CULTUREEN UNERECOMMENDEDSOCIÉTÉ

Adoption en Haïti: Cri de désespoir

0

Haïti fait partie des dix premiers pays donneurs en adoption internationale. La dégradation des conditions de vie porte des milliers de parents à livrer leurs enfants en adoption afin de leur garantir un meilleur lendemain. Devenus adultes, ces enfants veulent souvent retrouver leurs géniteurs. Le plus souvent vainement.

« Au fond de moi, il y a comme un vide. Je ne sais pas qui je suis en réalité. Je n’ai pas de repères. J’aimerais retrouver mes souvenirs juste pour me sentir complète », confie Katia Marie, qui, après 21 ans d’adoption en France, a tenté le pari de retrouver ses parents biologiques en Haïti.

Adoption-Anais

Pour fuir l’horreur des jours sans pain, sa mère l’a confiée en 1993 à une crèche gérée par des religieuses à Port-au-Prince. Dans son dossier d’adoption, il est rapporté que son père ne souhaitait pas la reconnaître. Comme 90% des enfants adoptés en Haïti, le cas de Katia-Marie s’inscrit dans la catégorie d’adoption plénière, laquelle coupe les liens définitivement avec les parents biologiques.

«Je n’ai pas énormément d’informations concernant ma famille biologique, si ce n’est le nom de ma mère qui s’appelait Lorvecia Dorelice. Et je sais qu’elle avait deux autres enfants, Manoucheka et Stéphanie »

 


Malgré le confort de leur vie occidentale, ces enfants adoptés éprouvent des manques souvent insupportables. Ils s’interrogent sur le sens de leur existence. Leur couleur de peau, différente de celle de la famille adoptive est un facteur déterminant leurs troubles. Ce qui les pousse rechercher leurs parents biologiques en Haïti.

Adotion - Anais 2

« Je ne sais absolument rien de ma famille biologique. Aucune information n’avait été transmise à l’orphelinat qui aidait mes parents adoptifs dans leurs démarches », déplore Anaïs Wilmise Hamel. Il y a 22 ans, elle a été placée à l’orphelinat Notre Dame de la Victoire, à Port-au-Prince, avant d’être adoptée par une famille française.

Un mal nécessaire  pour les familles Haïtiennes   

85% des enfants haïtiens confiés en adoption ne sont pas orphelins. Beaucoup de parents, à cause de la pauvreté, n’ont d’autres choix que de remettre leurs enfants à des maisons d’accueil. Souvent ces parents démunis le font sans trop bien cerner les conséquences de leur acte. Se débarrasser  du fardeau  est à la fois un soulagement de leur quotidien  difficile et un investissement pour leur propre future.

 « Les gens confient leurs enfants en adoption avec l’espérance, qu’une fois grands, ces enfants les soulageront de leur pauvreté », révèle Erick Pierre-Val, travailleur social dans une institution œuvrant dans la protection de l’enfance.

Selon un rapport de l’Unicef, de concert avec l’organisation Terre des Hommes,  plus de 50% des enfants haïtiens  sont considérés comme  pauvres et plus de trois millions d’entre eux vivent  dans des conditions difficiles. Beaucoup d’enfants sont privés de leurs familles. L’Institut du Bien-Etre Social et Recherche (IBESR) a recensé près de  770 orphelinats actuellement en Haïti.

En 2010, après le tremblement de terre du 12 Janvier, deux mille quatre cents (2,400) enfants haïtiens ont été adoptés. Ce chiffre  représente 6% de la totalité des adoptions enregistrées dans le monde cette année-là, avait expliqué le président du comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, Jean Zermatten, après une visite  d’évaluation en Haïti en 2012.

Les autorités haïtiennes ont été alertées par des organisations internationales sur la forte augmentation du nombre d’adoption  en Haïti. De nombreux enfants avaient quitté le pays  sans  aucune  autorisation légale.

Une  réforme  pour changer la donne  

L’adoption a  pour but de pourvoir aux besoins d’un enfant par l’établissement d’une filiation désirée par la famille d’accueil. Cependant, au cours des années 60 en Haïti elle avait perdu son sens humanitaire. Abus, trafics,  un tableau sombre qui inquiétait plus d’un.

La décennie qui suit, 1960-1970, l’adoption internationale s’est instaurée dans les mœurs mondiales, un ensemble de lois a été adopté en vue de réguler cette nouvelle pratique. Ainsi, la première loi haïtienne sur ce sujet a été votée le 25 février 1966.

Ce n’est que le 24 avril  1967  que les États  membres du Conseil de l’Europe  avaient ouvert à la signature  la première convention européenne en matière  d’adoption  des enfants. (L’Adoption, Joelle Duchet-Nespoux, éditions de Vecchi, 2001). Huit ans plus tard, Haïti avait dû modifier sa législation en fonction des tendances mondiales par la loi du 4 avril 1974 car  elle ne répondait  pas aux nouveaux principes de protection des enfants édictés par les instruments internationaux d’alors.

Les abus  divers soufferts par les enfants  à travers le monde  ont porté la communauté internationale  à mobiliser les États autour de la problématique de la protection de l’enfant. Ainsi, la nouvelle législation haïtienne sur l’adoption internationale est entrée en vigueur le 15 novembre 2013.

Avant cette  période, les autorités Haïtiennes, ayant perdu tout contrôle sur le système, certains étrangers en ont profité pour enlever des enfants et essayer de les faire traverser la frontière Haïtiano-dominicaine de manière clandestine, comme ce fut le cas de missionnaires américains (Paris-Match, 2010 ; Rudaz, 2011).

