CULTURE

Le dressage de cheval, un héritage culturel tant chéri à Desdunes

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«Aux côtés de la contredanse et du tire-baton, c’est un précieux héritage que l’histoire nous a légué», explique un dresseur et cavalier de Desdunes

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Les regards complices de l’homme et du cheval se croisent une dernière fois.

«Allez ! Un-deux, un–deux», retentit la voix du dresseur assis sur le dos de la bête musclée, dont le pelage rayonne au soleil levant.

Un nuage de poussière suit le rythme des sabots de l’animal en sueur qui s’exécute.

Cette séquence de dressage s’est déroulée au mois de mai à Desdunes, dans l’Artibonite, sur un terrain bordé d’arbustes.

Pour Franck Zamor, houngan et dresseur de chevaux, cette tradition équestre remonte au 19e siècle à Desdunes.

La maintenir, pour les dresseurs et cavaliers desduniens contactés par AyiboPost, c’est une manière d’honorer la mémoire de leurs grands-parents, mais aussi pour gagner de l’argent et prendre soin de leurs familles.

«Aux côtés de la contredanse et du tire-baton, c’est un précieux héritage que l’histoire nous a légué», témoigne Zamor, 56 ans, également propriétaire du plus ancien club équestre encore en activité dans la commune : «Kavalye Ansanm Ki Vle».

Franck Zamor, président du « Kavalye Ansanm Ki Vle », le plus ancien club équestre de la commune de Desdunes, donne des indications à ses cavaliers lors d’un défilé funéraire dans la ville.

Créé en 1958 par son père, ce club, d’une douzaine de membres, porte fièrement l’étendard partout dans le pays.

«Les desduniens ne sont pas tous intéressés à intégrer un club», souligne Zamor.

«Cependant, poursuit-il, beaucoup considèrent essentiel de faire dresser leurs chevaux, qu’ils utilisent à des fins de divertissement ou pour le bonheur de leurs hôtes».

Au club des Kavalye Ansanm Ki Vle, le dressage d’un cheval coûte entre 15 000 et 20 000 gourdes.

Le défilé de carnaval, la cérémonie funèbre, les parades lors des jours de célébration historique, ainsi que leur participation à des festivals tels que la Carifesta en 2015, sont quelques-unes des activités où ils se sont distingués.

Défilé de cavaliers à Desdunes lors d’une activité festive dans la commune. | © RJAD

«C’est mon grand-père qui m’a appris le dressage. J’ai trouvé que c’était important pour lui, alors j’ai continué», explique Annys Marc, 60 ans, cavalier et cultivateur.

«J’éprouve du plaisir à monter à cheval et le fait d’avoir l’impression que je peux communiquer avec l’animal rend la chose intéressante», souligne Marc à AyiboPost.

Pour cet homme, certains chevaux dressés sont habités par des esprits protecteurs.

C’est mon grand-père qui m’a appris le dressage. J’ai trouvé que c’était important pour lui, alors j’ai continué.

Annys Marc, 60 ans

Berg-Henson, dix-huit ans, exerce cette activité, car la passion lui a été insufflée par son grand cousin.

Depuis deux ans, le temps du jeune homme se partage entre ses études et son grand intérêt pour les chevaux.

Un intérêt que des hommes politiques et d’autres personnalités illustres semblent partager avec les desduniens.

Selon Franck Zamor, les présidents Antoine Simon, Nord Alexis ou encore René Préval ont pris l’habitude de convoquer l’habileté des chevaux et le talent des cavaliers desduniens pour effectuer de longs voyages ou pour égayer des campagnes électorales.

Le dressage nécessite les connaissances transmises par les grands-parents, mais aussi un assortiment d’outils comme des cordes, des selles de chevaux, et des bâts.

«Un cheval est apte au dressage à partir de sa deuxième année», précise Zamor.

Rigaud Farot, un dresseur de chevaux à Desdunes, pose fièrement avec son cheval.

Dépendamment de l’animal, le processus peut durer trois mois ou plus.

Les plus jeunes animaux maîtrisent les mouvements plus vite que d’autres.

Pour gagner du temps, le propriétaire de «Kavalye Ansanm ki vle» compte sur sa longue expérience pour anticiper le rythme d’apprentissage de l’animal.

«Je sais lire un cheval à ses pas», déclare-t-il.

Selon la catégorisation que Zamor en fait, il existe le cheval djong, le trois cas et le naturel.

Tous ont des dispositions au dressage différentes.

Le bouyay, le saut et l’installation sont les trois étapes du dressage.

La plus importante étant la première, car c’est celle au cours de laquelle l’animal est testé et préparé pour le reste du processus.

Le bouyay, le saut et l’installation sont les trois étapes du dressage.

La deuxième étant la phase d’apprentissage des mouvements, qui peuvent être des danses ou des enchaînements de pas particuliers.

Enfin, vient la phase ultime dite installation.

Après cette dernière, le cheval exécute seul les mouvements appris, une fois en situation.

Contrairement aux chevaux ordinaires, ceux qui ont suivi ce processus ont un train de vie particulier.

Le reste de leur existence se déroule entre l’écurie et les spectacles.

Certains, considérés comme des membres à part entière de la famille de leurs maîtres, sont enterrés avec soin, à la fin de leur vie.

Desdunes n’est pas le seul endroit d’Haïti avec cette pratique équestre.

Des activités similaires existent dans d’autres villes du pays comme à Fonds-des-nègres et à Petit-Goâve.

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Aux côtés de ces traditions équestres ancrées dans la culture locale, il existe une équitation olympique en Haïti, coiffée par la Fédération Équestre d’Haïti depuis 1999.

En 2015, un plan de développement communal avait inscrit le dressage comme un élément à valoriser dans le patrimoine culturel local de Desdunes. Selon ce plan, Desdunes et ses 2000 chevaux pourraient attirer des touristes.

Les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes, selon trois entraîneurs de chevaux et cavaliers qui se sont entretenus avec AyiboPost.

Le maire Fanord Pierre affirme faire certains efforts, mais admet néanmoins que l’administration municipale ne dispose pas de ressources suffisantes pour mettre en place des infrastructures visant à préserver et valoriser ce patrimoine culturel.

Défilé de cavaliers à Desdunes lors d’une activité festive dans la commune. | © RJAD

La situation de sécurité dans l’Artibonite, le désintérêt des jeunes générations, le vol de bétail et la consommation de plus en plus excessive de viande de cheval effraient Franck Zamor et son équipe en ce qui concerne la préservation de cette tradition.

Lire aussi : La consommation de viande de cheval se popularise en Haïti

L’homme déclare avoir déjà perdu au moins deux de ses animaux, volés dans son écurie.

La fête patronale Saint-Pierre reste le dernier grand rempart pour l’équitation dans la région depuis quelques années.

En juin, elle attire des visiteurs de tous horizons, venus assister aux parades où des hommes en uniforme réalisent des numéros époustouflants avec leurs montures.

«J’aimerais que cela puisse continuer à exister dans le temps, mais je suis très inquiet», confie Zamor  à AyiboPost.

Par Wethzer Piercin

Image de couverture : Défilé de dressage de chevaux à Desdunes lors d’une activité festive dans la commune. | © RJAD


Visionnez ce reportage d’AyiboPost publié décembre 2021 sur la pratique du «tire-baton» en Haïti qui est une forme d’art martial haïtien :


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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