L’ouragan Matthew qui s’est abattu sur Haïti en octobre 2016 a affecté tous les secteurs d’activités principalement dans les départements du Sud et de la Grand ‘Anse. Le cyclone de catégorie 4 a tout balayé sur son passage, portant des coups fatals notamment à la forêt de ces deux départements. Il a aussi mis à nu des problèmes récurrents de l’environnement soulignant leur manque de réponses nationales. C’est notamment le cas du charbon et du bois de chauffe dont la production n’a jamais été réglementée.
Dans ce paysage dévasté où les agriculteurs du Sud et de la Grand ’Anse ont tout perdu avec comme seule ressource des arbres déracinées, la production de charbon est devenue l’alternative au chômage et à la misère qui sévit dans l’arrière-pays touché par Matthew. La ruée vers cette production a provoqué un surplus, l’offre dépasse la demande, ce qui a causé la chute du prix du sac qui est passé de 350 Gdes à 150 Gdes dans le dépatement de la Grand’Anse. Par ailleurs, la vente à considérablement baissé car le pouvoir d’achat des grandes villes du grand Sud a chuté.
Une production depuis longtemps anarchique
La production du charbon de bois comme source d’énergie occupe le débat depuis plusieurs décennies. C’est une problématique abordée timidement, sans conviction, par plusieurs gouvernements. Cette production du charbon est souvent liée au déboisement. Mais n’est-ce pas un secteur qui pourrait être porteur s’il était réglé, surveillé et fait dans les normes ?
Mal connu et mal géré, le secteur de la production du charbon de bois en Haïti est mal exploité. Le pays ne jouit pas des retombées économiques concrètes de cette activité bien que les chiffres d’affaires atteignent des millions de dollars chaque année. Le secteur évolue encore dans l’informel et l’impact sur l’environnement est évident. Environ 70 % de l’énergie consommée dans le pays, est constituée de bois de feu et de charbon de bois, selon des chiffres avancés par le Bureau des Mines (BME).
D’un autre côté, la couverture forestière du pays est à moins de 2% d’après le Programme des Nations-Unis pour le Développement (PNUD). Les espaces arborées du pays lentement diminuent. Peut-on incomber la responsabilité du déboisement à la production du charbon de bois ? Dans le Recenssement Général Agricol (RGA) il est précisé que 395,960 familles haïtiennes dépendent de l’exploitation du bois comme source de revenu. Le secteur continuera donc à exister, il est logique de voir les possibilités qu’il peut offrir et de voir aussi ce qui peut être fait pour le renforcer et en faire une industrie profitable pour l’économie du pays.
Une alternative : créer des espaces plantés de bois de feu
Hans Legagneur, entrepreneur et directeur de l’entreprise pour la Promotion des Denrées Locales (ENPRODEL), travaille dans le domaine de l’agriculture et porte un projet autour de la production de bois de feu. Il propose une autre approche qui permettrait de produire du charbon sans faire de déboisement. Selon lui, il faudrait créer des airs de production de bois de feu. « Des airs qui s’étendraient sur plusieurs carreaux où seraient planté seulement des arbres habilités à produire du charbon de qualité en un temps record (Bayahondes, Nîmes, Gayac, etc.) ». Ce procédé, ajoute-t-il « favoriserait une disponibilité du charbon sur le marché sans provoquer le déboisement ». La méthode de production de charbon mérite aussi d’être améliorée selon Legagneur. Le processus de carbonisation dans les meules paysannes traditionnelles dure cinq à six jours. A la fin de la carbonisation environ le tiers de la charge du bois est brulé pour soutenir le processus, « un vrai gaspillage ». On estime en Haïti que la quantité de bois utilisé annuellement pour produire le volume de charbon nécessaire aux besoins du pays pourrait servir pendant trois ans si le bois était carbonisé dans des fours. De plus, si la meule traditionnelle est facile à construire étant donné que la matière première, le bois est disponible, les accessoires pour construire la meule (terre et feuillage) sont à portée de main, elle impose au paysan une charge de travail énorme. En effet, le charbonnier doit veiller jour et nuit et ce pendant six jours sur la meule afin de colmater à temps les trous qui se forment sur le manteau de terre et de feuilles. Quand cela se produit, un appel d’air (oxygène) atteint le cœur de la meule qui se consume et le travail de tout un mois peut être perdu. A noter que la meule traditionnelle est la méthode la plus courante dans les pays en développement.
