieurs activités pour cette fin d’année. Mais c’est en grande partie à cause de l’insécurité. Il y a certes les crises politiques et le coronavirus. Mais aucun ne surpasse l’insécurité qui a réussi à impacter l’économie à plusieurs niveaux.

« D’abord, dit l’économiste, il y a un impact sur le plan macroéconomique qui concerne l’économie de manière générale. Ensuite au niveau méso-économique. Des entreprises ont enregistré un important manque à gagner, et elles ont dû mettre à pied un certain nombre de personnes qui elles-mêmes se retrouvent en difficulté. Et enfin il y a les conséquences sur les finances publiques puisque quand l’économie ne fonctionne pas à plein régime, les fonds collectés par l’État sont beaucoup moins importants ».

Cela dit, l’insécurité vient constituer tout un champ économique. Elle affecte non seulement l’actualité, qui est la période des fêtes, mais aussi l’économie de manière beaucoup plus structurelle. D’autant plus que notre économie est liée à la diaspora, poursuit Enomy.

Il n’y a rien qui nous donne l’envie de vivre l’époque dans laquelle on est censé être

Mongetro Goint, qui vit en France, avait souhaité rentrer au pays pour les fêtes de fin d’année. « J’ai acheté mon ticket des mois à l’avance pour ensuite l’annuler quelques jours avant la date de mon vol parce que toute ma famille m’a déconseillé de venir en Haïti », révèle le doctorant en Blockchain.

Selon Enomy Germain, c’est une perte pour l’économie, à cause des dépenses de la diaspora quand elle revient au pays pour les fêtes.

Une Noel ratée

Par ailleurs, à côté des projets annulés, les signes de la Noel n’étaient pas non plus très visibles. Sapins, fanaux, guirlandes étaient quasiment absents des bâtiments commerciaux et des maisons. Mais encore, peindre sa maison, changer ses meubles pour ceux qui ont les moyens, les changer de position pour ceux qui ne peuvent pas se payer de nouveaux, organiser des fêtes de quartier… sont autant de pratiques qui se sont laissées désirer en cette fin d’année.

Mais, selon Germain Cadet, étudiant finissant en psychologie à la Faculté d’ethnologie, l’année 2021 lui a appris qu’on ne fête pas en fonction de l’époque mais plutôt de l’endroit où on se trouve. Décidé à mettre cette leçon en pratique, Germain Cadet a choisi de se rendre à Petit-Goâve pour les fêtes.

Là, dans sa ville natale, les décorations n’étaient pas non plus au rendez-vous. Cependant, le vingtenaire s’est réjouit de pouvoir au moins circuler avec un peu plus d’assurance que lorsqu’il est dans la capitale.

Mais par mesure de sécurité, le curé a demandé de l’entamer environ deux heures plus tôt pour que les personnes n’aient pas de difficultés à emprunter les rues pour y venir.

À Port-au-Prince ou Cap-Haïtien, d’où Steven Aristil est récemment revenu, l’ambiance n’était pas différente. « Il n’y a rien qui nous donne l’envie de vivre l’époque dans laquelle on est censé être », note le journaliste. D’autant plus qu’en raison d’un mouvement de kidnapping enregistré sur la route du Nord, sa famille qui se réunit tous les 24 décembre n’a pas pu le faire cette année.

La religion aussi…

Les activités religieuses, très importantes pendant les fêtes de fin d’année, ont aussi pris un coup. Ronalson Blanfort, membre du comité de l’association juvénile de l’église baptiste de Delmas Béthel, a lui-même été obligé de renoncer à l’organisation de la traditionnelle soirée de gala du club dont il fait partie.

Sur la route de rail, à la paroisse Saint Monique, le réveillon qui est la partie culturelle des festivités, d’habitude organisé très tard le soir, a été annulé. Et la traditionnelle messe de minuit a été célébrée à huit heures du soir au lieu de minuit.

« La décision tient compte du climat sécuritaire », informe le Père Jesse Bélizaire qui dirige la cérémonie depuis maintenant trois ans.  Changement qui a été très bien accueilli par les fidèles catholiques de la paroisse, puisque beaucoup de personnes ont répondu à l’appel, selon le curé.

Il y a aussi le fait de commencer la nouvelle année sans budget. Aucun budget n’a en effet été adopté. Sans compter que sur le plan sanitaire, le variant Omicron du Covid-19 fait peser une incertitude majeure.

Pour continuer à célébrer la messe de minuit, d’autres paroisses ont quant à elles pensé à des stratégies différentes. Président des acolytes de la paroisse de l’église épiscopale d’Haïti, Richardson Cadéus explique qu’une première partie a toujours lieu avant la messe.

Il s’agit des vêpres qui ont généralement lieu vers dix heures du soir. « Mais par mesure de sécurité, le curé a demandé de l’entamer environ deux heures plus tôt pour que les personnes n’aient pas de difficultés à emprunter les rues pour y venir. Cette première partie dure jusqu’à 11 heures cinquante du soir. Après quoi on enchaîne avec la messe ».

Inquiétantes perspectives

Quoiqu’il en soit, la célébration de la période des fêtes de fin d’année est une tradition qui pourrait bien disparaître, croit Steven Aristil. Selon lui, depuis 1990, aucune génération n’a vécu une vraie Noel.

L’année qui vient ne semble pas en mesure de faire déjouer ces prédictions pessimistes. « Nous allons entrer en 2022 avec un ensemble de risques qui pèseront sur toute la nouvelle année, prévient Enomy Germain. Il y a d’abord le risque politique lié aux périodes électorales qui sont accompagnées d’incertitudes. Or lorsqu’il y a incertitude, l’économie ne va pas bien ».

Il y a aussi le fait de commencer la nouvelle année sans budget. Aucun budget n’a en effet été adopté. Sans compter que sur le plan sanitaire, le variant Omicron du Covid-19 fait peser une incertitude majeure. Une situation qui doit nous interpeller, selon l’économiste qui rappelle que quand l’économie mondiale est incertaine, les économies nationales en subissent les contrecoups.

Et bien évidemment, il y a le risque social puisque l’insécurité n’est pas combattue dans ses racines et qu’elle sera bien présente en 2022. Ce, au côté d’une économie qui ne crée pas de richesses depuis trois ans.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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