Aucun préservatif ne trouve subvention auprès de l’État, et des jeunes, massivement au chômage, pratiquent le « flèch kann ». Les risques sont énormes
Au début des années 2000, des préservatifs comme Kapòt Pantè étaient subventionnés par l’État haïtien. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Seules des capotes distribuées dans les centres de santé et des institutions comme la FOSREF, qui s’occupe de santé sexuelle et reproductive, reçoivent encore des subventions internationales.
Puisque la subvention publique s’est arrêtée, le prix des préservatifs n’a cessé d’augmenter depuis des années. Cela pousse des individus sexuellement actifs à s’en passer, malgré les risques qu’ils peuvent courir. D’un autre côté, il semble que les habitudes sexuelles des jeunes ont beaucoup changé. Ces changements ne sont pas accompagnés de campagnes de sensibilisations sur les méthodes de protection indispensables contre les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées.
Au début des années 2000, des préservatifs comme Kapòt Pantè étaient subventionnés par l’État haïtien. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Rebecca Charles travaille six jours par semaine dans un supermarché à Port-au-Prince. Alors que le rayon des préservatifs est bien garni, avec différents modèles et marques, la clientèle ne se bouscule pas. La question taraude la caissière, encore plus parce que la plupart des clients sont en âge d’avoir des rapports sexuels. Même le petit ami de Charles est réticent quand il s’agit de se protéger.
Jean Abioud Sylvain, coordonnateur en soin et traitement du VIH à la FOSREF, révèle remarquer une baisse d’intérêt pour les capotes. Il tente d’expliquer pourquoi des gens, parfois séropositifs, ont enlevé l’utilisation du préservatif de leurs pratiques.
« Dans le cas des séropositifs, dont s’occupe la FOSREF, en dessous d’un certain seuil, le nombre de cellules atteintes du VIH peut rendre difficile la transmission du virus. Alors les patients qui connaissent leur nombre de cellules affectées peuvent avoir tendance à ne plus l’utiliser », dit-il.
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Un autre prétexte avancé pour justifier le délaissement du préservatif est l’altération de la sensation de plaisir. C’est ce que croit Michel Jackson, étudiant à l’Université d’État d’Haïti, qui est aussi professeur d’anglais et de mathématiques. Il avoue parfois utiliser une capote à contrecœur. Selon lui, l’accès à la pornographie est l’un des coupables, vu que celle-ci met en scène des protagonistes souvent sans préservatifs.
Puisque la subvention publique s’est arrêtée, le prix des préservatifs n’a cessé d’augmenter depuis des années.
L’utilisation de produits censés maximiser les performances sexuelles en est une autre cause. Des produits comme le « Sapatann » exigent parfois, explique Michel Jackson, de se passer de préservatif.
« Certains se contentent aujourd’hui de le mettre durant les rapports anaux. Il y a aussi des pratiques consistant à se mettre des petits objets dans le gland du pénis afin de maximiser ses performances », poursuit Jackson.
D’un autre côté, ce sont surtout les hommes qui s’occupent de l’achat de préservatifs, et cela peut aussi être une raison qui explique la réticence.
D’après Myriam Charlemagne qui travaillait comme agent de prévention à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti, après le dépistage et le suivi, le moyen le plus fiable de se protéger contre le VIH reste l’utilisation du préservatif. Elle regrette que les femmes ne s’impliquent pas plus dans la décision d’en utiliser un.
Les prétextes pour se débarrasser du préservatif touchent aussi l’aspect pécuniaire. Se procurer une capote, selon la marque, peut coûter cher. « Quand tu achètes un paquet pour 600 gourdes, alors qu’il ne contient que deux préservatifs, ça te fait réfléchir », déclare Michel Jackson.
L’inflation généralisée affecte aussi ce produit importé, comme tous les autres. Même s’ils sont disponibles partout, le prix des préservatifs fait parfois grincer des dents. Mais, rappelle Jean Abioud Sylvain, la capote n’a pas toujours été un produit aussi cher dans le pays.
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Il y a aussi le prestige que certains associent à l’utilisation de préservatifs non subventionnés par les institutions internationales, et qui par conséquent coûtent plus cher. « Il y en a qui sont odorantes, et d’autres contiennent des produits qui agissent sur la performance sexuelle », confie Jackson.
En réalité, d’autres raisons peuvent aussi expliquer que de plus en plus de personnes boudent les préservatifs. Ils sont pour la plupart composés de latex, du caoutchouc naturel pouvant provoquer des brûlures, des démangeaisons et d’autres gênes. Des femmes peuvent y être allergiques.
Après le dépistage et le suivi, le moyen le plus fiable de se protéger contre le VIH reste l’utilisation du préservatif.
Samuela Jean Pierre, étudiante en quatrième année de médecine, précise toutefois que même si les symptômes d’une allergie au latex ressemblent à une infection, ce n’en est pas une. L’arrêt de l’usage d’un préservatif en latex fait généralement passer ces symptômes. Mais ils peuvent s’aggraver, si la femme souffre d’une infection quelconque, sans le savoir.
Dès son invention, en 1735, le préservatif a pu aider dans la lutte contre les IST, notamment le VIH-SIDA. Le fonds des Nations-Unies pour la population est l’un des organismes internationaux qui le subventionnent. Les hôpitaux en Haïti en distribuent souvent. En plus d’aider dans la lutte contre les maladies, le préservatif est un moyen efficace pour éviter les grossesses non désirées ou précoces.
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Selon un rapport de l’ONUSIDA, pour l’année 2018, 160 000 personnes étaient atteintes du VIH en Haïti. Le taux de prévalence entre 15 et 49 ans était de 2 %, et les femmes adultes comptaient pour 58 % de la population infectée. Ces chiffres sont alarmants, malgré des efforts considérables fournis dans la lutte contre la maladie.
Selon l’Enquête de Morbidité, Mortalité et Utilisation des Services de 2012, la proportion d’adolescentes ayant une vie sexuelle plus ou moins active, avec risque de tomber enceinte, augmente rapidement avec l’âge. Elle passe de 3 %, à 15 ans, à 31 %, à 19 ans. À cet âge, 28 % des jeunes filles ont déjà eu au moins un enfant.
L’avortement étant un crime en Haïti, en plus du danger des IST, les campagnes de sensibilisation incitant à l’utilisation du préservatif devraient être une priorité du ministère de la Santé publique et de la Population au même titre que le Covid-19, d’après Myriam Charlemagne.
Les photos sont de Carvens Adelson pour AyiboPost
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