Par ailleurs, les crèches pouvaient refuser certains enfants porteurs du VIH-SIDA ou en fonction de leur âge, parce qu’elles pratiquaient seulement l’adoption internationale. Ce qui paraissait paradoxal, puisque l’adoption vise justement à protéger les enfants vulnérables. Cette problématique fait justement partie du délaissement et de l’exclusion des enfants à besoins spéciaux dans toutes les adoptions internationales (Hofstetter et Freire, 2005; Piché, 2013).

De plus, certaines crèches réduisaient considérablement les visites des parents biologiques ou des tuteurs après le placement des enfants (Hofstetter et Freire, 2005; Jean- Louis, 2008). L’adoption internationale en Haïti était ainsi comparée à une activité mercantile.

Selon Arielle Jeanty Vildrouin, Directrice de l’Institut du Bien-être Social et de Recherches (IBESR), organisme responsable de la protection de l’enfance en Haïti, ces réformes visent à mieux protéger les enfants  contre les abus de toutes sortes des adoptants. «  Aujourd’hui, nous pouvons nous réjouir  de cette  réforme  en matière d’adoption en Haïti. Avec cette  réforme, le  processus  d’adoption a beaucoup plus de garantie », rassure-t-elle.

La reconnexion, un problème majeur

Très souvent, au moment de confier leurs enfants, les mères signent des documents, sans être imbues de leurs contenu. Dans le cas d’enfants adoptés par des étrangers, la nouvelle loi haïtienne favorise l’adoption plénière prononcée en Haïti. Cette  forme est obligatoire pour les Haïtiens lorsqu’il s’agit d’un enfant orphelin ou abandonné, puisque de facto le lien de filiation n’existe plus.

L’adoption simple reste en vigueur pour l’adoption intrafamiliale, nationale ou internationale lorsque les adoptants sont des Haïtiens de la diaspora.

Un certain nombre d’adoptions échappent au contrôle des autorités. Ce processus ne suit pas toujours  les procédures légales.  Des étrangers  rentraient  au pays  et profitaient des mauvaises conditions de vie des familles  démunies pour partir avec des enfants au mépris du cadre légal. C’est le cas  de  Florida Raphael. Sa fille, Carline Joseph, a été  adoptée  à St Michel de l’Attalaye (Nord d’Haïti)  par une famille Belge en 1980 à l’âge  de 2 ans par le biais d’un prêtre catholique. « Ils m’avaient promis qu’à 18 ans,  je pourrais  revoir mon enfant. Ce qui n’a jamais été  fait, et  je n’ai aucune trace, aucun  contact avec  ces gens », se plaint-elle.

 

Après plus de 21 ans, Katia-Marie  citée plus haut, a finalement retrouvé les traces de sa mère biologique en Haïti  après la diffusion d’un reportage sur les ondes de radio Caraibes à Port-au-Prince après qu’elle eut lancé  sa recherche  sur les réseaux sociaux. « C’est quelque chose que j’espérais depuis tellement longtemps que  maintenant que c’est arrivé, je peine à trouver les mots », témoigne-t-elle.

Sa mère, Marie Lorvecia Dorelice, 49 ans, habite avec ses quatre enfants à  Cité Fort Dimanche, un quartier défavorisé de Port-au-Prince. Confier  Katia  à un orphelinat  était pour elle  la seule option,  après   le refus  de son mari d’assumer ses responsabilités de père, « Quand Katiana était née, la situation était déplorable pour moi. Je ne voulais  pas la perdre. Ainsi, j’ai cherché un endroit plus sûr pour la garder en vie », confie-t-elle, l’air soulagé.

Tandis que ses conditions de vies  étaient  précaires, en 1993, plus de  vingt ans  plus tard, la situation  de  Marie Lorvecia  n’a pas  changé.

  

Malgré les déboires et expériences malheureuses causés par l’adoption illégale de l’après 12 janvier, l’adoption reste aux yeux des familles pauvres d’Haïti un espoir de vie  améliorée à la fois pour l’enfant et pour la famille biologique. De son côté, l’adopté porte souvent un jugement sévère sur la décision des parents biologiques de l’avoir confié à d’autres personnes. La pauvreté n’est pas un argument pour justifier une telle décision de la part d’une mère ou d’un père.

Entre  2012 et  2015, un total  de  1113 enfants ont  été  adoptés  en Haïti  par des  familles  étrangères , selon les statistiques  du  service d’adoption  de l’Institut du Bien-Etre  Social et de Recherche(IBESR), organisme d’État – relevant du Ministère des Affaires Sociales et du Travail. Parmi  les  10 pays d’accueil, Les Etats-Unis, La France, La Belgique  et la Hollande  arrivent en première  position.

Aujourd’hui,  si ces enfants  adoptés, en quête  d’informations sur les traces  de leurs  parents  d’origine,  témoignent de leur désolation, les parents biologiques en Haïti sont inconsolables. Certains souffrent en silence alors que d’autres multiplient des  démarches et continuent de nourrir l’espoir de pouvoir un jour  rétablir le contact avec leurs progénitures.

Lorvecia et Katia-Marie font partie des très rares exceptions de retrouvailles. Elles n’ont été possibles que par la  magie des médias sociaux et la chance qu’une annonce sur une radio haïtienne ait été entendue par un proche de Lorvecia, la mère. Katia-Marie a été chanceuse. Mais les milliers d’enfants susceptibles de se retrouver dans pareille situation n’ont-ils pas le droit de se référer à une institution qui leur dise dans quelles conditions et par qui ils ont été confié pour adoption ?

Michel Joseph

Michel Joseph est Journaliste. Il travaille à Radiotélévision Caraïbes depuis Septembre 2012 comme Reporter et Présentateur. Michel Joseph s’intéresse aux sujets à caractère social. Il a remporté le prix du Jeune Journaliste Haïtien de l’OIF dans la catégorie Presse Radiophonique.

    Comments

    Leave a reply

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *