CULTURE

Les plus belles « polémiques » de l’histoire du compas

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T-Vice contre Djakout. Kreyòl La en face de Krezi Mizik. Ou Nemours Jean Baptiste contre Webert Sicot… difficile de dire quel duel a eu le plus d’impact

Quiconque veut dresser l’histoire du Compas se retrouve en face de rivalités parfois triviales, souvent prolifiques, mais toujours féroces.

Nemours Jean Baptiste donne naissance au Compas. Il accouche aussi sa première polémique à la fin des années 1950.

Pour affiner les griffes de son genre musical tout neuf, Nemours s’en prend au Jazz des jeunes.

L’artiste n’a pas fait dans la dentelle. Bien vite, il traite ses rivaux de « Vye granmoun … tan w fin pase ». Jazz des Jeunes répliquera, musicalement, bien que les jeunes finiront par adopter le rythme du flamboyant Nemours.

Le second acte des polémiques prolifiques met encore en scène l’initiateur du compas, suite à la sécession de Webert Sicot, un de ses propres musiciens.

Après la rupture, Sicot introduit Cadence Rampa, un rythme alternatif au Compas. Ce rythme ne fera pas long feu, mais la rivalité entre son créateur et Nemours est considérée comme une des plus prolifiques de toute l’histoire de la musique haïtienne.

Les deux maestros étaient restés de bons amis. Ils ont simulé un match de football au stade Sylvio Cator le 8 avril 1964. La rencontre s’est soldée sous le score d’un but partout.

L’organisation du match ainsi que le score était planifié par les deux camps. Après la partie de football, le maestro Sicot était passé rendre visite à Nemours vers minuit, à sa résidence privée dans le quartier de Martissant.

Une éternelle rivalité

C’est dans le Nord que prend naissance l’autre « polémique » mythique du Compas.

Le Jazz Capois, fondé en 1941, s’est transformé en orchestre Caraïbes en 1955. Ces deux groupes sont l’ancêtre de l’orchestre Tropicana, fondé le 15 août 1963.

Tropicana prend naissance dans le milieu populaire au Cap-Haïtien. Inversement, l’orchestre Septentrional — née le 27 juillet 1948 — affiche des origines élitistes au Cap, ce qui la met dans une rivalité avec Tropicana. Cette rivalité persiste encore après plus de cinquante ans.

Tropicana était traitée de tous les noms et a vu toutes les couleurs au cours de ses premières années face à l’élite capoise qui défendait Septen du bec et des ongles.

Malgré tout, la plupart des musiciens des deux institutions musicales sont de bons amis. Ce qui ne facilite pas nécessairement des rapprochements.

Lire aussi: Grandeur et gloire de l’orchestre Septentrional

Selon Louis Mercier, relationniste de Septen, plusieurs personnalités tentent sans succès d’organiser de grands spectacles avec ces deux groupes.

« Depuis plus de dix ans, je caresse l’idée, impossible à réaliser jusqu’à aujourd’hui, de mettre Tropicana et Septen sur la seule et même scène », déclare Mercier.

Après le carnaval organisé au Cap-Haïtien en 2013, le président Michel Martelly a voulu organiser un tandem avec ces deux géants pour clore les festivités, mais les musiciens de Tropicana se sont moqués de lui et ont traité Septen de « petit groupe », rapporte Mercier.

L’âge d’or des polémiques

Les années 1970 et 1980 sont souvent considérées comme l’âge d’or du Compas. C’est aussi une longue et richissime période de grandes « polémiques ».

Tout commence avec le duel Difficiles-Gypsies. Robert Martino avait laissé les Difficiles qu’il a lui-même fondé pour aller mettre sur pied en 1970 les Gypsies avec quelques anciens musiciens de son ancien groupe.

En 1976, Robert Martino abandonne les Gypsies pour introduire le Scorpio Universel. Les Difficiles de Pétion-Ville se sont transformés en DP Express et étaient en « polémique » avec le Scorpio. Cette rivalité a marqué la musique haïtienne à la fin des années 1970 et au début des années 1980 lors des carnavals à Port-au-Prince.

Le duel DP-Scorpio est aujourd’hui retenu pour son caractère modéré.

Des luttes de marché

À partir des années 1970, Tabou Combo contrôlait de main de maitre le marché du Compas de New York. Cette domination sera contestée par Skah-Shah avec ses albums à succès.

Cette percée créera des discordes entre les deux groupes, quoique Shoubou et Cubano, chanteurs emblématiques de Tabou et de Skah-Shah, aient toujours été de bons amis.

Le slogan «#1» appartenait à Tabou Combo en raison de sa suprématie à New York de 1970 jusqu’à 1974 qui est l’année de naissance de Skah-Shah.

