SOCIÉTÉ

Le Coronavirus met à genoux le secteur touristique de Jacmel

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L’artisanat et l’hôtellerie, deux secteurs clés du tourisme, subissent de plein fouet la crise sanitaire du Covid-19

Mardi 5 mai 2020. Les rues de Jacmel sont animées. Les motocyclettes, le principal moyen de transport de la ville, effectuent un va-et-vient incessant. L’avenue Barranquilla, célèbre pour son défilé carnavalesque, regorge d’activités. On dirait que le Coronavirus n’est pas encore passé par là. Seules quelques personnes qui portent un masque de toile viennent rappeler que nous sommes en pleine pandémie.

La rue du commerce ne fonctionne plus

Une voiture de Police patrouille lentement. Il est près de 10 heures PM. L’heure du couvre-feu national est dépassée de deux heures. Pourtant les policiers ne font pas mine d’interpeller les passants encore dehors. L’heure n’est pas respectée, nous confirment deux motocyclistes.

Le Covid-19 est bien là, pourtant. L’insouciance apparente ne suffit pas à masquer les conséquences économiques de la maladie, surtout visibles à la rue du Commerce, l’un des principaux attraits de la ville. Cette rue célèbre pour ses galeries d’artisans est vide. Galeries, hôtels, café, tout est fermé. C’est à peine si quelques passants l’empruntent.

Sur les portes de l’auberge du Vieux Port, un communique atteste les arrets des activites

L’artisanat à l’arrêt

À l’image de la rue du Commerce, les artisans de Jacmel ne savent plus à quel saint se vouer. Depuis 22 ans, Emilson Blaise vit de son art. Il est peintre, graffeur, et calligraphe. Le Coronavirus est venu le terrasser. Il se plaint de n’avoir plus aucun revenu. « Avant la maladie, j’avais envoyé 26 tableaux dans une galerie à New York, affirme Emilson Blaise. Seuls quatre ont été vendus. Je n’ai plus aucune rentrée d’argent alors qu’avant je me débrouillais bien. Il n’y a pas longtemps j’ai vendu deux tableaux, l’un à 700 dollars et l’autre à 50 000 gourdes. »

Le Covid-19 n’est que le énième évènement qui affecte un secteur déjà bien en peine. « Dès 2004 les choses ont commencé à aller mal, explique Emilson Blaise. Puis plus récemment les locks successifs ont fini par nous casser la ceinture. Dans un bon mois, je pouvais rentrer plus de 35 000 gourdes sans les tableaux. Maintenant c’est fini. »

Fernande, à côté de sa boutique d’art

À la rue Sainte-Anne, autre rue historique de la ville, les shops des artisans sont fermées également. Seule Fernande, propriétaire de My Lyse Shop, a fait le pari de laisser ses portes ouvertes. Elle ne le regrette pas. « C’est là que j’habite, explique-t-elle. Je ne vais pas fermer, car tant bien que mal pendant la journée je rentre 500 ou 1000 gourdes. Le jeudi saint j’ai pu vendre pour 5000 gourdes, si j’avais fermé cela ne serait pas arrivé. »

Ne pas abandonner

Mais tous n’ont pas la chance de Fernande. Émilien est aussi artiste. Depuis plus de 30 ans, il s’est spécialisé dans les objets en papier mâché. « Nous enregistrons catastrophe après catastrophe, regrette-t-il. Le Covid-19 est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. »

D’après l’artisan, cela fait quelque temps que l’artisanat n’est plus ce qu’il était à Jacmel. « Lors du carnaval il n’y avait pas grand monde, même si nous avons vendu des articles. Le 1er mai dernier, fête de la ville, nous n’avons rien vendu. Maintenant à Jacmel les activités culturelles ne sont plus des foires, mais des concerts “woy woy”. De plus, les autorités ne font aucune promotion pour l’artisanat et n’ont que faire des artisans. »

Objets d’art dans le shop de Fernande

Mais l’artisan attend patiemment la fin de l’épidémie. « Je travaille beaucoup pour le compte de grands magasins de Port-au-Prince, continue Émilien. Ils m’ont contacté pour me dire qu’ils mettaient leurs activités en suspens. Mais je continue à produire, car j’attends que la pandémie finisse. Je travaille, je ne rentre aucun argent, mais je ne peux pas quitter ce métier. Certains sont en train de se convertir à d’autres activités en ce moment. »

Les hôtels à la peine

Les hôtels sont eux aussi à la traîne. Ils sont l’autre face de la médaille, quand on parle de touristes. Il n’y a pas d’affluence. L’hôtel Florita est l’un des plus anciens de Jacmel, et l’un des plus connus. Il existe depuis l’année 1888. Le bâtiment, à l’architecture ancienne, trône à la rue du commerce. Sur ses murs, il est fièrement écrit : « Ouvert 24 sur 24 ». Pourtant lui non plus n’a pu résister : il est fermé depuis le 20 mars.

L’hôtel Florita, qui existe depuis 1888, a fermé ses portes

Cet hôtel, selon Jean-Elie Gilles, docteur ès lettres et recteur de l’université publique du Sud-Est, est historique. D’après ce fin connaisseur de l’histoire de la ville de Jacmel, de grandes personnalités y ont élu résidence dans le temps. « Tout récemment, explique-t-il, la reine d’Espagne y a séjourné. Le célèbre écrivain américain Selden Rodman y vivait à l’année, lui et ses enfants. C’est là qu’il écrivait ses livres. »

Des coûts exorbitants

Comme le Florita, la plupart des hôtels de la ville sont fermés. John Boisguéné, manager du Manoir Adriana, a lui décidé de rouvrir. « Nous étions fermés depuis plus d’un mois, dit-il. Les gens pensent que je suis fou de vouloir rouvrir. Il est vrai que depuis ce matin nous n’avons même pas vendu une bouteille d’eau. Le staff est réduit à environ quatre personnes. Les autres ne travaillent pas. Nous faisons l’effort de leur donner un kit alimentaire, mais c’est difficile. »

Vue intérieure du Manoir Adriana

Les coûts d’opération sont élevés, l’hôtel est en quasi-faillite. « Depuis environ un an, nous essuyons des revers. L’hôtel avait à peine ouvert ses portes que le pays lock pointait son nez. Nous fonctionnons à perte. Rien que pour l’essence, nous consommons 108 gallons tous les quatre jours, quand on fonctionne à plein régime. »

Presque même constat pour l’hôtel Collins. Situé en face de la mer, l’hôtel est fermé, même s’ils acceptent quelques activités. « Nous profitons pour rénover quelques espaces, dit Jean Marie Révolus, le manager de l’hôtel. Le staff est réduit, mais nous ne recevons pas de clients. Ils sont là pour la maintenance, et pour la sécurité. Avant le Covid-19, le secteur était en difficulté, après ce sera encore plus dur. »

L’une des grandes attractions de la Rue du Commerce

Ce n’est pas certain que les activités reprendront comme avant, pense Jean Marie Révolus. Le ministère du Tourisme a contacté des hôtels pour prendre des informations sur leurs employés. Mais, regrette-t-il, ils n’ont pas été contactés directement. « Le ministère nous connaît, il a organisé plusieurs activités chez nous. Mais c’est un autre particulier qui nous a envoyé le formulaire. Nous l’avons reçu le 4 [mai] dans la soirée, et il fallait le retourner le 4. »

Jameson Francisque

Les photos sont de Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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