Entre autres facteurs, la situation globale de l’insécurite en Haïti continue d’impacter leur santé mentale
Les immigrants haïtiens vivent un grand stress aux États-Unis et certains sont sujets à des maladies mentales, car la conjoncture politique et la détérioration de la situation économique et sécuritaire ont poussé beaucoup d’entre eux à émigrer ces dernières années. Ils sont également confrontés à la difficulté de s’adapter à une nouvelle culture dans leur quête pour de meilleures conditions de vie.
Les systèmes de croyances culturelles, le coût élevé des traitements et le manque d’information font partie des obstacles qu’ils rencontrent, et la recherche de soins de santé mentale reste un défi et un tabou pour beaucoup qui préfèrent se tourner vers la religion ou d’autres moyens pour résoudre leurs problèmes de santé mentale.
Victoire Paul, 42 ans, mère de trois enfants, vivait en Floride. Elle a déménagé dans le Delaware après que son partenaire ait été assassiné en janvier 2022, dans le centre-ville de Port-au-Prince, en Haïti. Elle a quitté Haïti avant l’assassinat, le 17 août 2021, en raison de la crise politique – abandonnant son emploi de caissière à l’Office d’Assurance Véhicules Contre Tiers (OAVCT), une institution gouvernementale responsable de l’assurance automobile en Haïti.
Les immigrants haïtiens vivent un grand stress aux États-Unis…
« Cette transition est très compliquée pour moi. Le stress est principalement lié aux difficultés de trouver un emploi et un moyen de transport pour moi et mes enfants. Je me sens déprimée et je n’arrive pas à dormir convenablement. Parfois, je pleure la nuit », confie-t-elle.
À la suite de l’assassinat de son partenaire, l’école que fréquentait le fils de Victoire Paul en Floride lui a proposé une aide psychologique. Pour cette mère de trois enfants l’accès à une thérapie n’était pas possible en raison de contraintes financières.
La situation est un peu différente pour Olson Pierre, 48 ans, qui vit actuellement au Nord de Miami. Il a quitté Haïti pour la République dominicaine après avoir failli être kidnappé. Plus tard, il a quitté la République dominicaine pour s’installer aux États-Unis. En tant qu’immigrant, il doit s’adapter à un nouveau mode de vie et à une nouvelle culture tout en gardant un lien avec Haïti. Pour lui, ce qui se passe en Haïti pèse également sur les immigrants haïtiens vivant aux États-Unis.
Et certains sont sujets à des maladies mentales…
« Le sentiment d’impuissance vous rend nerveux et en colère. Lorsque vos proches vous appellent et vous font écouter les tirs d’armes lourdes à Port-au-Prince alors qu’ils sont sous le lit, cela vous stresse, » dit-il. Vivre aux États-Unis est très difficile pour lui. Il reconnaît qu’il se sent parfois déprimé. « C’est un pays très stressant, les États-Unis ».
Selon l’American Psychology Association (APA), une grande variété de problèmes de santé mentale, dont l’anxiété, la dépression, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT), la toxicomanie, ainsi qu’une prévalence plus élevée de maladies mentales graves et de pensées suicidaires, ont été détectés parmi les populations immigrées aux États-Unis.
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Alberta S. Honoré, 36 ans, mère d’un enfant et vivant à Boston, est confrontée à de graves sentiments de dépression depuis la mort de son père, décédé du COVID-19, il y a deux ans. Lorsque son père était malade, elle n’a pas pu le voir en raison du protocole hospitalier visant à éviter la propagation du virus. Au lieu de cela, la famille a dû lui faire ses adieux par le biais d’une conférence téléphonique Zoom avant son décès.
« Il voulait mourir en Haïti, et a rendu son dernier souffle seul dans une chambre d’hôpital. Nous n’avons pas pu digérer de le voir mourir comme ça », explique-t-elle.
Honoré se sent toujours déprimée et la situation en Haïti aggrave sa dépression. À ce jour, elle n’a jamais consulté un spécialiste en santé mentale.
« C’est un pays très stressant, les États-Unis »
– Olson Pierre
On manque de données sur les maladies mentales chez les immigrants haïtiens vivant aux États-Unis, en raison du manque d’études et du fait que la plupart des gens ne demandent pas d’aide.
Plus généralement, les communautés noires sont 20% plus susceptibles de connaître de graves problèmes de santé mentale par rapport à la population générale.
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Basée en Floride, Dr Guerda Nicolas est une psychologue haïtiano-américaine agréée mettant l’accent sur le bien-être des enfants, des familles et des communautés. Elle affirme que les problèmes qui touchent le plus les Haïtiens sont la dépression et la schizophrénie.
