Pas nécessairement, répondent les experts
Le Palais de justice de Port-au-Prince se trouve régulièrement victime de cambriolage. Le dernier en date remonte au 10 mai 2022 lorsque des individus l’ont investi et cambriolé des matériels, dossiers et documents dans cinq carrés de juges d’instruction et six bureaux de substitut commissaire, rapporte Martin Aîné, président de l’Association Nationale des Greffiers haïtiens.
À chaque razzia, des voix s’élèvent pour demander la reconstitution des dossiers emportés par les voleurs, comme après la disparition des fichiers de l’assassinat du bâtonnier Monferrier Dorval en octobre 2020.
C’est en partie possible. « Les juges ne sont pas les seuls à travailler sur les dossiers, fait savoir Marthel Jean-Claude, président de l’Association professionnelle des magistrats (APM). La Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dispose des copies de procès-verbal des enquêtes préalablement réalisées. Ces copies peuvent être utilisées dans la restitution d’un dossier ».
Les méthodes sont aussi multiples. On peut passer par « le greffe du parquet, celui du tribunal de paix jusqu’à la police », selon l’avocat Frantz Gabriel Nerette.
Lire aussi : Les bandits forcent la Justice à fuir le Bicentenaire
Le greffe du tribunal détient un registre dans lequel tout nouveau dossier est enregistré. Le greffier du juge doit, lui aussi, réaliser un inventaire des nouveaux dossiers. « Grosso modo, les dossiers peuvent être reconstitués à partir de ces éléments », détaille le professeur de droit pénal à l’Université Quisqueya.
À chaque razzia, des voix s’élèvent pour demander la reconstitution des dossiers emportés par les voleurs
Cependant, les choses se compliquent pour au moins deux raisons. Une mauvaise pratique semble s’installer au tribunal depuis quelque temps, rapporte un fonctionnaire du ministère de la Justice, requérant l’anonymat. Selon lui, les juges d’instruction, souvent, décident d’enregistrer les actes contenant des informations importantes sur des feuilles volantes au lieu de les inscrire dans les cahiers d’instruction.
« Si les informations sont enregistrées au cahier d’instruction du tribunal, à l’aide des expéditions on peut en tirer des procès-verbaux pour reconstituer aussi fidèlement que possible les dossiers manquants, dit la source. Si le dossier reste intraçable au parquet ainsi qu’au tribunal de première instance, le doyen du tribunal, le chef du parquet et le juge peuvent faire appel au tribunal de paix ou à la police, notamment à la DCPJ, selon la provenance des dossiers. »
D’après des sources au sein de l’appareil judiciaire, dans le cas où tous les éléments du dossier sont perdus au niveau des institutions étatiques, le juge d’instruction, le substitut commissaire et le commissaire du gouvernement peuvent contacter à nouveau les parties pour obtenir les informations perdues.
Lire également : Messages compromettants échangés par un greffier sur l’enquête de Jovenel Moïse
Les plus difficiles à reconstituer, selon Me Frantz Gabriel Nerette, sont les éléments que le juge avait lui-même collectés lors des auditions des témoins et des accusés. « Lorsqu’on interroge une personne à nouveau, elle ne va pas répéter fidèlement les mêmes déclarations, signale l’avocat. Elle peut décidément mentir ou changer de version, surtout si la personne est certaine que tous les dossiers sont perdus et que le juge ne peut pas comparer ses déclarations. »
Les différents ordres émis par un juge sont difficilement trouvables dans un dossier où tous les éléments sont perdus. « Si le magistrat avait émis des mandats, on ne va pas les retrouver puisqu’en général les mandats d’amener et les ordres de dépôt ne sont pas enregistrés au parquet. Toutefois, le registre de la prison peut faire mention qu’un ordre de dépôt a été exécuté sous l’ordonnance d’un juge ou d’un commissaire quelconque », conclut Frantz Gabriel Nerette.
Les carrés des juges Jean Wilner Morin, Annie Fignolé, Garry Orélien, Ramoncite Accimé ont, entre autres, été saccagés lors des évènements du 10 mai dernier.
En janvier 2022, le bureau du juge d’instruction Denis Cyprien a été cambriolé par des individus non identifiés.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2021, des individus encore non identifiés ont pénétré l’enceinte du tribunal pour vandaliser le cabinet du juge d’instruction d’alors, Garry Orelien, qui avait la charge du dossier de l’assassinat du défunt président Jovenel Moïse.
Photos | Le Palais de justice de Port-au-Prince noyé dans la saleté
Le 20 octobre 2020, le coffre-fort qui détenait plusieurs dossiers, dont celui relatif à l’assassinat de l’ex-bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Monferier Dorval, a été emporté.
« Si les dossiers venaient de la police, on doit contacter l’institution pour trouver une copie du procès-verbal d’audition, informe Frantz Gabriel Nerette. S’il venait du tribunal de paix, on peut faire recours pour avoir les procès-verbaux de constat et d’audition à l’aide des expéditions. »
La disparition des objets recueillis sur les scènes de crimes et de délits constitue un autre sujet.
Le carré des juges d’instruction ne dispose pas assez d’espaces pour stocker ces éléments qu’on appelle également « pièces à conviction ». Elles sont stockées dans un dépôt au tribunal. Les juges n’ont à leur disposition que des procès-verbaux de constats et d’auditions.
Les différents ordres émis par un juge sont difficilement trouvables dans un dossier où tous les éléments sont perdus.
Aux dires du juge Jean-Claude, même si ces preuves matérielles disparaissent, cela ne devrait techniquement pas empêcher la poursuite du processus judiciaire. « On ne les aura pas physiquement pour la poursuite du dossier, mais on peut toujours retrouver des procès-verbaux de constat qui les mentionnent, dit le juge. L’absence des pièces à conviction ne pose donc pas de réel problème pour l’avancement d’un dossier ».
Fort souvent, des pièces à conviction encombrantes sont détruites. « Par exemple, les stupéfiants en quantité fort imposante ne vont pas être emmenés au tribunal après constat. Ils sont détruits, révèle l’avocat Frantz Gabriel Nerette. Et généralement dans ces cas, ce sont les procès-verbaux qui sont utilisés pour réaliser les suivis judiciaires. »
D’autres options peuvent surgir si le corps du délit ou le procès-verbal de constat est volé ou perdu. « Le magistrat peut se servir du procès-verbal du juge de paix qui a fait les constats du cambriolage attestant l’ensemble les pièces disparues », mentionne l’avocat.
Comments