Ces préjugés prennent racine dans une longue histoire de dévaluation de l’identité haïtienne dans les établissements scolaires du pays
Winderson Jean-Charles est un ancien élève du Collège Canado Haïtien (CCH). L’établissement scolaire sis à Turgeau depuis 1969 oblige les jeunes garçons à se raser les cheveux régulièrement. Pourtant, Jean-Charles dit n’avoir jamais connu cette pression et il n’était pas le seul.
« Il y avait un autre élève qui avait les traits d’un mulâtre non seulement à cause de la texture de ses cheveux, mais aussi de sa couleur de peau, déclare l’ancien élève qui a fini ses études secondaires en 2015. Les membres de l’administration ne cessaient de nous dire combien ils adoraient nos cheveux qu’ils jugeaient trop beaux. »
La grande majorité des écoles en Haïti imposent des restrictions à la chevelure crépue. Les cheveux « grenn » sont « plus difficiles à coiffer en grandissant et ne font pas très beau à voir », explique la directrice de l’École Mixte Union des Cœurs, Anne Sydoma Zamor Vilpigue.
L’un des cas les plus fréquents que la normalienne dit rencontrer concerne celui de parents trop occupés pour surveiller comment leurs enfants vont à l’école. « Ces élèves savent donc arriver avec leurs cheveux non coiffés, déplore-t-elle. Et même quand ils peuvent ne pas l’être en réalité, leurs cheveux paraissent sales ».
La norme ne s’applique cependant pas à tous. « Si on a les cheveux très crépus, rapporte D.J. scolarisé au CCH depuis 2016, les responsables mettront davantage de pression pour qu’on les coupe parce qu’ils paraissent plus laids à leurs yeux, comparés aux cheveux d’autres élèves qui sont plus soyeux ou bouclés ».
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La sociologue martiniquaise Juliette Smeralda traduit ce regard négatif porté sur le cheveu crépu comme un rejet du type de cheveu en question. Pour asseoir son argumentaire, l’auteure de « Peau noire, cheveu crépu » remonte à l’époque coloniale, dans une entrevue avec AyiboPost. Le problème, selon elle, survient avec le choc de civilisations lorsque l’Européen autodécrit comme Blanc pénètre l’univers du Noir avec arrogance et agressivité, puis se permet de regarder le cheveu crépu avec horreur et mépris.
Souvent, les responsables d’écoles tordent le cou aux règles qu’ils ont eux-mêmes établies. C’est le cas d’un adolescent de nationalité dominicaine qui fréquente le Collège Classique d’Haïti. Il a le droit de garder ses cheveux plus longs que ceux des autres « parce qu’ils sont différents et qu’ils risquent de s’abîmer », déclare à AyiboPost le directeur de l’établissement, Wesner Jean-Michel.
Ce problème remonte à très loin, analyse la sociologue. « Les Noirs qui sont à la tête des institutions aujourd’hui sont [parfois] les substituts des Blancs à l’époque des plantations ». Ils dirigent des institutions qui parfois remontent à l’époque coloniale. Voilà pourquoi ils vont avoir cette tendance à « forcer leurs pairs à rentrer dans un corps qui n’est pas le leur. »
Pour les filles en milieu scolaire, la coiffure afro est l’interdiction qui revient le plus. Or elle est un symbole d’identité culturelle. Dans les années 1960, l’afro a été adopté par les protagonistes du mouvement antiraciste Black Panthers. Il était un symbole de revendication surtout politique à l’époque de la ségrégation raciale aux États-Unis.
Mais là-dessus, une responsable de Notre Dame de Lourdes est claire : « il faut une certaine fraicheur que l’afro n’apporte pas avec l’uniforme ». La responsable, présentée comme la directrice de l’institution par le gardien, a accepté de recevoir AyiboPost lors d’une visite effectuée dans le cadre de cet article. Elle a préféré ne pas révéler son nom. « Donnant l’impression de faire désordre, ajoute-t-elle, le cheveu porté à son état naturel est à garder chez soi. Et cela est inscrit dans le code de l’école ».
La directrice de l’École Mixte Union des cœurs, Anne Sydoma Zamor Vilpigue, n’accepte pas non plus que ses élèves portent l’afro. « Dans le cas contraire, les filles ne pourront pas porter les rubans qui sont indispensables. »
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Vilpigue dit opter alors pour les coiffures « classiques ». Ce terme est utilisé par trois responsables d’établissements scolaires contactés pour cet article. Mais impossible d’avoir une réelle définition. Le directeur du Collège classique d’Haïti essaie pour sa part de l’apparenter au « traditionnel », c’est-à-dire des coiffures généralement faites avec « gogos et barrettes ».
