Insécurité

Les gangs déploient de nouvelles stratégies à P-a-P

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Ils mènent des incursions discrètes, placent des pièges dans les rues, creusent des fossés sur les voies, ouvrent des passages par des ravines ou perforent les murs pour s’introduire furtivement à l’intérieur des bâtiments, selon les résidents de quartiers attaqués cette année et interrogés par AyiboPost

Les bandits de Port-au-Prince s’adaptent à la présence de la force internationale dirigée par le Kenya.

Ils mènent des incursions discrètes, placent des pièges dans les rues, creusent des fossés sur les voies, ouvrent des passages par des ravines ou perforent les murs pour s’introduire furtivement à l’intérieur des bâtiments, selon les résidents de quartiers attaqués cette année et interrogés par AyiboPost.

Dans la nuit du 24 au 25 février, ils ont attaqué le quartier de Delmas 30 – sans tirer dans les premiers instants.

Un citoyen de la localité venait de se mettre au lit lorsqu’il est réveillé en sursaut par le vrombissement des flammes émanant d’une maison en feu non loin de chez lui.

« Je n’ai pas pensé tout de suite à une attaque de gangs. Je me disais que si c’était le cas, la brigade de quartier nous en aurait averti », explique l’homme de 29 ans à AyiboPost. Il requiert l’anonymat, par crainte de représailles.

Delmas 30 voit passer chaque jour des centaines de voitures de transport en commun. La zone abrite, entre autres, un bureau de l’office national d’assurance-vieillesse (ONA) et une succursale de la Sogebank.

De plus, il donne un accès direct aux locaux de la Télévision Nationale d’Haïti, situés entre Delmas 31 et 33 et à d’autres entreprises sur l’autoroute éponyme.

L’attaque à la fin de février a été une surprise.

« Ce n’est que lorsqu’ils ont passé les barricades mises à l’entrée qu’ils ont commencé à tirer sur des gens et à mettre le feu », raconte à AyiboPost un vidéaste de la zone. Le professionnel raconte avoir dû partir en pleine nuit avec son petit frère.

Depuis les derniers assauts contre Solino et Nazon l’année dernière, le quartier de Delmas 30 situé à proximité de ces zones était en alerte contre de potentielles incursions de gangs.

Entre fin janvier et février 2025, plusieurs attaques armées ont eu lieu dans différents quartiers de la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Ces attaques surviennent un an après celles lancées en février et mars 2024 lesquelles ont entraîné l’évasion des détenus des deux plus importantes prisons du pays – le pénitencier national et la prison de la croix des Bouquets – ainsi que la fermeture de l’aéroport international Toussaint Louverture.

Tôt le matin du 4 mars 2025, les gangs parviennent jusqu’à la dernière route menant vers le Sud passant par Kenscoff.

Lire plus : Kenscoff attaquée: récits poignants de témoins ayant vécu l’horreur

Ce tronçon, devenu de plus en plus fréquentée, représentait le dernier accès terrestre reliant Port-au-Prince et la péninsule Sud du pays puisque les groupes armés contrôlent totalement les routes passant par Martissant, imposant des péages aux chauffeurs.

Retranchés dans la localité de Kafou Bèt depuis les attaques de janvier, les bandits sont passés par les localités de Nan Kovi et Zoranje, pour arriver à Nan Pierre Paul, jusqu’au carrefour Badio dans les environs de Kenscoff.

« Une fois à Badio, ils ont coupé ce tronçon de route », rapporte à AyiboPost Emmanuel Pierre, administrateur de la mairie de Kenscoff, ajoutant que les gangs sont toujours présents sur la route. Ce qui, selon le responsable, empêche tout trafic pour le moment.

Lire aussi : Men pouki rezon bandi Viv Ansanm yo vle pran Kenskòf | Videyo

Une chose intrigue le responsable municipal : lors de ces dernières attaques, les hommes armés n’ont pas tiré une balle. « Ils sont entrés par effraction chez les gens », explique l’administrateur de la mairie.

Dès janvier, des manœuvres des gangs dans certains quartiers du centre-ville de Port-au-Prince ont commencé à inquiéter les résidents, selon deux sources témoins de ces mises en place contactées par AyiboPost.

Un entrepreneur établi depuis 25 ans à la rue Lysius Salomon, au marché Salomon au centre-ville, raconte avoir constaté le creusement de plusieurs ouvertures dans le sol au marché et des environs pour potentiellement frustrer la circulation des blindés des forces de l’ordre.

« Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2025, les bandits ont cassé les murs de mon entreprise et vidé trois-quarts de mes marchandises évaluées à un million de gourdes », se plaint l’entrepreneur de 67 ans à AyiboPost.

Après cette attaque qui a ruiné son entreprise de matériaux de construction, l’homme a dû déplacer les stocks restants de marchandise dans un espace cédé par un ami à Canapé-Vert.

