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Le vodou haïtien perd progressivement une de ses plus importantes richesses

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Petwo, Nago, Yanvalou, rabòday sont les quelques rythmes les mieux connus dans le vodou haïtien. Des dizaines d’autres sont ignorés et méconnus même pour les vodouisants et tambourineurs les plus zélés

Dans le vodou, chaque loa correspond à un rythme spécifique. Selon une étude, les quelque 400 rythmes de cette religion sont regroupés en quatre grandes familles : Rada, kongo, petro et profane. Le tambour, un instrument sacré, traduit en mouvement et donne un ton à chaque rythme.

Cependant, seule une poignée de tambourineurs ont une connaissance plus ou moins élargie de l’ensemble des rythmes du vodou haïtien, selon les témoignages recueillis auprès du secteur. La plupart de ceux qui détiennent cette précieuse connaissance laissent le pays en quête d’une vie meilleure sous d’autres cieux, en marge de l’insécurité et de la crise économique.

Lorsqu’on dit rythme vaudou, on parle d’un principe rythmique de base avec des caractéristiques qui lui sont propres. Ces caractéristiques sont traduites par le tambour, « un des instruments [les plus] importants dans le vodou, selon le professeur de percussion Raymond Noël. L’instrument est utilisé dans les cérémonies de danse et dans l’invocation des lois et dans d’autres spectacles », dit Noël, aussi appelé Welele Doudout par ses coreligionnaires vodou.

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Progressivement, le tambour se tait et perd de sa diversité. Beaucoup de professionnels de l’instrument évoluent en milieux religieux ou dans les groupes musicaux. Mais, « les troupes de danse folklorique en Haïti ont du mal à recruter un tambourineur folklorique pour les arts de la scène comme la danse ou le théâtre, remarque la chorégraphe Marie Jessy Kermizan. Les rythmes comme mayi, Ibo, makoumba sont non seulement en train de disparaître, mais il y a aussi la danse qui les accompagne qui s’en va aussi. »

Former les professionnels

Pour apporter une contribution dans la lutte contre ce problème, la Fondation connaissance et liberté (FOKAL) en collaboration avec la compagnie de théâtre Palto Vanyan, l’association création, artistiques, folkloriques, et d’expression (CAFE) et Midel Communication ont organisé une formation sur les rythmes traditionnels pour les tambourineurs folkloriques du 29 novembre au 11 décembre 2021. Cette formation vise à sauvegarder les pratiques et connaissances des éléments culturels en voie de disparition autour du tambour.

Vitalina Denis a fait choix du tambour comme outil de travail en janvier dernier. La formation sur les rythmes traditionnels a permis à la jeune dame de 23 ans de faire connaissance avec une mine rythmique inconnue d’elle, en dehors du dawomey qu’elle maitrise.

« J’ai été introduite aux rythmes boumba, diapit ou timole que je ne connaissais que de nom », témoigne la résidente de la commune Gros-Morne.

Maskawon, mazoum, makoumba, djoumba, koukou, ti machann sont autant de rythmes abordés lors de la formation, mais dont les battements sont méconnus par les tambourineurs.

« Cette formation s’accentue sur la transmission et la valorisation de la culture, dit Frantz Délice, un professeur de patrimoine culturel à l’Université d’État d’Haïti (UEH) ayant pris part à l’initiative. Les tambourineurs avancés ont pour rôle de transmettre ces valeurs à d’autres tambourineurs et d’apprécier leur métier, symbole de la valorisation du patrimoine ».

Le rabòday ne prône pas les messages comme pa pile tenis mwen ou pa pile madanm mwen

Farah Hyppolite opine du chef. La responsable patrimoine à FOKAL estime nécessaire de renforcer les capacités des tambourineurs. « La FOKAL travaille dans la restauration du patrimoine. En 2010, on a déjà commencé avec le projet de restauration des gingerbread. À présent, il s’agit de renforcer les capacités des tambourineurs et d’inventorier les rythmes. Ainsi, ils seront soumis à l’État pour être reconnus et classés dans le registre patrimoine national d’Haïti », dit-elle.

401 loas

« Gran mèt la ak lwa yo », une recherche réalisée en 2002 sur le vodou haïtien par Rachelle Beauvoir et Didier Dominique, dénombre au total 401 loas. « Grosso modo, le vodou haïtien est donc composé de 401 rythmes. D’autres recherches évoquent 101 loas, mais en dépit de tout on retient que le vodou a 401 rythmes », peut-on lire dans le document.

Les quatre grandes familles de rythmes du vodou: Rada, Kongo, Petro, Profane, sont jouées partout sur le territoire. Certains sont répandus dans l’Ouest et le Sud, d’autres sont pratiqués dans le Nord. Parfois, même les adeptes du vodou ont du mal à les identifier.

La famille des rythmes profanes est la plus répandue en milieu populaire. Ils se diffèrent des rythmes à caractère religieux où l’on retrouve le dahomey ou le yanvalou. « Ils sont appelés ainsi en raison de leur singularité, explique Raymond Noël. Ces rythmes peuvent se jouer à l’intérieur des péristyles tout comme dans les raras, les bandes à pied, dans les konbit ou lors des activités carnavalesques. »

L’un des rythmes profanes les plus connus du public demeure le rabòday. Le tambour et les percussions dont la vaccine, l’ogan, le tchatcha sont les instruments utilisés dans sa mélodie.

« Il existe un tambour rabòday,» remarque Josil Rebert Joseph, professeur de tambour et tambourineur du groupe RAM.

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Ce rythme, utilisé pour détendre un peu l’atmosphère, est aujourd’hui réapproprié par des Discs Jorkeys (DJs) de la nouvelle génération. « Cette réappropriation est loin d’être authentique », critique Joseph.

Le contenu des productions à succès des DJs ne fait pas unanimité. « Le rabòday est un rythme qui charrie les revendications populaires, déclare Raymond Noël. C’est pourquoi le chant des raras dénonce les actes malhonnêtes des individus dans la communauté. »

« Le rabòday ne prône pas les messages comme pa pile tenis mwen ou pa pile madanm mwen», conclut Raymond Noël, coordonnateur de la formation sur les rythmes traditionnels en voie de disparition dans le vodou haïtien.

Trois forces et esprits

Le tambour sert aussi d’instrument de communication dans le vodou. C’est ce qui le sacralise. Pendant les cérémonies, certains fidèles deviennent possédés par les loas. Le tambour participe activement à cette possession.

La fabrication du tambour haïtien est le fruit de trois forces ou esprits, selon Raymond Noël. « D’abord, il s’agit de l’arbre composant le corps du tambour, ensuite il y a la peau de la bête utilisée pour le recouvrir et pour finir il y a l’esprit humain caractérisé par le fabricant de l’œuvre et celui du tambourineur appelé à jouer l’instrument. »

Plusieurs types de tambours sont utilisés selon le rituel ou le rythme d’accompagnement. Certaines cérémonies utilisent un tambour maître, adjuntò, appelé manman. Ce tambour s’accompagne généralement de deux autres : Ountò et Katani. Il y a aussi le tambour à corde, le tambour asòtò et le tambour rabòday, entre autres.

Selon le tambourineur Dieuné Racine, chaque tambour renferme une peau en cuir différent. « La peau de bœuf est utilisée dans la fabrication du tambour à baguette. Les tambours qui seront en contact avec la paume de la main utilisent la peau de mouton ou de cabris », fait savoir Racine.

Le tambour de certaines habitations revêt un caractère sacré. Des cérémonies sont parfois organisées pour transférer provisoirement ces instruments à d’autres temples.

 

Photos: Carvens Adelson / Ayibopost

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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