Cette augmentation inquiétante des cas de violences sexuelles signalée à AyiboPost est documentée lors des attaques des gangs ou même dans des camps de déplacés
Avertissement : cet article contient des descriptions sensibles pouvant heurter la sensibilité de certains lecteurs.
Des organisations féministes et des responsables de centres hospitaliers alertent sur une augmentation des violences sexuelles, – notamment des viols et des viols collectifs – dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.
Cette augmentation inquiétante des cas de violences sexuelles signalée à AyiboPost est documentée lors des attaques des gangs ou même dans des camps de déplacés.
Le samedi 3 mai 2025, une fillette de six ans est décédée au Centre Hospitalier de Fontaine, à Cité Soleil, après avoir été victime d’un viol dans un camp de déplacés.
Selon Jose Ulysse, fondateur et directeur de l’hôpital, l’enfant a été admise dans un état critique vers dix heures du soir, présentant de graves séquelles liées au viol.
À cause des douleurs atroces, l’enfant est décédé le lendemain vers quatre heures du matin sous le regard impuissant de sa mère. Celle-ci est partie avec le corps sans même attendre la procédure de constat de décès.
Loin d’être un cas isolé, cette situation s’inscrit dans une tendance préoccupante : au premier trimestre de l’année 2025, l’organisation Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA) a déjà accueilli 206 survivantes de violences basées sur le genre (VBG) dans l’arrondissement de Port-au-Prince contre seulement une douzaine pour la même période en 2024.
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Ce qui représente une hausse alarmante de plus de 1600 %. Pour l’année 2024, l’organisation féministe a accueilli 1289 survivantes liée à la violence faite aux femmes.
Selon les statistiques et témoignages compilés par l’organisation, les victimes viennent des zones de Solino, de bas Delmas et de Nazon.
De son côté, le centre hospitalier de Fontaine avait recensé 36 cas de viols en 2024 et déjà neuf cas pour les mois de janvier à mai 2025.
« Pour 2025, il y a peu de cas déclarés formellement, contrairement à l’année 2024. Les victimes sont beaucoup plus nombreuses lorsque nous organisons des cliniques mobiles. Mais elles ne viennent pas à l’hôpital, par craintes de représailles des gangs », explique le responsable à AyiboPost.
Ces derniers mois, les attaques des gangs sur les quartiers se font de plus en plus fréquentes, en dépit de la présence d’une force multinationale de soutien à la police nationale arrivée dans le pays en juin 2024.
Selon les statistiques et témoignages compilés par l’organisation, les victimes viennent des zones de Solino, de bas Delmas et de Nazon.
Les gangs brûlent des maisons, pillent, tuent des résidents et étalent leur emprise sur de nouveaux territoires. Lors de leurs exactions, ils étendent leur violence sur le corps des femmes et des filles.
En novembre 2024, lorsque la coalition de gangs Viv Ansanm attaque Solino, la maison dans laquelle se trouvait cette jeune mère de 24 ans, également commerçante, a été prise pour cible par des criminels.
Ayant déjà fui une série d’attaques armées à Bon repos en février 2024 au cours desquelles sa mère et le père de l’un de ses deux enfants ont péri, elle pensait avoir trouvé refuge à Solino, chez une tante.
Quatre individus armés ont fait irruption dans la maison, alors que la petite famille venait de prendre leur repas du soir.
«Ils nous ont menacé avec leurs armes, avant de me violer, sous les yeux de mes deux enfants», témoigne la dame qui ne pouvait pas retenir ses larmes.
Ce jour-là, sa tante a été tuée. Les bandits ont aussi violé sa petite sœur de dix-sept ans. Ils ont ensuite emmené la jeune fille avec eux.
Deux jours après l’incident, la dame reçoit un appel de la petite sœur, qui lui fait ses adieux et lui demande de «rester courageuse.»
Depuis ce jour, elle est sans nouvelles d’elle.