Les bandits contrôlent le marché de Salomon depuis plus d’un mois. L’espace qui alimentait Port-au-Prince en divers produits alimentaires et matériaux de construction, reste inaccessible aux usagers.

En mars 2024, des bandits ont attaqué puis incendié le sous-commissariat situé à l’intérieur du Marché Salomon.

Pour mieux dominer la zone et éviter de croiser les patrouilles de police, des membres de gangs ont créé des passages clandestins à travers des maisons situées à l’avenue Magloire Ambroise, les rues Roy, Waag, Chavannes et Romain, raconte un résident de la zone à AyiboPost.

Les bandits contrôlent le marché de Salomon depuis plus d’un mois. L’espace qui alimentait Port-au-Prince en divers produits alimentaires et matériaux de construction, reste inaccessible aux usagers.

« Ils sont munis de masses et de burins pour crever ou casser les murs », dit-il. Un an après, ils continuent d’élargir leurs zones d’influence.

Ces manœuvres se font la nuit, précise le résident, et pour assourdir les bruits, « ils utilisent des morceaux de moquette qu’ils appliquent aux murs avant de les casser. »

Tôt dans la matinée du 26 janvier, les bandits percent la clôture de la maison d’une sexagénaire vivant avec ses deux petits-enfants à la rue Roy, non loin de l’avenue Christophe.

Les gangs ont partiellement pillé sa maison en partant avec de l’argent et sa télévision. Lors de leur apparition, « ils ont intimé l’ordre de ne pas appeler la Police », dit-elle.

Les bandits ont également demandé s’il n’y avait pas d’hommes dans la maison. Ce qui fait supposer qu’ils sont plus violents avec les hommes, pense la dame.

Dans la soirée du 16 février, les bandits sont retournés dans la maison. Cette fois, ils sont venus avec un camion pour emporter les meubles.

Ils ont également pillé quatre autres maisons de la même rue, forçant leurs propriétaires à fuir.

Mi-février, soit dix-huit mois après les attaques meurtrières d’août 2023, le gang de Grand Ravin dirigé par Renel Destina (alias Ti Lapli) attaque à nouveau plusieurs quartiers de Carrefour-Feuille, dont Saïeh et Impasse Eddy.

Lors de ces attaques, certains gangs ont ciblé les maisons où vivent des policiers, après avoir collecté des informations sur ces dernières.

Plusieurs témoins de la zone interrogés par AyiboPost rapportent que des inconnus s’étaient introduits silencieusement dans certains endroits, depuis deux semaines.

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Plusieurs indices présageaient de nouvelles attaques dans plusieurs quartiers situés au centre-ville, comme la ruelle Alerte et le marché Salomon ainsi que dans des endroits périphériques, comme Carrefour-Feuille et Fort National, selon les deux sources citées plus haut.

Entre la fin du mois de janvier et le début de février, les bandits ont positionné à certains points des bouteilles de gaz propane.

« Ils en avaient mis à la rue Brutus, débouchant sur l’avenue Magloire Ambroise, non loin du Champ de mars, afin d’entraver toutes potentielles interventions policières », explique l’une des sources.

Selon des habitants de la zone, les gangs veulent avancer vers le Champ de Mars afin d’attaquer notamment le commissariat de Port-au-Prince, la base de l’unité départementale de maintien d’ordre (UDMO) et le Palais National.

Un agent de l’UDMO confie être mis au courant des dispositifs des gangs mis en place dans les parages du marché Salomon et à l’avenue Magloire Ambroise, depuis deux mois.

« Les bandits font tout pour opérer tout en restant hors de portée de la police. Ils circulent dans des ravines et à l’intérieur des maisons dont ils ont perforé les murs » explique le policier.

Dans une interview à AyiboPost en janvier 2025, cet agent avait critiqué la stratégie des forces de sécurité consistant à combattre les gangs depuis l’intérieur des chars blindés.

Les bandits font tout pour opérer tout en restant hors de portée de la police. Ils circulent dans des ravines et à l’intérieur des maisons dont ils ont perforé les murs.

– explique le policier

« Les gangs sont patients. Ils insistent jusqu’à ce qu’ils trouvent une brèche » explique l’agent de police à AyiboPost, insistant sur la nécessité pour les autorités de déployer les grands moyens afin d’augmenter les périmètres de contrôle de la police et repousser les groupes armés qui veulent progresser vers des espaces critiques, dont le Palais et le commissariat de Port-au-Prince.

Le 27 février, une attaque contre le commissariat de Port-au-Prince au Champ de mars a été repoussée par la police.

Le coordonnateur de la sécurité présidentielle, Vladimir Paraison, a été touché d’une balle à la jambe lors de ces attaques, selon une note de la présidence.

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Poursuivies par la terreur, depuis février, de nombreuses familles sont obligées de fuir Delmas 30, 19, 17, Tabarre 27, 28, Fort National et la Route de Frères, non loin de l’académie de police.

