SOCIÉTÉ

L’innacceptable tolérance des Haïtiens sur les réseaux sociaux

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Parmi les choses que je déteste à propos de  l’Internet, il y a le fait qu’il a offert à tous, même aux connards et aux dangereux, un espace de liberté d’expression quasi-totale. Les e-leaders et influenceurs de tout acabit y foisonnent et sont suivis par des centaines de personnes, parfois des milliers. Bien sûr, certains de ces influenceurs, ne sont pas si dangereux que cela lorsqu’ils ont affaire à une audience ayant la capacité de comprendre. Toutefois, ils n’en demeurent pas moins  des idiots comme par exemple une vlogueuse qui prône l’utilisation du coca cola pour se blanchir les dents . Néanmoins,  ces e-leaders peuvent aussi avoir affaire à d’autres personnes n’ayant ni la capacité, ni l’envie d’aller plus loin que ceux qu’ils lisent ou entendent, ou encore à des gens dont la tolérance face à l’absurde n’a pas de limite.

L’humour noir est un outil à double tranchant souvent utilisé sur le net. Il y en a que cela fait rire, et il y en a que cela n’amuse pas du tout. Si des goûts et des couleurs on ne peut en discuter et qu’au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, certains rappellent leur droit de blaguer ou rire de tout, je ne peux m’empêcher de penser combien cette formule fait souvent d’eux des hypocrites. Au fond, ces pseudo-humoristes savent bien qu’il y a des sujets (comme la pédophilie) dont ils ne pourront rire qu’en leur for intérieur ou au sein de leur groupe Facebook ou Whatsapp entre sadiques et dégénérés. Jamais ils n’oseront le faire ouvertement sur Facebook ! Et pas seulement pour sauvegarder l’image idéalisée d’eux-mêmes qu’ils vendent sur les réseaux sociaux, mais aussi parce qu’ils se feraient lyncher. Qu’importe le niveau de décadence dans lequel patauge notre société, il y a des choses qui restent jusqu’à présent inacceptables, malgré l’hypocrisie généralisée.

Illustrons ! En 2018, l’opinion publique a reçu avec choc la nouvelle de l’assassinat de deux jeunes femmes qui laissaient derrière elles leurs rêves et deux magnifiques petites filles : Marlène Colin et Juslène Jean Charles, qui décédèrent sous les coups d’Ernest Rigaud et Emmanuel Charles, leurs conjoints et bourreaux respectifs. Puis, il y a eu le cas de la mairesse de Tabarre dont les bleus et le visage tuméfié par les coups de Yves Léonard a fait beaucoup de bruit, autant sur le net que dans les taptap, dans les écoles, dans les quartiers et même dans les couloirs d’institutions publiques. Bien-sûr l’opinion publique a condamné, s’est insurgée, s’est lamentée, fut outrée que des femmes puissent encore être victimes de violences conjugales. Mais comme toujours, certains ont pris le contrepied en  justifiant ces meurtres et bastonnades, ceci avec des raisonnements bancals et insensés.

La violence conjugale  affecte des milliers de femmes chaque année en Haïti en les laissant sans réel recours juridique, et, pour les survivantes, avec des stigmates pour le restant de leurs jours ; cette violence qui brise des familles, traumatise des enfants lorsqu’elle ne leur enlève pas leur mères, a indigné la grande majorité. Même si la justice haïtienne fidèle à elle-même n’a rien su faire de concret dans la majorité de ces cas, les débats et prises de position ont clairement fait comprendre que la violence conjugale est et reste inacceptable.

Un connard parmi d’autres a eu l’idée, pour récolter son plein de « like » et nourrir son égo, de publier cette « blague » sur son mur Facebook :

« Si w gen menaj ou li twonpe w, pa bat li / Pa kite l ou pap jwenn yon pi bon rele l / fè ti pale avèl, èè ti karese l, mete tèt li sou lestomak ou, karese l epi kase kou l. »

Un internaute a dénoncé le mauvais goût de la publication, puis un autre. Mais bien-sûr très vite, il y a eu une pléthore de facebookeurs pour le défendre. Leur argument principal : il ne s’agissait là que d’humour noir. Les dénonciateurs de cette blague de mauvais goût, étaient accusés d’être des moralisateurs voulant détruire un citoyen juste pour une blague. Alors je me suis dit, entre le type qui a publié cette merde et le groupe qui l’a défendu, lequel est le plus dangereux ? Appeler à la violence est une chose, penser qu’on peut en rire est une autre mais tenter de le justifier ou le défendre, c’est le comble ! C’est quoi donc cette manie de tolérer l’intolérable au nom de la liberté d’expression ? D’où nous est venue l’idée que quelqu’un qui déclare qu’il a droit de vie et de mort sur une personne qui consentirait à vivre une relation sentimentale avec lui, est de l’humour ? Comment osons-nous nous indigner face au meurtre de deux femmes victimes de violence conjugale et rire lorsqu’un internaute banalise cette violence qui brise des vies ? Mais surtout, à quel point notre esprit est-il pourri pour essayer de justifier un appel au meurtre dans une société déjà fragilisée par la violence et  le règne de l’impunité ?

En classe de philo, j’ai eu un professeur de philosophie incroyable, M. Charles Beaudelaire Petit Frère. Le premier jour de classe, il a lancé cette question anodine: « Pourquoi devons-nous aider notre prochain ?» Il y a eu beaucoup de réponses, celle qui a fait sourire M. Petit-Frère fut celle-ci : « Parce que Dieu nous le demande dans la Bible. » Son sourire complaisant s’est transformé en rictus féroce lorsqu’il a répondu à ma camarade: « Non mademoiselle, vous ne le ferez pas parce que Dieu vous l’a demandé, vous devrez le faire parce que c’est à quoi vous appelle votre bon sens ! ».

Etre moins con, n’a jamais tué personne. Alors messieurs dames, surtout à ceux qui veulent blaguer et rire de tout, je souhaite que 2019 soit pour vous, l’année où le bon sens débarquera dans votre vie avec fracas !

Johanne Elima

J'écris parce que le monde est dégueulasse. Le jour où il ne le sera plus, je me mettrai au chant!

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