D’après ses observations, les immigrants haïtiens ont trois façons distinctes de décrire leur dépression : de la douleur dans le corps, le secours de Dieu et le combat d’une bataille insurmontable. Le Dr Nicolas indique que la plupart des termes utilisés par les sciences occidentales de la santé mentale pour décrire les problèmes de santé mentale et la maladie mentale n’existent pas dans l’imaginaire et la culture haïtiens.
Les problèmes qui touchent le plus les Haïtiens sont la dépression et la schizophrénie.
Selon ses constats, le mot traumatisme n’existe pas non plus dans la culture haïtienne. En créole, les gens utilisent « chòk lespri » pour décrire le traumatisme. Pour la dépression et l’anxiété, les Haïtiens utilisent surtout des expressions idiomatiques ou courantes comme « kè m sou biskèt » (Je suis anxieux), « tèt mwen cho » (je suis dépassé), « kò m pa bon » (je ne me sens pas bien) ou « mwen dekouraje » (je suis découragé).
« Nous avons passé beaucoup de temps dans les communautés rurales d’Haïti pour mieux comprendre les concepts utilisés par les Haïtiens », déclare-t-elle.
La schizophrénie est également un problème grave chez les Haïtiens. Les hommes sont plus touchés que les femmes et, selon le Dr Nicolas, elle est causée par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux. « Les personnes atteintes de schizophrénie entendent souvent des voix dans leur tête. Elles ne peuvent pas discuter avec les gens pendant trop longtemps. Elles ne peuvent pas garder un emploi pendant une longue période et refusent de participer à des activités sociales. Elles préfèrent rester isolées ».
Le mot traumatisme n’existe pas non plus dans la culture haïtienne.
Jinia Williams, thérapeute agréée et directrice du programme de santé mentale à Sant la, aide les Haïtiens qui doivent faire face à des traumatismes en Floride. À Sant la, ils aident les enfants qui sont nés avec ou qui sont confrontés à différents types de traumatismes tels que les traumatismes sexuels, les abus physiques, les accidents de voiture et les traumatismes communautaires.
Les traumatismes sexuels chez les enfants proviennent principalement de viols perpétrés par des membres de famille. Le traumatisme communautaire fait référence aux événements traumatisants qui peuvent survenir dans les communautés, comme la violence armée aux États-Unis, la violence des gangs et les troubles civils en Haïti.
« Lorsque des fusillades de masse se produisent aux États-Unis, les enfants sont traumatisés et certains ne veulent plus retourner à l’école, » explique-t-elle.
Williams indique que la communauté haïtienne est confrontée à de nombreux problèmes tels que les catastrophes naturelles, le COVID-19, les barrières linguistiques, la vie avec des étrangers et les escroqueries qui visent les immigrants haïtiens, les dépouillant de leurs ressources. Tous ces facteurs créent davantage de traumatismes et de problèmes de santé mentale. Les migrants haïtiens qui ont traversé la frontière l’année dernière présentaient également des symptômes associés à la dépression et à l’anxiété.
Les traumatismes sexuels chez les enfants proviennent principalement de viols perpétrés par des membres de famille.
« Ils ont laissé quelqu’un derrière. Ils doivent faire face à la séparation et aux nouveaux ajustements dans un nouveau pays. Certains adultes ont été violés dans les forêts. Quand ils partagent leurs histoires, c’est vraiment triste, » révèle Madame Williams.
Les immigrants haïtiens sont confrontés à de nombreux défis et obstacles qui les empêchent de demander de l’aide. Les trois spécialistes en santé mentale contactés par Ayibopost soulignent que la plupart d’entre eux ne demandent pas d’aide lorsqu’ils sont confrontés à une maladie mentale ou à des problèmes de santé mentale. Cela est dû en partie aux systèmes de croyances culturelles, aux limitations financières, au manque de connaissances et d’infrastructures pour accueillir ceux qui ont besoin d’un traitement intensif et à long terme.
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Le Dr Stéphane Degraff, psychiatre dans le sud de la Floride, affirme qu’il reçoit davantage de patients de la communauté latine et de la communauté amérindienne. Selon lui, les Haïtiens viennent chercher un soutien en matière de santé mentale lorsque leur famille le leur demande ou après avoir été amenés par les forces de l’ordre aux urgences pour s’être comportés de manière étrange en public. « Lorsque des Haïtiens ont été amenés par la police, ils étaient délirants et paranoïaques ou avaient des hallucinations et ils avaient besoin d’un traitement. Parfois, ils ont connu des crises psychotiques, » dit-il.
Selon le Dr Degraff, non seulement ils ont du mal à suivre le traitement nécessaire à leur rétablissement, mais ils ont aussi des croyances mystiques.