Ces nouvelles vagues de violence des gangs ont déjà entraîné le déplacement de 24 155 personnes, selon le rapport du 28 février de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Près de la moitié de ces personnes déplacées proviennent de la commune de Port-au-Prince.

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Selon le maire principal de Tabarre, Arsonval Alexandre, joint par AyiboPost, cette commune est convoitée pour ses activités commerciales ainsi qu’en raison de sa « position stratégique », qui facilite l’accès à d’autres communes, dont Delmas.

« Les bandits veulent s’emparer de Tabarre pour percevoir des taxes auprès des entreprises locales et financer leurs activités terroristes », déclare-t-il, rappelant que Tabarre est la seule commune de la plaine du Cul-de-Sac où une présence policière et une autorité établie sont encore maintenues.

Lire plus : Des policiers haïtiens alertent sur les failles des interventions anti-gangs

Dans la foulée des attaques armées contre Delmas 17 et 19 le 26 février, les gangs de Simon Pelé, dirigés par Djouma, ont exigé aux chauffeurs qui empruntaient la route Piste pour aller au marché Piste d’utiliser dorénavant celle passant par leur fief à Simon Pelé.

Un chauffeur de taxi ayant utilisé cette route récemment explique à AyiboPost que les gangs ont pris cette décision afin d’imposer un droit de passage aux conducteurs.

« Ils m’ont forcé à payer 500 gourdes pour pouvoir passer » explique ce chauffeur de taxi moto.

Les attaques perpétrées contre Delmas 30 dans la nuit du 24 au 25 février ont fait au moins une vingtaine de morts, selon les constats de Lambert Augustin, un avocat au barreau de Mirebalais et résident dans la zone depuis 40 ans.

Cette nuit, les bandits ont infiltré Delmas 30 en quatre points distincts.

L’un des groupes est entré par Carrefour Samida, qui se trouve sur l’avenue Poupelard. Deux autres sont passés respectivement par Nazon, au niveau de l’endroit appelé Sylvio Cator, et par l’arrière du sous-commissariat du Carrefour de l’Aéroport.

Enfin, le quatrième a emprunté un ravin, en provenance de la zone Piste d’aviation.

Selon le professionnel très impliqué dans diverses initiatives du quartier, « les gangs voulaient se venger de Delmas 30, incendier le bâtiment de l’Office nationale d’assurance-Vieillesse (ONA), puis progresser jusqu’à Delmas 48. »

Depuis l’année dernière, plusieurs individus suspectés de connivence avec des groupes armés ont été tués à Delmas 30 par les groupes d’autodéfense. Ce qui aurait suscité l’idée de vengeance des bandes armées, selon des habitants interrogés par AyiboPost.

Le 1er mars 2025, le gouvernement annonce des interventions menées au bas-Delmas par la Police nationale d’Haïti (PNH), à travers une « Task Force ». Une structure mise en place par le gouvernement et le conseil présidentiel de transition, selon une note de la primature.

Contactée par AyiboPost, le porte-parole adjoint de la PNH, Lionel Lazarre, déclare « ne rien savoir d’une telle structure ».

La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) dirigée par le Kenya, présente dans le pays depuis huit mois pour combattre les gangs, « ne fait pas partie de cette structure », selon un haut cadre de la mission contacté par AyiboPost précisant que la MMAS mène actuellement, aux côtés de la PNH, des opérations au Bas-Delmas, fief du chef de gang Jimmy Cherizier, dit Barbecue.

Dans une de ses vidéos mises en ligne cette semaine, Barbecue déplore la mort de seize personnes et quatre autres blessées lors de ces interventions au cours desquelles « des drones chargés d’explosifs » auraient été utilisés.

AyiboPost n’a pas pu vérifier ces faits de manière indépendante.

Le 08 mars, une vidéo mise en ligne par la Police nationale d’Haïti annonce des interventions menées au bas de la ville de Port-au-Prince le vendredi 07 mars 2025, afin d’enlever les barricades et pièges placés par les bandits, notamment à l’avenue Magloire Ambroise et au marché Salomon.

Aucun bilan officiel des interventions annoncées par le gouvernement au Bas-Delmas depuis le 1er mars n’a encore été présenté par les autorités.

Dans sa vidéo, Jimmy Chérizier, porte-parole de la coalition de gangs Viv Ansanm, menace d’utiliser « à son tour » des engins explosifs lors de prochaines exactions de ses hommes.

« Nous pouvons nous aussi nous procurer ces matériels. Tout le monde le peut, à condition qu’il en a les moyens », menace le chef de gang.

Par Wethzer Piercin, Jérôme Wendy Norestyl , Rolph Louis-Jeune &

Junior Legrand a participé à cette enquête.

Couverture : Illustration en portrait du chef de gang Barbecue et de Izo, avec une photo d’une main posée sur un tableau stratégique. Collage : Florentz Charles / ©AyiboPost | 09 mars 2025

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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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