Ils nous ont menacé avec leurs armes, avant de me violer, sous les yeux de mes deux enfants
-témoigne la victime
Forcée de fuir sa maison depuis lors, la dame et ses deux enfants sont actuellement hébergés chez un samaritain pour une période de deux semaines. Passé ce délai, elle n’aura plus d’endroit où dormir, si ce n’est passer ses nuits à la belle étoile, sous la place Saint-Pierre, à Pétion-Ville.
« En une seule année, j’ai perdu quatre personnes qui m’étaient chères et qui, je pensais, seraient toujours là pour moi. Aujourd’hui, je n’ai plus personne sur qui compter», s’indigne la dame.
D’autres femmes rapportent à AyiboPost être victimes à plusieurs reprises des mains des gangs.
C’est le cas de cette mère de trois enfants, qui résidait à Carrefour-feuilles en janvier 2023, et dont le mari a été tué par des gangs au moment où ce dernier tentait de la défendre alors qu’ils étaient sur le point de la violer.
Quelque temps après l’incident, elle trouve refuge chez un bon ami, sur la Route 9, à Canaan, où elle a commencé à se reconstruire et à développer une activité économique.
Mais deux ans plus tard, en avril 2025, elle est de nouveau attaquée et violée par un groupe de six individus armés ayant fait irruption chez elle.
« Là-bas, quiconque exerce une activité commerciale doit payer les gangs. Si tu refuses, tu risques d’être tuée ou violée. Je venais de m’installer dans le quartier, je ne connaissais pas ces règles », témoigne la survivante à AyiboPost.
Pour la période allant de janvier à novembre 2024, l’organisation féministe Nègès Mawon a documenté 436 cas de violences sexuelles dans le département de l’Ouest, notamment dans les zones de Delmas, Cité Soleil, Croix-des-Bouquets, Carrefour-Feuilles, Canaan, Carrefour, Gressier et de Martissant.
Selon Abigaïl Derolian, responsable de la section violence basée sur le genre (VBG) de Nègès Mawon, les zones les plus dangereuses pour les femmes et les filles sont Gressier, Carrefour, Cité Soleil et Carrefour-Feuilles.
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Les violences sexuelles représentent 79 % des 436 cas enregistrés par l’organisation, et 95 % des survivantes étaient des femmes adultes.
Pour la période d’avril 2024 à février 2025, Nègès Mawon a accueilli, à travers son centre d’accueil et d’hébergement «Maison Claire Heureuse», 59 personnes – femmes accompagnées de leurs enfants et jeunes filles – dont huit ont été victimes de violences sexuelles.
Entre janvier et mai 2025, l’organisation a déjà enregistré 74 cas de violences sexuelles. Parmi eux, 72 sont des viols collectifs, dont deux ont entraîné une grossesse.
La majorité des survivantes sont âgées de dix-sept à 66 ans. Les zones principalement concernées sont Kenscoff, Solino, Carrefour-Feuilles et Delmas.
Selon Derolian, le viol collectif constitue la forme la plus fréquente de violence sexuelle recensée sur cette période. Dans la plupart des cas, les agresseurs sont des hommes armés et encagoulés.
Les violences sexuelles représentent 79 % des 436 cas enregistrés par l’organisation, et 95 % des survivantes étaient des femmes adultes.
Ces cas de viols prennent place dans un contexte d’aggravation de la situation sécuritaire globale en Haïti.
Au moins 2 680 personnes ont été tuées entre le 1er janvier et le 30 mai 2025, dont 54 enfants, selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
De plus, plus de 1,3 million de personnes sont déplacées à travers le pays à cause de la violence des gangs.
Selon les Nations Unies, les violences sexuelles et le recrutement d’enfants par les gangs continuent également d’augmenter.
D’après des données communiquées à AyiboPost par Nathalie Vilgrain, coordonnatrice générale de l’organisation féministe Marijàn, la structure a enregistré près de 281 cas de violences sexuelles pour le premier trimestre de l’année 2025 contre 162 pour la même période en 2024.
La majorité des victimes viennent des zones contrôlées par les bandits et surtout dans des camps de déplacés.
La hausse constante de ces cas remonte au moins à 2021.