« Souvent, le patient est allé chez le psychiatre, a reçu un traitement contre la dépression, et croit encore qu’un voisin en Haïti essaie de le tuer. »
Les Haïtiens viennent chercher un soutien en matière de santé mentale lorsque leur famille le leur demande ou après avoir été amenés par les forces de l’ordre…
Pour le Dr Guerda, le système de croyances culturelles est un blocage pour les membres de la communauté haïtienne qui cherchent un traitement pour la schizophrénie, par exemple. Le fait que cette maladie soit également génétique rend très difficile son acceptation par la famille.
« Parfois, les gens pensent que c’est un esprit (comme les loas, qui sont des esprits dans le vodou haïtien) qui a fait quelque chose à leur proche. »
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L’autre obstacle auquel les immigrants haïtiens sont confrontés est le coût élevé des traitements et le manque d’infrastructures pour les personnes confrontées à des problèmes de santé mentale. Le coût moyen d’un traitement de psychothérapie variait entre $100 et $200 dollars, avec une moyenne de $130 dollars au niveau national, pour une séance de 50 minutes en 2018. Une personne en Floride avait besoin de $125 dollars par séance de thérapie, le coût moyen à Miami étant de $200 dollars en 2018. À New York, il fallait également débourser en moyenne $125 dollars par séance. En outre, dans certains cas, les thérapeutes sont moins susceptibles d’accepter une assurance par rapport à d’autres spécialités médicales.
Seuls 28,1% des Américains vivent dans des quartiers où les services de santé mentale répondent à leurs besoins et il y a un manque de couverture médicale pour les maladies mentales graves par rapport aux plans Medicaid. Dr Guerda et Dr Williams mentionnent tous deux le manque d’établissements publics de placement résidentiel pour les personnes souffrant de maladies mentales en Floride.
En outre, dans certains cas, les thérapeutes sont moins susceptibles d’accepter une assurance par rapport à d’autres spécialités médicales.
L’Office of Veteran Affairs (OVA) ne s’adresse qu’aux anciens combattants de l’armée et il y a des étages dans certains hôpitaux pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
Par rapport à d’autres États, la Floride est en retard en ce qui concerne les établissements de santé mentale. Il existe un établissement de santé mentale à Orlando, mais il est privé et son coût est très élevé.
Une nouvelle tendance se dessine dans la communauté afro-américaine : les hommes sont encouragés à demander une aide psychologique pour faire face à un traumatisme. Williams affirme que cela n’existe pas encore dans la communauté haïtienne. « À Sant la, beaucoup de pères haïtiens assistent aux séances de thérapie avec leurs enfants. Ils connaissent l’importance de la thérapie, mais ils ne demandent pas d’aide, » déclare-t-elle.
Olson Pierre est conscient de l’ampleur du stress auquel il est confronté aux États-Unis et ne ressent toujours pas le besoin de recourir à des soins de santé mentale. « Pour nous qui venons d’Haïti, parler des problèmes de santé mentale est un peu tabou, » dit-il. Pour faire face à la dépression, il va souvent à la salle de sport, écoute de la musique, lit ou fait du vélo dans son quartier.
Victoire Paul, mère de trois enfants, n’a toujours pas vu de thérapeute un an après l’assassinat de son partenaire en Haïti. Elle compte sur l’église et Facebook pour faire face à la situation. Alberta S. Honoré reconnaît qu’elle a besoin d’une aide psychologique, mais elle n’en a jamais le temps en raison de sa vie trépidante à Boston.
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Bien que le système de croyances culturelles puisse empêcher les immigrants haïtiens de chercher à obtenir des soins de santé mentale, Thomas A. Vance, PhD, pense que les traitements de santé mentale adaptés à la culture peuvent être une approche pour lutter contre les disparités en matière de bien-être psychologique dans la communauté noire. Le Dr Degraff mentionne également que la religion et la méditation peuvent faire une différence dans la vie des gens.
Pour obtenir de l’aide en cas de problèmes de santé mentale, les Haïtiens aux États-Unis peuvent contacter les services suivants :
- À Miami, composez le 211 pour parler à quelqu’un en toute confidentialité. Les services sont disponibles en créole, en espagnol et en anglais. Vous pouvez également obtenir de l’aide en composant le 305-358-HELP (4357) ou le 305-631-4211.
- Consultez le site Internet de Sant la pour obtenir plus d’informations sur leur programme de santé mentale : https://www.santla.org/ ou appelez le 305-573-4871 pour prendre rendez-vous ou demander de l’aide.
- Joignez la ligne d’assistance nationale pour la prévention du suicide au 1-800-273-TALK (8255).
- Pour plus d’informations sur les ressources et le soutien en matière de soins de santé mentale, la ligne d’assistance de The National Alliance on Mental Illness (NAMI) est joignable du lundi au vendredi, de 10 h à 18 h et au 1-800-950-NAMI (6264) ou par courriel à info@nami.org.
Traduction française par Didenique Jocelyn et Sarah Jean.
Photo de couverture : un homme noir en état de stress | © Nicola Barts/Pexels
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