Souvent, les enfants adoptés disparaissent sans laisser de trace
La précarité pousse des milliers d’Haïtiens à confier leurs enfants à des centres d’accueil, ou à les faire adopter. La plupart de ces enfants quittent le pays, sans que leurs parents aient aucune possibilité de les retracer ou d’avoir de leurs nouvelles.
Beaucoup de parents ne savent pas comment fonctionne l’adoption internationale. « Les “madan sara” sont parfois victimes, dit le journaliste Michel Joseph. N’ayant personne pour garder leur enfant, elles les confient [parfois] à une crèche pour pouvoir vaquer à leurs activités commerciales. À leur retour après huit ou quinze jours, on annonce que l’enfant est déjà adopté et qu’il a voyagé ».
Dans d’autres situations, les parents biologiques sont victimes de fausses promesses. « Parfois [les crèches, orphelinats ou missions étrangères] leur promettent une maisonnette ou de l’argent, sous prétexte d’un parrainage, en échange de l’enfant ».
Les reportages de Michel Joseph à la Radio Caraïbes ont permis de relier une vingtaine de parents haïtiens avec leurs enfants éparpillés à travers le monde. Pour systématiser ce travail, le journaliste vient de lancer le 6 mars dernier, Voie d’Espoir. Plusieurs centaines de parents ont fait le déplacement, documents jaunis par le temps à la main, pour lancer des recherches sur des enfants disparus parfois depuis des dizaines d’années.
Aucune nouvelle
Originaire de Petit-Goâve, Bernadette Auguste fait partie des parents participants. En 2002, elle a donné naissance à Mikerlange Louis-Jean, une fillette au teint noir, et aux yeux ronds. Depuis 2005, la commerçante de 52 ans vit avec un profond regret dans l’âme : elle n’a plus de nouvelles de son enfant qu’elle a eu la chance de cajoler seulement pendant ses trois premières années.
« Après l’accouchement, j’étais venue habiter avec ma sœur à Thomassin, raconte Auguste. Je n’avais pas les moyens de prendre soin de l’enfant. J’avais perdu mon mari peu de temps après sa naissance ». Des proches lui ont conseillé de donner la petite fille chez Yvette Cadet, qui dirigeait une église à Thomassin 38. « On m’avait dit que cette dame a un “Blanc” qui voulait adopter deux enfants haïtiens », dit Auguste.
En 2010, lors d’une visite de Yvette Cadet, après le tremblement de terre, Auguste reçoit deux photos de sa fille, Mikerlange Louis-Jean, qui désormais vit aux États-Unis. Les nouveaux parents, Bruce et Judy A. Arnett, ont changé le nom de la fille, comme c’est souvent le cas pour les adoptions internationales. Elle s’appelle maintenant : Hannah Joy Louis-Jean Arnett.
Selon Bernadette Auguste, Yvette Cadet a laissé Haïti définitivement avec sa famille. Elle a toujours refusé de la mettre en contact avec la famille Arnett.
Manque d’informations
La quasi-totalité des parents interviewés ne détient pas d’informations complètes sur l’orphelinat où ils avaient confié leurs enfants. C’est le cas de Fritzner Louis et Pierre Dalida, un couple marié depuis 12 ans.
En juin 2010, Pierre Dalida a donné naissance à Pierre Dawensley. Elle n’a jamais revu le père de l’enfant, après l’accouchement. Peu de temps après, elle entame une relation avec Fritzner Louis. « Dawensley a été confié à un orphelinat à Thomassin 32, en 2011, puisqu’il ne se portait pas bien et qu’on ne pouvait pas prendre soin de lui », dit Pierre Dalida.
Questionné sur l’orphelinat et le responsable de l’institution, le couple ne sait quoi répondre. L’enfant a été confié aux bons soins de « madame John », et la principale responsable de l’institution était « miss Magalie », explique Fritzner Louis.
Pierre Dawensley est parti en France en décembre 2013. Depuis, c’est le silence total. La famille n’a plus de nouvelles.
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Pour tenter de pallier cette situation, Voie d’Espoir compte utiliser plusieurs pistes. « Le plus important est le nom des parents biologiques et le nom d’origine de l’enfant adopté », dit Joseph Michel.
L’institution souhaite alimenter sa base de données en informations sur les parents biologiques. « On est en contact avec des communautés d’adoptés hors du pays, dit Joseph. Cette base de données facilitera les adoptés lorsqu’ils recherchent leurs parents biologiques. En un clic, ils pourront voir si leurs profils correspondent à la description faite par les parents déjà enregistrés sur la plateforme. »
Michel Joseph croit que l’impact de son travail non financé par aucun bailleur de fonds ne sera pas immédiat. « En fonction du volume des informations recueillies à travers le temps, ce sera beaucoup plus facile aux adoptés de retrouver les parents biologiques vivant en Haïti ».
Législation inefficace
La première loi sur l’adoption en Haïti date de 1974. Ce texte ne considérait pas l’adoption internationale. Il sera modifié en 2013, pour en tenir compte. Aussi, de 1974 à 2013, de nombreux enfants ont été adoptés par des étrangers sans l’autorisation de l’État. « C’étaient pour la plupart de fausses adoptions qui pouvaient s’apparenter à la traite des personnes », dit Michel Joseph.
L’Institut du Bien-Être social et de la Recherche est l’organisme qui reçoit les dossiers des candidats à l’adoption et décide des apparentements, pour combattre le trafic illicite des enfants en Haïti. Selon un cadre de cette structure de l’État qui demande l’anonymat, l’adoption nationale devrait être privilégiée. Normalement, l’adoption internationale est envisagée en dernier recours lorsqu’aucune autre solution n’a pu être trouvée dans le pays d’origine.
L’adoptant international doit fournir un document d’identité ; un document d’évaluation psychologique ; un certificat médical ; un casier judiciaire ; un relevé bancaire ; une lettre de travail et un agrément. Des frais de 20 000 gourdes aussi sont requis par le service d’adoption de l’IBESR.
Cependant, les maisons d’accueil ne fonctionnent pas toutes selon les règles tracées par la loi. En 2018, sur 754 espaces hébergeant des enfants en Haïti, seulement 202 avaient une accréditation. 139 de ces espaces méritaient d’être améliorés, 398 étaient de mauvaise qualité. Trois d’entre eux méritaient d’être « fermés en priorité » pour cause d’abus sexuels, et 304 pour cause d’abus physiques. 161 centres étaient introuvables.
C’est souvent la précarité qui pousse les familles à livrer leurs enfants à des crèches ou des orphelinats. Joseph Louista a dû abandonner en 2004 ses jumeaux à une crèche à Jacquet Toto, une localité de Pétion-Ville. Cette cultivatrice vit de l’agriculture dans la ville des Cayes. Elle est aussi femme de ménage, par moment.
« Je ne savais pas quoi faire avec les enfants après la mort de leur père. Sur les conseils de ma belle-sœur, j’ai placé Anchello et Anchella Joseph dans cette crèche. Quelques mois après, les enfants ont quitté Haïti et depuis, je n’ai reçu aucune information », raconte Joseph Louista.
Comme des milliers d’autres parents, Louista espère un jour rencontrer ses enfants, en pleine forme, et probablement déjà professionnels accomplis pour pouvoir l’assister économiquement.
Emmanuel Moïse Yves
Les photos sont de Valérie Baeriswyl
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