Lire aussi: Que signifient Shleu Shleu, Tabou Combo ou « les Gypsies »

Skah-Shah va s’accaparer le slogan de Tabou Combo pour en faire la signature du groupe. En réponse, Tabou sort une chanson titrée « Wrong Number » pour tirer à boulets rouges sur les musiciens de Skah-Shah.

« Je suis conscient de l’époque de fureur de Skah-Shah en opposition à Tabou dans les années 1970, confie Herman Nau, co-fondateur de Tabou. Mais au sein de Tabou Combo, nous avons utilisé toutes les armes du marketing afin de reprendre le contrôle du marché de New York. »

De cette époque, Herman Nau se rappelle la première défaite de toute l’histoire de Tabou Combo face au Skah-Shah. Il met cette défaite sur le compte de complots de certains journalistes et promoteurs.

« Un groupe d’animateurs a organisé deux bals avec Tabou Combo et Skah-Shah, précise Nau. Ils ont fait beaucoup de promotions pour le bal de Skah-Shah et ignoré celui de Tabou. Comme résultat, Skah-Shah a fait salle comble, alors que les bals de Tabou étaient des fiascos. »

Une kyrielle de batailles

Le Compas contemporain connait aussi son lot de « polémiques ».

Au cours des années 1990, un « beef » éclate entre Sweet Micky et Mizik Mizik. Le sobriquet « Ti Simone » attribué à Michel Martelly était le titre d’une chanson carnavalesque à l’apothéose de la polémique. La rivalité ne fera pas long feu. Les deux ténors sortiront ensemble plusieurs chansons.

D’autres luttes ont jalonné les dernières années. Zenglen et D’zine étaient en polémique à la fin des années 1990 jusqu’en 2000 avant la dissolution de D’zine. Gracia et Gazzman qui étaient respectivement chanteurs de ces deux groupes sont toujours en compétition jusqu’à date.

Après la dissolution de Konpa Kreyòl en 2005, Kreyòl La et Krezi ont connu une polémique musicale assez respectueuse.

Aujourd’hui, si Klass et Nu-Look ne sont pas en polémique, ils n’ont pas de bons rapports non plus. Surtout après les échauffourées enregistrées dans un bal à New York, dans le club Amazura le 29 août 2014.

Deux duels simultanés

Le groupe T-Vice avait deux adversaires entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. D’un côté, Djakout Mizik l’attaquait à fond depuis à l’époque où Gracia Delva était chanteur de ce groupe. De l’autre, c’était Sweet Micky qui attaquait toute la famille des musiciens de T-Vice. Avec Sweet Micky, l’obscénité a atteint son apogée.

Le duel T-Vice et Sweet Micky n’avait rien à voir à la musique. Tout a commencé lors d’un face-à-face à Distinction Night-club où Sweet Micky allait interpréter Sensation (Bidi Bidi Banm Banm) un tube de T-Vice qui est une adaptation de Selena Perez.

Roberto Martino, chanteur de T-Vice était mécontent et a gravi le podium afin d’empêcher les musiciens de Sweet Micky d’interpréter sa propre chanson contre lui.

Quelques jours après, le propriétaire de l’infini Night-club à Kenscoff annule une activité hebdomadaire que T-Vice organisait dans son espace au profit de Sweet Micky qui célébrait son anniversaire.

Lire enfin: Pourquoi autant de « love » dans le compas ?

Pour boycotter cette soirée d’anniversaire les musiciens de T-Vice ont promptement organisé un spectacle gratuit sur la place Saint-Pierre à Pétion-Ville afin de bloquer la route menant à Kenscoff.

La fête de Sweet Micky a été une déception en termes d’affluence.

Après cette action posée par l’équipe de T-Vice, Roberto Martino et Bouboul, l’un des responsables du groupe, se sont moqués des musiciens de Sweet Micky. Michel Martelly aurait par la suite pris de force une somme d’argent que le propriétaire de L’infini devait donner à T-Vice. C’est ce qui aurait jeté de l’huile sur le feu.

Le duel T-Vice Sweet Micky a duré environ quatre ans avant que les musiciens du groupe Mizik Mizik, anciens adversaires de Sweet Micky, réunissent les deux camps en 2002 pour une réconciliation.

Roberto Martino et Michel Martelly ont participé sur le projet « Ayiti Twoubadou » de Fabrice Rouzier et Kéké Bélizaire. Ces derniers étaient donc dans l’obligation de chercher l’entente entre les deux camps afin de rendre possible les concerts dudit projet.

Après la réconciliation, Michel Martelly a présenté des excuses à Jessy Alkhal, mère des musiciens de T-Vice. Les deux groupes ont fait ensemble une chanson. Robert Martino, père des musiciens de T-Vice, a prêté ses services à Sweet Micky pendant plusieurs années.

L’autre duel phare des deux dernières décennies prend place entre T-Vice et Djakout. Depuis des années, ces deux géants s’opposent dans les bals, les festivals et surtout lors des carnavals.

Nazaire «Nazario» Joinville

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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