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Photos | Le Palais de justice de Port-au-Prince noyé dans la saleté

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Le Tribunal de Première Instance se trouve dans un état délabré. La disparition de pièces à conviction dans le dossier de l’assassinat du Bâtonnier Monferrier Dorval peut en témoigner

Bien qu’il soit appelé Palais de Justice, le Tribunal Première Instance de Port-au-Prince situé au Bicentenaire, n’a rien d’un palais. La zone est sale et presque désertée. À l’entrée du tribunal, il y a une station de moto plantée dans un tas d’immondices.

La cour du tribunal est peuplée de véhicules. Dans la direction qui mène au barreau de Port-au-Prince, l’on remarque de vieilles voitures en panne.

Des vendeurs de livres de Droit photocopiés jusqu’à ceux d’ampoules rechargeables circulent tranquillement sur la cour et même à l’intérieur du tribunal.

Cette semaine, des pièces à conviction dans le dossier de l’assassinat du bâtonnier Monferrier Dorval ont disparu dans le bâtiment. « Il est facile de trouver les auteurs de ces exactions, argumente le juge Jean Wilner Morin. Le Conseil supérieur de la police judiciaire et le Doyen du tribunal doivent ouvrir une enquête interne. Aucune porte n’a été enfoncée, il n’y a pas eu de dégâts. »

Chaque matin, des avocats, magistrats et auxiliaires de la justice franchissent la barrière du TPI pour aller travailler. Des hommes et des femmes pour la plupart bien vêtus, ayant l’air très fiers, traversent un pont en dessous duquel passe une eau immonde de couleur verte. Ils remarquent certainement les climatiseurs non réparés qui encombrent le tribunal et les vieux papiers mal gérés.

« À l’extérieur comme à l’intérieur du Palais de justice, ça pue. À l’exception du carré du doyen et de certains cabinets d’instruction », témoigne une dame qui fréquente souvent l’espace dans le cadre de son travail.

La visite du premier ministre Joseph Jouthe au Palais de justice remonte à seulement trois mois. Il n’a pas souligné dans ses propos l’état insalubre dans lequel évolue le tribunal.

Vers la relocalisation du tribunal ?

Le TPI de Port-au-Prince n’est agréable pour personne, analyse le juge Jean Wilner Morin, président de l’Association nationale des magistrats (ANAMAH). « Il n’y a pas de bonnes toilettes pour les juges n’en parlons pas des justiciables.  En plus de son état insalubre, le tribunal n’est pas sécuritaire. Nous œuvrons dans un foyer de bandit. Souvent nous nous retrouvons face contre terre pour échapper à leurs tirs », déplore le juge.

Le TPI est le premier niveau de voie de recours en justice en matière de délit et de crime. Quiconque aura commis une forme de ces infractions dans une juridiction devra passer par ce tribunal avant de pouvoir, le cas échéant, faire un recours à la Cour d’appel et en Cassation.

A chaque pluie, des fatras en provenance de Cité Soleil, de la Croix-des-Bossales, des Citéplus et l’Éternel atterrissent directement au TPI. « Si bien que si par inadvertance le pied d’un juge trébuche dans l’une des mares d’eau près du tribunal, il sera obligé de partir sur le champ tant son pied dégagera une odeur désagréable », déplore Me Morin.

La solution à ce problème serait de délocaliser le tribunal, d’après le magistrat. Jusqu’en 2010, le Palais de justice se trouvait à la Rue de la Réunion. « Après le séisme, il a été délocalisé vers le Bicentenaire dans une propriété de la USAID qui s’est avérée non approprié pour le tribunal parce que le bâtiment logeait jadis un hôtel, Le beau rivage. »

Quant à la relocalisation du tribunal dans ses anciens locaux, l’ancien bâtonnier Monferrier Dorval et l’actuelle bâtonnière Marie Suzy Legros partagent le point de vue du magistrat Morin. Même s’il y a des problèmes structurels comme le désordre des dossiers dans les greffes du TPI que la délocalisation à elle seule ne pourra certainement pas résoudre.

Des dossiers en vrac

Il est midi quand un homme pénètre le greffe I du tribunal. Ayant l’air étonné que la pièce soit obscure à pareille heure, il demande aux greffières pourquoi la chambre était aussi « noire ». L’une des dames lui répond : « ici c’est un dépôt, on ne met pas de lumière dans un dépôt. »

On ignore s’il s’agit d’un dépôt ou pas. En tout cas, n’était-ce la présence d’êtres humains dans l’espace, il aurait l’air d’une banque de papiers usés dont personne n’a besoin. Des dossiers sont entassés partout ; dans des boîtes, en dessous des bureaux, près des malles. Des classeurs métalliques contenant probablement des papiers trônent çà et là.