Four semi industriel proposé par M. Hans Legagneur
Le Bilan Energétique National laquelle a révélé qu’environ 12% des approvisionnements bruts en énergie sont consommés et perdus au cours des processus de conversion (60% de l’énergie du bois part en fumée lors de sa transformation en charbon). La méthode améliorée ou semi-industrielle utilise un four à charbon où la cuisson nécessite entre quatre et cinq heures et le bois garde de sa densité.
L’expérience du Dr. Tarter
Hans Legagneur n’est pas le seul à penser que la production de charbon n’est pas nécessairement liée au déboisement. Dans le cadre de son doctorat en Anthropologie, Andrew Tarter Anthropologiste et Chercheur à l’Université de Florida aux Etats Unis a passé près d’une année dans le département du Sud à faire des observations sur les interactions entre les humains et l’environnement dans le contexte de l’agriculture et son étude a également porté sur la production du charbon. Il a constaté qu’à Aquin par exemple dans le département du Sud, les habitants ont développé une technique lors de la récolte du bois. L’arbre n’est pas coupé jusqu’à la racine. Le tronc reste en terre et se régénère pour être recoupé quelques années plus tard pour d’autres récoltes. Andrew Tarter a remarqué que cette pratique est assez répandue dans certains endroits des départements du pays.
Le bois, plus résistant et durable, est considéré comme une réserve pour les paysans selon le Dr. Tarter, une sorte de « banque rurale » dans laquelle ils viennent puiser en, période de sécheresse ou quand les récoltes ne sont pas suffisantes. Dans les zones qu’il a étudiées comme Aquin, Fond-des-Blancs, St Louis du Sud (Département du Sud), Cote de fer (Département du Sud-Est), St-Michel (Département de l’Artibonite) la coupure des arbres ne se fait pas au hasard. Les paysans choisissent les bois de feu et développe la pratique expliquée plus haut.
A la lumière des observations de Hans Legagneur et d’Andrew Tarter le vrai problème n’est pas la production du charbon mais sa surexploitation. Selon eux, il revient aux autorités de proposer une politique d’exploitation et un meilleur encadrement des paysans.
Le poids économique du charbon de bois en Haïti
D’après un bulletin du Bureau des Mines publié en décembre 2000, l’activité économique autour du charbon générait plus de 65 millions de dollars par année et plus de 150, 000 emplois sur tout le territoire National. Selon l’agronome Jean André Victor, le pays consomme approximativement 300, 000 Tonnes Métriques de charbon de bois par année, ce qui équivaut à 1,5 million de tonnes de bois de feu.
Cent cinquante mille familles dépendent de cette production. Dans les milieux ruraux le charbon est une nécessité économique, car c’est une activité qui peut procurer de l’argent rapidement pour les familles. Ce n’est pas le cas de l’agriculture qui se fait encore de façon artisanale et se heurte souvent aux problèmes de sécheresse, d’attaques épidémiologiques et d’autres problèmes qui n’assurent pas un revenu régulier.
A plusieurs reprises des mesures ont été adoptées au niveau du gouvernement pour freiner la production du charbon et la consommation du bois dans certaines entreprises. Un décret publié en juillet 1987 par exemple, réglemente l’utilisation du bois-énergie en Haïti. L’utilisation du bois comme combustible dans les blanchisseries et les boulangeries était interdite. Le décret avait accordé 6 mois à ces commerçants pour transformer leur système et utiliser d’autres combustibles que le bois. Jusqu’à ce jour, le décret n’est jamais entré en vigueur. En 2009, le ministre de l’environnement d’alors, Jean Marie Claude Germain avait annoncé lors d’un colloque la mise en place d’un programme de reboisement du pays, avec l’objectif d’atteindre les 10% de couverture forestière sur cinq années. Le sujet a également été abordé en 2014 par le premier ministre de l’époque, Laurent Lamothe et ses ministres de l’environnement et de l’énergie. Toutefois rien concret n’a vu le jour de ces symposiums et jusqu’à aujourd’hui, le défi reste entier.
