La plupart des médias traditionnels reçoivent des financements de l’État dans un contexte d’insécurité et de grave crise économique. Ce financement peut tuer l’information, alerte des responsables de radios
La station Radiotélévision Caraïbes a perdu la moitié de ses revenus publicitaires et de location d’heures d’antenne en marge de l’incendie de son local en mars.
Les pertes avoisinent les 60 % pour Radio Télé Métropole sur la dernière décennie.
Ces deux médias de premier plan illustrent une tendance : terrassés par l’insécurité, la crise économique et la pénétration toujours plus grande d’Internet, les médias traditionnels d’Haïti expérimentent les limites de leur modèle économique, principalement axé sur la publicité et les contrats avec l’État.
Certains ont arrêté les diffusions, d’autres ont réduit leur personnel ou attendent une contribution de l’administration publique.
L’Association nationale des médias haïtiens (ANMH) révèle à AyiboPost avoir bénéficié d’un projet lié à l’avant-projet de Constitution en juin 2025.
Ce projet, de plus de 100 millions de gourdes, visait à « informer le public sur le contenu de l’avant-projet de Constitution à travers des émissions diffusées dans tous les médias membres de l’Association nationale des médias haïtiens (une cinquantaine) et de l’Association des Médias Indépendants d’Haïti (AMIH) », révèle une source proche de l’ANMH.
La nouvelle Constitution, controversée, a été soumise en mai 2025 au Conseil présidentiel de transition par le Comité de pilotage de la Conférence nationale (CPCC).
Le programme de promotion médiatique pour le texte a duré tout le mois de juin 2025 et engagé plus de 70 médias à travers tout le pays, a poursuivi le responsable.
Il s’agit d’une « stimulation intéressante » en attendant des versements similaires de l’État pour le référendum et le lancement du processus électoral, a déclaré la source, en indiquant que les médias membres de l’ANMH peuvent « aider dans un sens comme dans l’autre ».
En août et en septembre, l’État a confié à certains médias, dont des membres de l’ANMH, des campagnes promotionnelles et de publicité évaluées à moins d’un million de gourdes, issues de l’Administration générale des Douanes (AGD), de la BRH et du FNE, informe la source proche de l’ANMH.
Lire plus : Les pertes énormes que la RTVC pourrait subir dans l’incendie de ses locaux
Le gouvernement de transition détient aussi un programme de financement non public visant certains médias.
« Nous sommes informés du projet, mais nous n’avons ni signé de document ni soumis de projet », déclare à AyiboPost le directeur général de la RTVC, Marc-Anderson Brégard.
Un soutien de l’État aux médias « reste un grand vœu », renchérit Richard Widmaier, directeur du groupe Métropole.
Widmaier invite cependant à la prudence et appelle l’administration publique à réduire formellement pour les médias les tarifs d’électricité ou certaines taxes. Il vient de contracter un prêt bancaire pour faire l’acquisition d’un système électrique solaire pour son média.
Ce n’est pas la première fois que l’État haïtien vient à la rescousse des médias.
Après le séisme du 12 janvier 2010, des médias traditionnels comme Radio Télé Métropole ont bénéficié d’un projet du gouvernement de l’ancien président René Préval, qui a octroyé à ces institutions des allocations de carburant ainsi qu’un financement de 500 000 gourdes pendant une période d’environ six mois.
Ce soutien avait permis à Radio Télé Métropole d’acheter des équipements, selon Widmaier.
Ces interventions directes de l’État, en dehors de tout cadre légal et sans mécanismes publics transparents pour garantir l’indépendance des médias participants, ne font pas l’unanimité.
Ce projet, de plus de 100 millions de gourdes, visait à « informer le public sur le contenu de l’avant-projet de Constitution à travers des émissions diffusées dans tous les médias membres de l’Association nationale des médias haïtiens (une cinquantaine) et de l’Association des Médias Indépendants d’Haïti (AMIH) », révèle une source proche de l’ANMH.
Elsie Ethéart, membre fondatrice de Radio Mélodie, se dit préoccupée par les injections financières teintées de « favoritisme » de l’État auprès des médias.
Sa station, attaquée par les gangs en début d’année au centre-ville de Port-au-Prince, n’a reçu aucun financement de l’État.
« Nous ne savons pas quelles conditions accompagnent ces financements », poursuit Ethéart.
Jean Renel Sénatus, propriétaire de Radio Émancipation, va plus loin.
Selon lui, l’État cherche à « museler certains médias » en leur proposant de l’argent, une démarche qui, à ses yeux, porte atteinte à la liberté de la presse. Sénatus parle aussi de pratiques « d’accointance partisane », où certains médias financés se contenteraient de relayer la voix officielle.
« Quand l’État choisit de catégoriser quels médias sont habilités à recevoir des subventions, surtout dans une période aussi difficile pour la presse, c’est une attaque contre la liberté de l’information. C’est un groupe de dirigeants qui veut imposer sa pensée », alerte Sénatus.
Radio Émancipation n’a rien reçu de l’État après avoir perdu ses locaux à Port-au-Prince.
C’est l’industrie de l’information en Haïti qui se trouve en crise.
Lire aussi : Voici comment les gangs ont pillé plusieurs médias de P-au-P
Au début de l’année 2025, la pénétration d’Internet avoisine 40 %. L’utilisation toujours plus prononcée du web s’accompagne d’une migration des investissements publicitaires des entreprises d’Haïti vers les grandes plateformes en ligne comme Meta ou TikTok, et vers l’écosystème toujours plus grandissant des créateurs locaux de contenus.
Ces acteurs et les créateurs de contenus maintiennent une influence décisive sur l’information en Haïti, dans un contexte de diffusion massive de fausses informations et de propagande contre rémunération.
Les quelques rares médias professionnels natifs sur Internet en Haïti rencontrent des difficultés de financement, notamment à cause de la raréfaction des projets portés par des organisations internationales.
« Nous sommes informés du projet, mais nous n’avons ni signé de document ni soumis de projet », déclare à AyiboPost le directeur général de la RTVC, Marc-Anderson Brégard.
AlterPresse a été lancée sur Internet en octobre 2015, puis mise en onde hertzienne à partir de mars 2018.
La crise, qui impacte financièrement, assomme cette station commerciale, contrainte de réduire son personnel de 40 %, passant d’une vingtaine à une douzaine de collaborateurs.
« Nous sommes économiquement en difficulté, relate Gotson Pierre, directeur de la station AlterRadio et de l’agence en ligne AlterPresse. Nous utilisons beaucoup nos réserves, mais nous ne savons pas jusqu’où cela peut aller. »
Par : Jérôme Wendy Norestyl & Lucnise Duquereste
Couverture | Une vlogueuse parlant dans un microphone professionnel. Photo : Freepik
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