SOCIÉTÉ

Les immigrants haïtiens ont du mal à trouver des ressources aux États-Unis

0

Les immigrants haïtiens semblent perdus dans leurs premiers jours aux États-Unis malgré une grande quantité d’informations mise à leur disposition

Read this piece in English.

4 juillet, fin d’après-midi. Binghamton, au nord de l’État de New York.

Les quatre frères Dure sont assis sous le porche et sirotent des bières en se remémorant les barbecues du 4 juillet passé. Cela fait plus de trente ans qu’ils célèbrent l’indépendance de leur pays d’adoption.

Ayant immigré aux Etats-Unis au début des années 90, les premiers des Dure ont commencé à quitter Haïti à la fin des années 50, bien avant eux. À l’époque, la vie était dure – avec un racisme flagrant, le froid et un salaire minimum de moins de 5 dollars de l’heure. Ils ont dû comprendre l’anglais rapidement, dans un environnement complètement nouveau où l’orientation et l’adaptation n’étaient pas faciles. Cependant, leur priorité était de s’intégrer rapidement, et ils ont fini par y parvenir. Entre les années 70 et 90, la famille a réussi à faire vivre trois générations qui se sont installées aux États-Unis.

Lire aussi: TPS : l’attente interminable pour les demandeurs haïtiens

« Aujourd’hui, la plupart des Haïtiens parviennent à comprendre un peu l’anglais. Ils ont accès à la culture via la musique et les films. Et surtout, il y a ça », dit Denis en montrant son smartphone. Lorsque lui et son petit frère ont terminé leurs études secondaires aux États-Unis, le téléphone portable n’existait pas. L’internet n’était pas populaire non plus. Que ce soit pour savoir quelle route emprunter, comment obtenir un permis de conduire ou pour recueillir des informations sur l’immigration, le « comment faire » était beaucoup moins accessible dans les années 1990 et avant. Pour tout, il fallait se référer aux Haïtiens déjà installés aux États-Unis.

Difficile de se débarrasser du bouche-à-oreille

Entre 2010 et aujourd’hui, les Haïtiens qui quittent le pays sont plus jeunes et plus instruits. Les données sur la population des migrants haïtiens aux États-Unis (publiées par Migration Policy en août 2020, révisées en septembre 2022), montrent qu’environ 77 % des immigrants haïtiens étaient en âge de travailler, entre 18 et 64 ans. 79% des Haïtiens âgés de 25 ans et plus avaient un diplôme d’études secondaires ou un plus haut niveau, et le nombre d’immigrants haïtiens ayant une licence ou un diplôme supérieur était d’environ 19%.

« On a beau avoir des diplômes, être des professionnels de carrière, être habitués à faire des recherches sur Google, mais une fois ici, le réflexe reste de s’adresser aux Haïtiens de la communauté pour tout », soutient Farah Odney. Elle a migré au début de l’année 2022.

Lire ensuite: Maltraitances, abus de confiance… des migrants haïtiens attaquent les USA en justice

Comme de nombreux immigrants haïtiens, elle compte sur le soutien de sa famille. Ainsi, à son arrivée, Odney a cherché des informations auprès de sa famille et de ses connaissances. Les informations abondent, mais sont souvent obsolètes, parfois totalement erronées. Pour cette professionnelle de l’audiovisuel, ce réflexe est susceptible d’être abusé.

Olivier Condé et sa femme, deux jeunes professionnels du marketing à succès, ont déménagé aux États-Unis en 2015. Comme les Dure, de nombreux membres de leur famille étaient déjà installés à New York, et la plupart de leurs cousins sont nés aux États-Unis. Par conséquent, les premiers jours d’Olivier et de sa femme en tant qu’immigrants ont été différents.

Chaque fois qu’ils avaient une question ou un besoin, leurs cousins les renvoyaient à la source. Pour ouvrir un compte bancaire ou louer une maison, ils étaient dirigés vers le site Web d’une banque ou d’une agence immobilière. Par conséquent, ils ont cessé de demander pour chercher eux-mêmes l’information.

Chaque jour, de nombreuses informations sont partagées sur internet. La plupart d’entre elles concernent l’immigration.

Le lecteur de flux RSS en ligne freemium, Feedspot, donne accès à plus de 50 blogs et sites web qui publient des informations précises et des mises à jour sur l’immigration aux États-Unis, les crédits et la manière dont les immigrants peuvent trouver leur chemin dans le pays. Et il existe pas moins de 25 podcasts et chaînes YouTube sur le sujet.

Des organisations communautaires pour guider

Dès lors, les immigrants qui se présentent au Haitian Women’s Office for Haitian Refugees (HWHR) sont envoyés par d’autres personnes qui ont déjà été aidées. L’organisation fournit des services d’immigration à la communauté depuis trente ans. Avec le soutien des centres d’immigration et de cabinets d’avocats offrant des services pro bono, le HWHR accompagne les Haïtiens tout au long du processus d’immigration.

L’organisation a accueilli de nombreux immigrants haïtiens qui sont entrés dans le pays en traversant la frontière américano-mexicaine. De 2010 à aujourd’hui, le flux d’immigrants haïtiens vers les États-Unis a augmenté.

Lire enfin: Haitian immigrants struggle to find resources in the US

En raison de la loi COVID-19, la durée de la libération conditionnelle humanitaire varie actuellement entre six mois et un an. Les permis de travail et leur validité sont liés à la durée de la libération conditionnelle humanitaire. L’USCIS a un retard dans la délivrance de la carte de permis de travail. Les immigrants n’ont donc pas assez de temps pour soumettre leur demande.

Parfois, l’organisation ne peut pas aider les nouveaux arrivants aussi rapidement qu’ils le souhaiteraient en raison du manque d’avocats disponibles. Elle a également observé que les immigrants s’adressaient à des personnes qui n’étaient pas assez qualifiées pour les aider à obtenir un permis de travail, ce qui les expose à la fraude.

Ninaj Raoul, cofondatrice et organisatrice communautaire de l’association Haitian Women for Haitian Refugees, a souligné que « l’important est de survivre, et l’attente peut être frustrante. »

Pour y remédier, l’organisation et d’autres partenaires souhaitent produire de courtes vidéos d’information afin de continuer à fournir le meilleur soutien possible.

Un réflexe lié à quelque chose de plus profond

Huit immigrants haïtiens sur dix interrogés admettent qu’ils n’appellent pas ou ne se rendent pas dans les bureaux administratifs, par crainte de ne pas parler correctement l’anglais ou par peur d’être ridiculisés. Sept d’entre eux disent que c’est fortement lié au manque d’accès à l’information et aux services publics dans leur pays d’origine. La question de la langue est un élément essentiel qui empêche les immigrants d’aller chercher des ressources.

« Je crois que pour les générations de vingt, trente, quarante ans et plus, nous gardons ce réflexe car nous émigrons d’un pays où l’information n’est pas facilement accessible et les services encore moins. Obtenir des services de l’administration publique est en quelque sorte devenu un privilège. Tout s’obtient plus facilement par contact, » explique Olivier Condé.

Ainsi, même s’ils se retrouvent dans un nouvel environnement, ils ont tendance à oublier que l’accès à l’information est un droit, et non un privilège, quel que soit leur statut dans le pays.

Traduction française par Didenique Jocelyn et Sarah Jean.

Comments