La pratique inclut multiples touchers au niveau de l’anus lors des recrutements. Elle est dénoncée par des défenseurs des droits humains
1 327 jeunes, dont 290 femmes, désireux d’intégrer la Police nationale d’Haïti ont subi l’épreuve de psychologie à l’École Nationale de Police, selon une note publiée sur Facebook jeudi 5 mai par la PNH.
Dans un pays majoritairement jeune, avec un taux de chômage galopant, le processus de recrutement de l’institution offre une opportunité de travail dangereuse, mais palpable.
Palpable aussi est le fameux examen physique très redouté surnommé « ouvè le kò ». L’épreuve est exigée pour être admis à l’académie de Police, en plus des tests physiques et psychologiques.
Selon les témoignages d’un ancien syndicaliste, d’un postulant ayant subi l’examen, d’un policier et d’un haut cadre de la PNH, l’étudiant doit être totalement nu pour l’étape « ouvè le kò ». Alors, un médecin sous contrat avec l’institution policière va analyser son corps pour vérifier l’absence de tatouages et de piercings. Un toucher rectal est aussi pratiqué parce que le potentiel policier « ne doit pas avoir de problèmes anaux » explique l’ancien policier Abelson Gros-Nègre, issu de la 21e promotion de la PNH et ancien porte-parole du syndicat de la police nationale d’Haïti (SPNH-17). Gros-Nègre qui avait intégré l’institution en 2008 dit avoir été témoin de plusieurs scènes « ouvè le kò ».
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Certains postulants peuvent ne pas réussir parce qu’ils ont des rapports sexuels non conventionnels ou ils souffrent de maladies hémorroïdaires, raconte Abelson Gros-Nègre.
Au sein de la PNH, des raisons médicales sont évoquées pour justifier l’examen invasif. Des postulants rejetés du processus sans explications parlent d’une chasse aux individus pratiquant le sexe anal.
L’examen établit un « non-respect de la vie privée de la personne », selon la responsable de programmes au Réseau national de défense des droits humains, Rosy Auguste Ducena.
« Nous ne comprenons pas et nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher qu’un postulant par exemple qui a l’habitude d’avoir des rapports sexuels anaux fasse partie de la PNH », commente la défenseure des droits humains.
« Malheureusement, poursuit-elle, nous sommes dans une société qui décide de se servir du choix de l’individu pour le retourner contre lui. »
Contacté par AyiboPost, le porte-parole de la PNH, Garry Desrosiers, fait savoir que ces dossiers sont strictement confidentiels.
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Un médecin qui travaille pour le compte de la PNH dans le cadre des processus de recrutement, contacté par AyiboPost, n’a pas voulu réagir. Il a délégué un autre professionnel pour prendre la parole à sa place.
Maximen Verneus, médecin chirurgien, résident à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti, explique que le toucher rectal est une étape dans l’examen physique de tout patient, lié notamment à la recherche de problèmes abdominaux.
Selon le médecin, il s’agit d’un examen physique qui permet d’examiner la marge anale (le rectum ainsi que les sacs de Douglas) et aussi d’examiner la prostate chez l’homme.
Un tel examen, selon le Dr Verneus, peut aider à détecter si la marge anale présente des fistules (blessures, plaies).
Le toucher rectal permettrait également de déterminer les cas d’hémorroïde, de veines qui drainent la marge anale. La dilatation de ces veines peut déboucher sur les maladies hémorroïdaires, explique le spécialiste.
Un jeune postulant de la PNH par exemple qui souffre de l’hémorroïde et qui fait des mouvements de contractions peut subitement avoir une rupture de l’hémorroïde qui peut lui coûter la vie.
Le toucher du rectale aide aussi à apprécier la tonicité du sphincter anal. La marge anale possède des plis et des replis qu’on appelle les valvules de Morgagni et les plis de Monroe qui engendrent la tonicité du sphincter anal. Ils donnent une certaine fermeté à la personne.
Un jeune amateur de sexe anal va perdre les valvules et les plis de Monroe, dit-il.
Il n’est pas clair pourquoi une personne souffrant d’hémorroïde par exemple, une maladie curable, ne devrait pas faire partie de la PNH.
Dans un document transféré à AyiboPost par personne interposée, un cadre de la police fait savoir qu’un postulant doit nécessairement franchir huit étapes pour être admis à l’école de Police.
Ces étapes sont insérées dans le Manuel de Standards Médicaux Recommandés (SMR).
Cependant, la charte d’engagement adoptée le 6 février 1996 par la Direction générale de la Police note en son article premier les conditions d’engagement d’un postulant à la PNH.
Selon cette charte, le potentiel policier doit être de nationalité haïtienne et n’avoir jamais renoncé à sa nationalité. Il doit être âgé de 18 ans révolus et 30 ans au moment de l’inscription. Il ne doit jamais être condamné à une peine afflictive et infamante. Il doit présenter des aptitudes physiques et morales pour l’exercice de la fonction, jouir de ses droits civiques et ne pas être titulaire d’une pension de retraite.
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Rosy Auguste Ducena croit que certains points comme « présenter des aptitudes physiques et morales pour l’exercice de la fonction » inscrits dans la charte prêtent à équivoque et peuvent être utilisés pour violer les droits humains.
Un policier issu de la promotion 26e qui requiert l’anonymat confirme avoir subi l’épreuve « ouvè le kò » qui demande au postulant de s’exposer nu. « Beaucoup de postulants n’avaient pas franchi cette étape, mais on ne leur avait pas communiqué les raisons pour lesquelles ils n’avaient pas réussi », dit-il.
Un postulant ayant raté le test interviewé par AyiboPost requiert l’anonymat parce qu’il veut reprendre le processus. Il affirme n’avoir pas été informé des résultats des examens corporels.
Cette façon de procéder non transparente peut occasionner des abus et conforter l’arbitraire.
La militante des droits humains, Rosy Auguste Ducena, croit qu’il faut nécessairement communiquer aux postulants les problèmes révélés par les examens médicaux.
Photo de couverture : Carvens Adelson pour AyiboPost.
Le nom du docteur Maximen Verneus a été mal écrit dans une précédente version de cet article. 20.18 07.05.2022
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