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Le «fritay» d’Haïti perd sa saveur. Voilà pourquoi.

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«Je suis d’avis que le « fritay » devrait valoriser au mieux la production locale et respecter les recettes qui sont un héritage culinaire», déclare une cheffe de cuisine à AyiboPost

Le «fritay» vendu dans les rues change de saveur et de composition, à cause de l’insécurité qui entrave la libre circulation des produits agricoles, de la faible disponibilité de denrées telles que le «malanga» et de l’importation de poissons pour compenser les lacunes de la pêche locale, analysent à AyiboPost amateurs et marchands de fritures.

Guerda Pierre, une vendeuse de «fritay» à Carrefour, explique remuer ciel et terre pour se procurer les bananes plantains de l’Arcahaie prisées par sa clientèle : impossible ! La dame affirme se sentir obligée d’acheter des bananes, souvent de la variété dénommée «poban», en provenance de la République Dominicaine.

Le «poban», de nature moins rigide que la banane plantain, offre aussi l’avantage d’un prix moins élevé. Dans plusieurs marchés de la zone métropolitaine, AyiboPost constate que des lots de trois bananes plantains se vendent à environ 250 gourdes, tandis que les lots de «poban» s’écoulent à 100 gourdes.

Une vendeuse de « fritay » photographiée en train de préparer des bananes frites lors d’une foire à l’Institut Saint Louis de Gonzague, à Delmas 31, le 18 mai 2023. | ©  Jean Feguens Regala/AyiboPost

La texture gustative du «poban» ne fait pas unanimité. Anaëlle Dorvil, amatrice de «fritay» à la ruelle Bois Blanc de Hinche, les trouve peu «gouteux».

Préparation de bananes frites à Delmas 31. | ©  Jean Feguens Regala/AyiboPost

La viande offerte dans les fritures tend aussi à suivre progressivement les courbes de disponibilité et de prix, dépendamment des zones. Selon Alcé Rosemitha, marchande de fritures depuis près de 25 ans à l’Avenue Christophe, certaines marchandes mélangent parfois du «tassot» de bœuf ou de cabri avec de la viande de cheval.

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Luc-Henry Michel, fervent adepte des fritures, domicilié à Carrefour, tempête contre l’altération de «l’authenticité des fritay» de son enfance. «Les accras préparés avec le malanga ont été remplacés un peu partout par le manioc», regrette Michel. Il dit préférer les accras à base de malanga.

En réalité, le «malanga» se fait rare et devient cher. «Malgré cela, je m’emploie toujours de préparer mes accras à partir du malanga, bien que je sois contrainte de les vendre à un prix légèrement plus élevé », déclare la marchande Alcé Rosemitha.

Une marchande de fritures participant à une foire gastronomique à l’Institut Saint-Louis de Gonzague, à Delmas 31, le 18 mai 2023. | ©  Jean Feguens Regala/AyiboPost

Le poisson frais, issu des eaux d’Haïti, se fait aussi rare, ce qui entraîne une augmentation encore plus marquée des fruits de mer importés.

«Je préfère la volaille haïtienne à celle importée», déclare Evena Revaly, étudiante à l’Université d’État d’Haïti (UEH). Le goût du poisson récemment pêché en Haïti reste «meilleur», selon Revaly.

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Par ailleurs, le «pica pollo», version dominicaine du poulet frit (fried chicken), continue de gagner du terrain dans un contexte de faible production locale de volaille.

Les importations de poulet congelé en provenance principalement de la République dominicaine ont connu une augmentation de 70 % en l’espace de cinq ans, a révélé une étude des autorités sur la filière avicole réalisée en 2012.

«Je suis d’avis que le « fritay », en tant que patrimoine gastronomique haïtien, devrait valoriser au mieux la production locale et respecter les recettes qui sont un héritage culinaire», déclare Moicka Dade, cheffe de cuisine et enseignante culinaire à la Unity School of Business (USB) et à la Dacom’art.

Les importations de poulet congelé en provenance principalement de la République dominicaine ont connu une augmentation de 70 % en l’espace de cinq ans.

Il existe aussi un problème sanitaire associé à la cuisson des fritures en Haïti.

Le médecin Judsaphor Esperance, résident en médecine interne à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), souligne les étalages mal entretenus qui ne respectent pas les règles d’hygiène. Ces pratiques peuvent entraîner des conséquences catastrophiques, voire la mort, en exposant les aliments à des bactéries et à des microbes tels que la salmonelle, l’Escherichia coli, les amibes et les oxyures.

Il est recommandé aux vendeurs de stocker les fritures dans des endroits propres, en les préservant de la poussière. «Ils doivent nettoyer les contenants avec des produits chlorés ou de l’eau bouillante, et veiller à ce que les aliments soient cuits à une température comprise entre 70 et 80 degrés Celsius », ajoute Esperance.

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Les experts recommandent aux consommateurs de limiter autant que possible la consommation d’aliments cuits avec de l’huile déjà utilisée, car cela peut être extrêmement préjudiciable à la santé. Ils mettent aussi en garde contre la surconsommation de produits trop salés et trop sucrés.

Par Lucnise Duquereste

Daniella Saint-Louis a participé à ce reportage.

© Photo de couverture :  Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

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