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Artibonite : les agriculteurs forcés d’abandonner leurs terres face aux gangs armés

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Se trouvant à la merci des hommes lourdement armés, de plus en plus de cultivateurs abandonnent leurs terres dans la vallée

L’agriculteur de Petite-Rivière de l’Artibonite a presque tout perdu. Sa plantation de riz, équivalant à quatre hectares, a été prise de force par des hommes armés.

«J’ai dû abandonner une grande partie de mes terres parce que je ne pouvais plus m’y rendre depuis juin 2022. Les bandits contrôlent tout», regrette l’homme qui refuse de dévoiler son nom par peur de représailles.

Depuis avril 2019, des communes comme Verrettes, Liancourt, Petite-Rivière de l’Artibonite et l’Estère font face à une situation d’extrême violence due aux affrontements divers entre le «Baz gran grif» de Savien, les hommes de «Ti Mepri» et de «Palmis».

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Les membres de la population sont confrontés à toutes sortes d’exactions commises par ces hommes armés, telles que des saisies de biens, des vols et des destructions.

Erold Joseph habite à Dessalines. Il fait des études d’agronomie à Saint-Marc. Il est aussi membre d’organisations paysannes. En décembre 2022, alors qu’il était sur la place publique de cette ville, il rencontre un vieil homme, cultivateur, qui lui explique avoir fui sa localité Barrière-Léon, située à une trentaine de minutes en voiture de la ville de Saint-Marc. Un après-midi d’octobre 2022, des hommes armés ont envahi sa localité et ont commencé à tout détruire. Ce jour-là, lui et sa famille ont été sauvés de justesse. Afin de s’éloigner le plus possible de la fureur vrombissante de ces hommes, ils ont été obligés de partir en toute hâte, laissant tout derrière eux.

Les membres de la population sont confrontés à toutes sortes d’exactions.

Ayant dû partir en toute hâte, ils n’ont pu emporter que quelques vêtements et ont désormais du mal à subvenir à leurs besoins à Saint-Marc.

Erold Joseph connaît beaucoup d’autres agriculteurs qui ont fui leurs domaines d’exploitation dans le bas Artibonite à la merci des bandits armés.

« Je connais des gens qui cultivaient leurs terres, mais aujourd’hui, se retrouvent dans les villes à survivre grâce à la mendicité. Les plus chanceux vivent des transferts de la diaspora ou se convertissent en petits distributeurs de boissons gazeuses », explique Erold Joseph.

Au marché de Pont-jour à Marchand Dessalines, où l’on vend habituellement du riz, les bandits extorquent de l’argent aux petits marchands. Wesly, un habitant de Petite-Rivière, rapporte : «Pour pouvoir vendre leur riz, les marchands doivent payer les gangs».

Les échanges commerciaux à travers les deux plus grands marchés du bas-Artibonite, L’Estère et Pont-Sondé, sont de plus en plus ralentis. Habituellement, les commerçants y vendent des produits agricoles tels que le riz et d’autres denrées provenant de leurs champs. Actuellement, les principales voies d’accès menant à ces lieux sont complètement bloquées par des gangs.

Des gens qui cultivaient leurs terres se retrouvent dans la mendicité.

Cette réalité touche particulièrement les planteurs qui assistent, impuissants, au pillage de leur bétail et récolte. Des bandes armées saisissent les parcelles de terre des paysans puis les revendent. Parfois, avec un peu de chance, les planteurs sont confrontés à des demandes de rançon ou de partage lors de la saison des récoltes.

Depuis six ans, Jeanys Frémiot cultive les trois carreaux de terre que lui a légués son père à Guérot, située à environ dix minutes de la localité de Palmis. En juillet 2022, sa vie a basculé.

« J’étais en route pour me rendre à mon jardin qui se situe à une trentaine de minutes de marche de chez moi, quand j’ai entendu des coups de feu », témoigne Jeanys Frémiot.