Il n’y a même pas un ordinateur devant les greffiers qui écrivent tout à la plume. Ils notent dans de gigantesques cahiers qui ne supportent plus qu’on les utilise, tant ils sont en mauvais état.

Pour trouver des dossiers, c’est l’avocat lui-même qui cherche des numéros dans ces vieux cahiers en glissant son doigt sur les écritures jusqu’à ce qu’il tombe sur le numéro voulu. « Il faut bien regarder dit un homme en veste à un autre qui cherchait un dossier dans un cahier sans couverture avec quelques pages manquantes. » L’homme en question a passé toutes les pages du document et n’a finalement pas trouvé ce qu’il cherchait.

Un endroit invivable

Une assistante légale requérant l’anonymat explique qu’elle attrape toujours la grippe à chaque fois qu’elle visite le greffe du TPI. « Un jour en feuilletant un cahier au greffe dans le cadre d’un suivi pour un dossier (ce qui relève de l’attribution du greffier), j’ai senti quelque chose sur mon pied. Quand j’ai jeté un coup d’œil, j’ai vu une grosse souris », se rappelle-t-elle en souriant.

Pourtant, le greffe constitue l’archive du tribunal. Pour les habitués du milieu, il s’agit du poumon de l’espace. Aucun dossier ne peut y être sorti sans qu’une décision judiciaire ne soit rendue. Mais en réalité, ce n’est pas ce qui se fait. Le commissaire Gabriel Ducarmel explique que ce problème sera bientôt résolu. Il avance que l’USAID est en train d’aménager un espace pour stocker les dossiers en toute sécurité avec un système informatique et un personnel qualifié pour faire la maintenance.

Si ce projet voit le jour, ce ne sera pas la première fois qu’un tel système sera instauré au TPI. En 2015, la juridiction de Port-au-Prince avait bénéficié d’un programme de gestion informatisée pouvant contrôler  les dossiers. Aujourd’hui, ce système a disparu.

Ce qui a de graves conséquences sur toute la justice dans le pays. Selon le juge Jean Wilner Morin, une personne qui commet une infraction à Jérémie peut circuler tranquillement à Port-au-Prince parce qu’il n’y a aucune base de données qui relie les tribunaux du pays entre eux. « Cela n’existe dans aucun pays de la Caraïbe. Ailleurs, tout est automatisé », dit-il.

Les tribunaux dans un état délabré

La juridiction de Port-au-Prince est la plus grande de toutes les juridictions du pays. Son état est relativement moins grave que les autres. Martin Ainé qui est le responsable de l’Association nationale des Greffiers (ANAG), explique que dans plusieurs villes du pays les greffes n’existent que de nom. « À Miragoâne par exemple, c’est une vieille mallette qui sert de classeur aux greffiers pour stocker les dossiers dans le Tribunal de Paix. Qui pis est, la mallette en question est un corps du délit, elle résulte d’un présumé vol sur lequel le tribunal travaille encore », explique Me Ainé.

À Saint Michel du Sud, des marchands de rue logent dans l’enceinte même du tribunal de Paix, continue Me Ainé. C’est presque pareil à Pétion-ville puisque le tribunal se trouve au cœur du marché de la commune. « On se demande comment un magistrat peut-il rendre une décision judiciaire dans un tel inconfort », soupire Ainé.

Ce n’est pas tout. Martin Ainé relate qu’au bord de mer de Limonade, le tribunal est logé sous un manguier. Quant à Jérémie, il avance que les partisans d’un ancien sénateur ont incendié le tribunal qui jusqu’ici n’a pas été reconstruit. « Il y a des tribunaux qui n’ont même pas de chaises, pas de machine à taper, pas d’ordinateur. S’il y a un ordinateur, il n’y a pas d’encre. Pas de machine photocopieuse. Il y en a qui n’ont même pas d’électricité. »

Tout compte fait, l’exercice de la justice comme service public évolue dans un état de précarité absolue dans le pays. Ce qui n’entrave en rien la soif d’équité qui traverse l’ensemble de la société. De quelque état que soit le TPI de Port-au-Prince, son enceinte crie justice pour Me Monferrier Dorval, assassiné fin août dernier. Les murs fragiles de l’institution supportent des messages puissants : « justice pour notre Bâtonnier, jistis pou fanmi Me Dorval, Aba pouvwa bandi. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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