L’impact de la coupure des arbres sur l’environnement
Que la production de charbon soit responsable du déboisement et de la déforestation est encore un débat sur lequel les experts des pouvoirs publics ne se sont pas encore mis d’accord. Pour Bétonus Pierre du bureau des Mines, par exemple, « la production du charbon de bois n’est pas la seule responsable du déboisement ». Il reconnait cependant que c’est l’un des éléments principaux. Dès que l’on parle de déboisement en Haïti on ne voit que le secteur de la production de charbon. Cependant, il y a aussi l’industrie des meubles et de la construction (mobilier et agencement, ébénisterie, menuiserie, sculpture). Selon l’ingénieur, le bois a plusieurs utilisations. Une fois récolté, il peut être utilisé pour faire du charbon, pour être brulé (blanchisserie, boulangerie) et pour faire les travaux de menuiserie.
« Le charbon de bois n’est pas responsable du déboisement et de la déforestation », affirme également le généticien Gaël Pressoir. Le directeur des Laboratoires Chibas-Quisqueya, rattaché à l’Université Quisqueya, exprime des doutes sur les chiffres cités un peu partout sur le sujet : « Tout le monde accuse ce secteur pendant qu’il n’y a aucune étude scientifique qui a été réalisée pour mesurer l’impact de cette production sur le déboisement. Depuis une trentaine d’année on ne cesse de répéter que la forêt en Haïti est de 1, 5% et qu’elle décline. » Le problème avec ces chiffres est qu’aucune institution n’est capable de les défendre car aucun travail scientifique n’a été mené sur le terrain « Qui mesure les zones arborées et boisées dense du pays ? », questionne M. Pressoir.
Des études récentes par l’équipe de Gaël Pressoir et celle de Churches et collègues montrent que si l’on considère les espaces boisés ou la végétation couvre 75% du sol (espace boisé dense) ou 50% du sol (définition FAO) on obtient une superficie boisée supérieur à 15% du territoire national (espace boisé dense) voir 30% en considérant la définition de la FAO. Mais cela reste quand même le chiffre le plus faible de la Caraïbe.
Selon Gaël Pressoir, si on prend en compte le nombre de charbonnier dans le pays, l’écart demeure grand entre la production de charbon et le rythme du déboisement. D’un autre côté, avance le généticien, « la production de charbon peut favoriser la progression de la forêt. C’est ce qui est remarqué dans les localités comme Aquin, Côte de Fer et les environs. » Dans ces zones La couverture forestière gagne en épaisseur grâce à une production contrôlée. Selon lui « personne ne prend vraiment le temps de voir cette réalité car le charbon est sur le banc des accusés. »
En matière d’énergie pour les ménages
71 % de l’énergie consommée dans les ménages en Haïti consiste en charbon de bois, avance le Bureau des Mines. Il est utilisé comme source d’énergie principale pour la cuisson. Les 30% restantes se partage entre le propane, le kérosène et le GPL (Gaz à pétrole liquide). Port-au-Prince consomme plus 486 tonnes de charbon quotidiennement selon les chiffres publiés par le Bureau des Mines dans la revue en ligne Synergies. Actuellement le litre de propane se vend à 140 gourdes à la pompe sans mentionner l’installation couteuse que cela demande. En matière d’énergie ménagère, il n’y pas une grande variété de choix. Le charbon de bois est la moins chère et la plus accessible pour les foyers, il comble donc encore la grande majorité de nos besoins en énergie.
Quel espoir pour les paysans ?
Bien avant le cyclone Matthew, beaucoup de familles dépendaient financièrement de la fabrication du charbon de bois. La situation s’est empirée depuis le cyclone Matthew, le prix du sac de charbon a chuté et ces familles se retrouvent avec encore plus de difficulté qu’avant. Il n’y a rien qui se fait pour structurer ce secteur de production. Des projets s’entassent dans les tiroirs de l’Etat pendant que sur le terrain, c’est la dérive.
Comme certains le défendent, produire du charbon ne rime pas obligatoirement avec la dégradation de l’environnement. Le bois est une énergie renouvelable et certains pays en profitent largement. En Haïti, il nous faudrait sans doute une politique de l’exploitation du bois orientée vers la protection de l’environnement et le développement urbain. Celle-ci permettrait sans doute d’encadrer les couches de la population qui n’ont que cette production comme ressource et d’intégrer d’autres sources d’énergies pour pouvoir faire l’équilibre.
Soucaneau Gabriel
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