Lage yon Prestige la pou mwen tanpri…
Assis, le dos appuyé au mur, je sens mon corps frémir de nervosité. Aline m’a encore demandé… non, elle m’a sommé de trouver le montant de son loyer depuis plus de trois semaines. En plus de ses frais de studio, des mille gourdes pour le plan de son cellulaire et de son budget shopping, il me faudra aussi acquitter cette dépense. Il faut dire que son père a quitté le toit familial depuis des lustres et que sa mère est tombée malade récemment. Heureusement que la boutique qu’elle a établie au rez-de-chaussée de sa demeure continue de fonctionner grâce aux bons soins d’Aline. Néanmoins, les temps sont durs et les maigres revenus qui restent après avoir payé les médicaments et les frais réguliers de consultation suffisent à peine pour nourrir la famille qui est composée de cinq membres.
Mes amis me demandent de la larguer car ses exigences augmentent mais ils ne connaissent pas la vraie Aline. Mon Aline, c’est une grimelle qui vaut le détour avec sa peau dorée, ses yeux de biche et sa bouche pulpeuse et provocante. Ses courbes me font rêver la nuit et me poussent à ne pas réchigner pour mes heures additionnelles au bureau. J’ose à peine la caresser des fois lorsque nous avons la chance de nous retrouver seuls. Car mon Aline, elle s’est préservée jusqu’ici. Elle a la crainte de Dieu, tout comme moi; elle n’a pas connu d’hommes malgré ce monde pervers et dévergondé dans lequel nous évoluons. Elle me repète qu’elle m’aime, que je la traite bien et qu’elle a foi en l’avenir.
Toutefois, il est vrai qu’Aline a des folies de grandeur auxquelles je ne puis encore répondre. Elle aime les belles choses et vu sa beauté, elle les mérite. Je suis toujours disposé à conduire en fin de semaine à cause des heures payées doubles car mon Aline est toute ma vie et je veux la combler. Pourtant, si je dois aussi gérer son loyer en plus de mes dépenses, il faudra que j’essaie de me battre pour obtenir les missions vers les provinces. Malheureusement, il y a tant de convoitise en raison du per diem, que je ne sais encore comment je ferai pour être sélectionné parmi tant d’autres. Je vais peut-être devoir graisser la patte du superviseur en chef pour être affecté correctement. Si j’ajoute à cela mes gains de borlette, je devrais être en mesure de répondre aux dépenses globales budgétisées ainsi qu’aux imprévus, sans oublier évidemment le “sol” que nous faisons avec mes amis.
La dernière rasade de bière que je prends me revigore en même temps que ces pensées me remontent le moral. La dernière altercation que j’ai eu avec ma dulcinée m’a déboussolé. Elle m’a jeté en plein visage à quel point elle haissait ce maudit pays où elle n’avait d’autres choix que de toujours vivre sur le qui-vive… de toujours prier pour que la situation de sa mère n’empire pas, considérant qu’il n’y a aucun système d’assurance-maladie couvrant ses dépenses. Elle excécrait la misère qui la forcait à ne même pas pouvoir manger décemment, à mendier une chance au propriétaire de la maison où elle vivait quand elle n’arrivait pas encore à rassembler le montant du loyer. Même son shopping qui, se faisait à la Croix-des-Bossales au fameux marché pèpè, n’était plus de mise avec l’incendie qui avait ravagé cette zone.
En voyant la colère et le ressentiment qui animaient son visage habituellement serein, j’en avais voulu au destin de n’être qu un simple chauffeur et de ne pas pouvoir lui offrir plus. Toutefois, en y repensant, j’en voulais surtout à ces dirigeants de seconde zone qui prétendaient comprendre nos misères sans les soulager. J’avais compris qu’Aline dénoncait à sa facon l’inaction de nos leaders, la stagnation du progrès et l’absence des services de base qu’offrait tout pays soucieux de ses citoyens.
Mais, j’aimais trop Aline pour lui en vouloir. Je comptais sur les nouvelles résolutions que j’avais prises, pour enfin la délivrer du poids des soucis que cette année difficile lui imposée. Oui, j’allais agir en homme et l’aider. Je n’allais pas la laisser affronter l’avenir sans support…. Je réglai rapidement la note de ma consommation et prit un taxi-moto pour me rendre chez elle. Avec la fougue du discours que j’avais prévu de lui tenir et de quelques baisers pour y donner du poids, je ne saurais faire bec à terre. Je payai le chauffeur une fois à destination et m’appretai à frapper quand la porte d’entrée s’ouvrit et des éclats de rire fusèrent… éclats qui s’arrêtèrent à ma vue…
Je les regardai tour à tour, un soupçon planait dans l’air: de mon coté, c’était un soupçon de doute et dans leurs yeux, il s’agissait plutôt d’une certaine gêne. La scène était plutôt cocasse mais je ne dis mot. Ce fut Aline qui rompit le silence la première.
— Sonsonn…
Elle tressaillit et ne put continuer en réalisant que la bretelle de son soutien-gorge était mal ajustée. Ce fut l’intrus au milieu de nous qui la réajusta sous mes yeux sans aucune résistance d’Aline. Je percus une certaine lenteur dans ce geste… comme une certaine familiarité, qui pas trop longtemps de cela, n’existait pas. Il partit sans dire mot et moi, comme un imbécile, j’étais encore planté là. Je pouvais prétendre que le geste avait été anodin, que les rires étaient amicaux mais comment feindre ignorer les petites tâches rouges de suçons sur son épaule et à son cou, preuves latentes de son impair?
— Pourquoi, Aline, soufflai-je?
Ma belle Aline, qui venait de perdre son aura, me regarda avec une expression vide et dédaigneuse que je ne lui connaissais pas. C’etait comme si je la regardais pour la premiere fois! Cette inconnue n’était pas celle qui riait aux éclats à mes blagues quand on se promenait au Champs-de-Mars sur la place Pigeon, lieu de notre rencontre… non, pas celle que je couvais du regard lorsqu’elle prenait plaisir à déguster un cornet de crème glacée à Epi d’Or en ma compagnie, le dimanche après-midi… pas celle que je venais de voir avec le propriétaire.
— Sa fè twa semèn lwaye kay la bout. Ti bo pa konn fè mèt kay poze.
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