Le paysan avait peur, mais a continué à marcher. « Alors que je m’apprêtais à traverser un petit cours d’eau pour arriver au jardin, j’ai entendu des coups de feu, raconte-t-il. Deux motos se sont arrêtées derrière moi et des hommes armés en sont descendus. Ils ont commencé à me hurler dessus, me menaçant avec leurs armes. Ils ont dit que je n’avais plus aucun droit sur ces terres, qu’elles leur appartenaient désormais », explique Jeanys Frémiot, un agriculteur rivartibonitien. L’homme explique avoir tout laissé aux bandits et être rentré chez lui, tremblant de rage.

Cette réalité touche particulièrement les planteurs qui assistent, impuissants, au pillage de leur bétail et récolte.

A 32 ans, Frémiot s’inquiète pour l’avenir de ses deux fils, car il n’est plus en mesure de payer leurs scolarités.

« Je ne sais plus quoi faire. J’ai abandonné mes terres, mes bêtes et ma maison là-bas. C’était tout ce que j’avais. Moi, ma femme et mes enfants, nous vivons chez un ami à Carrefour-feuille maintenant ».

Avec ses 28 000 hectares de terres irriguées, la vallée de l’Artibonite produit près de 80 % du riz dans le pays, lit-on sur le site Relief Web. Une production qui risque de baisser à son niveau le plus bas si aucune mesure n’est prise pour redresser la situation.

« S’il n’est pas encore possible d’évaluer l’impact de la prolifération des gangs armés sur la production agricole dans le bas-Artibonite, il est toutefois évident qu’elle a considérablement baissé », relate Erold Joseph.

Dans son dernier bulletin paru en mars 2023, la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA) démontre que l’insécurité alimentaire touche près de 50 % de la population. Un chiffre qui alarme, mais qui risque de s’aggraver.

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Avant l’intensification des activités des gangs armés, les cultivateurs de la vallée faisaient déjà face à de multiples problèmes tels que : pénurie d’eau, absence d’investissements dans le secteur, manque d’infrastructures, et le réchauffement climatique qui bat son plein.

Watson Thermilus, délégué de la commune des Verrettes, confirme : « Mis à part la sécheresse, les endroits accessibles aux paysans sont sous l’emprise des bandits ». Une situation qui entraînera des conséquences considérables sur la hausse du prix des produits lors de la saison des récoltes de juin et juillet, poursuit-il.

L’ancien député de la commune des Verrettes, Vickens Dérilus, montre que « les difficultés de curage, de pertes de main-d’œuvre agricole, de manque d’irrigation, entraînent une dépendance alimentaire du pays vis-à-vis de l’étranger ». Les paysans qui arrivent plus ou moins à produire des denrées, le font pour subsister. « Cette pratique ne rentre aucunement dans une politique de production à vocation commerciale visant à concurrencer l’importation, continue Dérilus. Tous les paysans qui misaient sur l’agriculture comme source unique de revenu deviennent complètement décapitalisés. Cela va amplifier aussi le départ massif de ces personnes vers d’autres villes ou vers l’étranger. »

Des bandes armées saisissent les parcelles de terre des paysans puis les revendent.

Face à l’insécurité affectant l’activité agricole dans le bas-Artibonite, « Rétablir la sécurité » reste l’option centrale pour améliorer la situation des planteurs et faciliter le retour normal des activités agricoles dans la vallée.

Il faudra trouver la meilleure stratégie possible pour «forcer les hommes armés à battre » en retraite et aussi élaborer des programmes d’inclusion sociale pour les jeunes des localités concernées. Il faudra aussi élaborer des programmes d’accompagnement social et économique en vue d’aider ceux qui ont tout perdu lors des affrontements armés.

C’est aussi l’avis d’Erold Joseph qui croit qu’il faut agir non seulement sur les facteurs structurels, comme l’absence d’infrastructures agricoles adéquates dans la vallée, mais aussi les facteurs conjoncturels liés aux activités des gangs armés. Il prône l’élaboration d’un plan de sécurité menant à des actions concrètes pour contrer les activités criminelles.

Jérôme Wendy Norestyl & Wethzer Piercin

Photo de couverture : Des agriculteurs dans la vallée de l’Artibonite | © Roberto Schmidt/AFP


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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