« En classe de nouveau secondaire 2, se souvient Vedette Cadet, j’ai failli perdre un examen parce que ce jour-là j’ai fait des chichis », soit de petites tresses portées généralement sur le front.
Rien que pour cela, la jeune fille s’est retrouvée dehors à supplier les membres de l’administration, tandis que les autres élèves subissaient leur examen en salle de classe. Une chance lui a finalement été accordée près d’une demi-heure après. Mais on lui a remis une feuille d’examen avec « moins dix points » inscrit dessus.
Féministe engagée, Vanessa Jeudi confirme être aussi passée par là. À l’école secondaire, elle aimait porter des multi-tresses parce que « je trouvais que cela m’allait mieux », mais les membres de la direction refusaient à chaque fois qu’elle les garde et préféraient le port des extensions.
Une école qui met une interdiction sur la langue maternelle, qui n’accepte pas une coiffure qui concorde avec ses valeurs et son identité… Jeudi estime que cela devrait interpeller, car « nous sommes en train d’évoluer vers un type de société qui nous éloigne de qui nous sommes ».
Au lycée Antoine Georges et Izméry de Petite Place Cazeau, les consignes en matière de coiffure sont strictes. Les wash and go, les tresses, toutes les formes d’extension, et surtout les afro sont interdits. « Dès lors qu’une élève se présente avec une de ces coiffures, elle a le choix entre changer de tête ou rentrer chez elle », déclare Vedette Cadet, aujourd’hui en classe de nouveau secondaire 3.
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Pour s’assurer que les principes seront respectés, les maîtres d’école usent de différents moyens. Le Collège Canado Haïtien a en ce sens établi des contrôles de routine. Et cela fonctionne, selon D.J.. L’adolescent dit avoir été sanctionné durant le tout dernier qui a eu lieu.
Alors, le directeur lui aurait pris son agenda dans lequel il a mentionné son infraction qui consistait à avoir les cheveux crépus trop hauts.
« Les responsables vont ensuite sur le système de l’école afin de diminuer la note de discipline du sanctionné, explique D.J. Cette note équivaut à la moyenne en ce qu’elle est décisive pour savoir si l’élève sera admis en classe supérieure ou non ». Autrement dit, l’élève peut avoir réussi l’année académique par sa moyenne, mais ne pas être autorisé à poursuivre sa formation à l’école à cause de sa note de discipline.
Certains justifient l’imposition de ces règles parce que les élèves sont appelés à fréquenter professionnellement des espaces restrictifs à l’avenir. Sans vouloir se prononcer sur le beau ou le laid des types de cheveux, Wesner Jean-Michel, directeur du Collège classique d’Haïti, appuie quand bien même les restrictions imposées. « Il n’y a pas vraiment de raison à cela sinon une question de savoir-être, dit-il. Quoique tous ne sont pas concernés, plusieurs de ces élèves iront travailler dans des milieux qui exigent ce type de protocole ». Il devient par conséquent important de leur apprendre à s’y accommoder dès aujourd’hui, selon le directeur.
Ces impositions pèsent lourd sur la santé mentale des enfants et des jeunes. « Les remarques sur l’apparence physique des élèves peuvent affecter l’image que ces derniers ont d’eux-mêmes, surtout si les remarques sont faites en comparaison avec d’autres enfants », déclare la psychologue Joanne Landrin.
L’enfant se sent bien si son image est correcte. « Si en revanche on lui donne l’impression que son image n’est pas bonne par rapport à celle des autres, il grandira avec une image négative de soi », continue la spécialiste.
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Certains responsables d’école font des concessions. Au collège Sainte Rose de Lima par exemple, « on accepte les tresses naturelles du moment qu’elles ne sont pas portées plus de trois jours », informe Franz Dell Anne Borno en classe de nouveau secondaire 1.
Si les parents n’ont pas le temps de coiffer leurs enfants tous les jours, précise Anne Sydoma Zamor Vilpigue, « ils peuvent faire des tresses à leurs filles ». Ces tresses devront toutefois être attachées et munies de rubans.
Wesner Jean Michel dit n’avoir aucun problème avec les dreads locks et que les filles de son école portent leur afro du moment qu’elles ne sont plus en niveau fondamental. Mais, qualifiées de vacancières par d’autres institutions comme le collège Notre Dame de Lourdes, ces coiffures ne sont acceptées sous aucun prétexte.
Image de couverture: Certaines coiffures acceptées pour les filles de ce collège. Carvens Adelson / AyiboPost
Photos: Carvens Adelson / AyiboPost
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