Jointe par AyiboPost, Diana Manilla Arroyo, cheffe de mission de Médecins Sans Frontières Hollande, fait savoir que les consultations liées aux violences sexuelles dans la clinique de MSF Hollande située à Delmas 33 ont triplé entre 2021 et 2024.
« Nous sommes passés de 1 145 patients en 2021 à 3 126 en 2024 » explique Arroyo à AyiboPost.
« 20 % des patients ont moins de dix-huit ans », poursuit Arroyo. « Pour le viol, c’est le type de violences qu’on reçoit le plus au centre. Les cas de viols ont augmenté de 75% en 2015 à 94% en 2025 ».
Pour la responsable, la situation de déplacement forcé de populations dans la région métropolitaine de Port-au-Prince crée un terrain propice aux violences sexuelles.
« 30 % des patients déclarent être en situation de déplacement, un facteur qui n’était pas présent avant 2021, lors des premières années de fonctionnement de la clinique », rajoute Arroyo à AyiboPost.
Cette situation préoccupe dans un contexte de dysfonctionnement du système judiciaire et où l’impunité découragent les personnes victimes à porter plaintes.
Pour la période d’octobre 2016 à septembre 2020, les tribunaux du pays ont fonctionné pendant seulement 205 jours, selon un rapport confidentiel de la Fédération des Barreaux d’Haïti, décrit pour AyiboPost par la conseillère au barreau de l’ordre de Port-au-Prince, Rose-Berthe Augustin.
Le rapport note, pour cette période, une forte paralysie des tribunaux due particulièrement aux grèves récurrentes des acteurs du système judiciaire.
Depuis juillet 2018, il n’y a pas eu d’assises criminelles avec assistance de jury dans la juridiction de Port-au-Prince.
« Nous accompagnons notamment des victimes de viol sur le plan juridique, mais ces dossiers rencontrent plusieurs obstacles », explique Abigaïl Derolian à AyiboPost.
Le premier obstacle, indique-t-elle, est la lenteur du système judiciaire. « Lorsqu’une plainte est déposée, les suivis tardent à venir. Le juge d’instruction met souvent plus de trois mois pour mener son enquête, et le rendu d’une ordonnance peut prendre jusqu’à un an ».
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Le deuxième obstacle, poursuit-elle, « réside dans l’environnement des survivantes. Leur milieu de vie ne leur permet pas de suivre le rythme judiciaire, car elles subissent souvent des menaces, du harcèlement ou des représailles de la part des proches de l’agresseur ».
Compte tenu des délais judiciaires, beaucoup de victimes finissent par renoncer aux poursuites.
Enfin, rajoute Derolian, «pour les viols collectifs, la majorité des survivantes ne parviennent pas à identifier leurs agresseurs. Ou lorsqu’elles le peuvent, elles résident généralement dans des zones encore contrôlées par ces hommes, rendant toute action en justice difficile. »
Une survivante de 47 ans jointe par AyiboPost raconte avoir été violée et séquestrée à deux reprises par des bandits armés à Carrefour-Feuilles.
« Certaines fois, ce sont des mineurs qui pourraient être mes propres fils qui me violent », confie la mère de trois enfants avec la voix tremblante, ajoutant ne plus se souvenir de la date car cela «ravive des souvenirs trop douloureux.»
Deux hommes l’ont prise pour cible près de l’hôpital Sanatorium, alors qu’elle tentait de rentrer chez elle récupérer quelques affaires, après l’invasion de son quartier par les gangs de Gran Ravin.
Sous la menace de leurs armes, ils l’ont emmenée à Maranatha, fief du chef de gang Renel Destina, alias Ti Lapli. Elle a été violée quotidiennement et n’a été libérée qu’au bout d’une semaine.
« En quittant les lieux, je suis tombée sur des assaillants qui m’ont encore violée. Cette fois, ils étaient huit », témoigne la dame qui dit que sa vie est vidée de sens et qu’elle rêve à chaque fois de mettre fin à ses jours.
Par : Fenel Pélissier
Couverture | Une jeune femme a la tête baissée, le visage partiellement caché par une main. Photo : MSF
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