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Le Centre ambulancier national haïtien fonctionne malgré tout…

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Le Centre ambulancier national  (CAN) lutte pour maintenir en vie les citoyens en situation d’urgence. Malgré les difficultés, les employés de cette structure publique se montrent passionnés.

 

Il est 6 h 30, le vendredi 22 février 2019. Plusieurs employés, dont des infirmières, chauffeurs, personnels de soutien et secouristes, occupent la cour du Centre ambulancier national (CAN). Alors qu’ils attendent de remplacer leurs collègues qui ont travaillé la soirée précédente, une dizaine d’ambulances équipées attendent d’investir le macadam.

Dans leur uniforme vert, les « soldats » du CAN se chargent d’offrir des soins d’urgences pré-hospitalières à toute personne dont l’état de santé le nécessite sur toute l’étendue du territoire national. Ils interviennent lors des catastrophes naturelles et peuvent être remarqués lors des événements réunissant la grande foule (festivals, carnavals, fêtes patronales, etc.).

« Nous vérifions si les véhicules sont bien préparés avant qu’ils partent », lance une dame, dans la cinquantaine, fine des pieds à la tête, qui supervise les flottes d’automobiles. Elle précise que ces véhicules sont spécialement adaptés et aménagés pour permettre le transport des malades, blessés ou parturientes vers un établissement hospitalier. « Ils sont pré-positionnés dans différents points stratégiques sur tout le territoire en vue d’être plus proches de la population et réduire le temps de réponse. »

Vers les 8 heures, les différents responsables du CAN se présentent au bureau de l’institution désormais logé dans un local neuf inauguré le 23 mars 2018 à Cité militaire, près de l’hôpital de l’OFATMA. Ce nouveau bâtiment dispose d’un centre d’appel, d’un garage et d’une aire de désinfection des véhicules. Il comprend cinq services : les Soins d’urgences, la Coordination des réseaux, la Logistique et la maintenance, le Suivi et évaluation et l’Administration. Fondé en mars 2012, le CAN œuvre dans le service des soins d’urgences pré-hospitalières sous la houlette du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP).

« Le CAN est issu d’un accord tripartite entre les gouvernements haïtien, brésilien et cubain. Nous avons 72 ambulances dans tout le pays. Dans le département de l’ouest, il y a 18 ambulances parmi lesquelles 14 desservent l’aire métropolitaine », précise le directeur général de l’institution, Dr Didié Hérold Louis.

Pour rendre le service plus accessible, il confie que les ambulanciers se positionnent dans des points fixes aux premières heures de la journée. Cependant, durant le mois de février 2019, marqué par des mouvements de protestation, cette procédure s’est arrêtée. « Ce n’est que le mercredi 20 février que nous avons relancé le processus », informe le responsable.

Tous les matins, des ambulances sont envoyées à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) et à l’Hôpital universitaire de la Paix. D’autres rejoignent les hôpitaux communautaire de référence (HCR) de Bon repos, Beudet et d’Arcachon 32. « Ces 3 HCR sont très importants dans la structure sanitaire publique au niveau de l’aire métropolitaine. Ils peuvent même réaliser des interventions chirurgicales », explique Didié Hérold Louis.

 

Une procédure simple

« Centre ambulancier national bonjour. Comment puis-je vous aider ? » C’est par cette phrase que les permanenciers répondent aux appels sur la ligne 116 de l’institution. Logés dans une pièce divisée en 10 cabines, les permanenciers se chargent de l’enregistrement des informations sur les appelants afin de les transmettre au service de régulation. Après confirmation des données, le service sollicite l’ambulance la plus proche du patient pour l’amener vers le centre hospitalier spécialisé approprié.

Chaque ambulance a pour objectif principal de secourir la population et sauver le plus de vies possible. Trois personnes y prennent place : le chauffeur, l’infirmière et le secouriste. « Après la régularisation, un chef de service nous appelle et nous communique les informations. Puisque les ambulances sont déjà équipées, une équipe de trois personnes laisse la base. En cours de route, nous appelons la personne qui avait contacté le centre d’appel pour essayer de la localiser au plus vite », explique l’infirmière Ciana Joseph, employée au niveau du centre.

En cours de route, l’infirmière et le secouriste doivent prendre soin du patient et veiller à son confort. « Ce qui est important pour nous, c’est de maintenir la vie de la personne souffrante qui nous appelle sur le terrain. Pour ce faire, il faut vérifier avant notre départ que toutes les ambulances sont dans les conditions opérationnelles adéquates pour supporter la mission », ajoute l’infirmière Mme Joseph.

Un métier pour les robustes

Un ambulancier doit être à la fois rapide et prudent, selon Bazar Rodny, un chauffeur ayant plus de vingt ans d’expérience dans le métier. Ce travail nécessite une bonne résistance physique et mentale. « Les interventions peuvent s’avérer longues et éprouvantes. Il doit être capable de travailler la nuit et en week-ends. Dans notre travail, nous, les chauffeurs, devons être à l’écoute et pouvoir rassurer les patients inquiets », a fait savoir l’homme, dans la quarantaine, assis derrière le volant de son 4*4 de service. Selon lui, il faut avoir du sang-froid et être réactif afin de gérer tout type de situation sur le terrain.

Selon les déclarations du directeur du CAN, le conducteur ambulancier lave l’intérieur et l’extérieur du véhicule, le désinfecte, vérifie le matériel de premiers secours, surveille l’entretien mécanique. « On doit les désinfecter pour éviter d’autres problèmes. On peut transporter dans une intervention une personne blessée par balle qui saigne. Dans ce cas, le véhicule doit passer dans le système de désinfection », précise-t-il.

Une demande constamment en hausse

Selon le rapport de décembre 2018, des 1367 appels d’urgence reçus par le centre ambulancier, seulement 949 ont été exécutés. 418 cas n’ont reçu aucune assistance. « La raison expliquant cette [importante] quantité [de cas non assistés] — est que souvent, un patient nous appelle au moment où l’ambulance disponible dans sa zone est déjà occupée dans le transport d’une autre personne à l’hôpital», clarifie Mirlyne Gauthier, l’informaticienne ayant travaillé sur le rapport. Par ailleurs, une grande majorité des appels reçus sont inutiles, voire nuisibles. « [Il y a] des gens qui nous appellent juste pour blaguer ou pour nous demander de l’argent. Elles occupent la ligne, pendant que des personnes en difficulté essaient de nous contacter », se plaint-elle.

Face à une telle situation, les réseaux sociaux viennent à la rescousse. Magdalie Toussaint, l’une des community manager du CAN, relate que ceux qui appellent pour avoir une idée du fonctionnement de l’institution et pour demander des conseils en cas d’un malaise peuvent visiter leur page Facebook.

Un métier passionnant…

Une majorité des infirmières et secouristes du CAN se disent passionnés de leur travail en dépit des moments de crise et autres difficultés administratives. « Au début, j’avais peur. Mais, la peur s’est envolée progressivement, se félicite Joseph Ciana. Je suis contente chaque fois que j’aide une personne en situation difficile. Nous sauvons des vies et c’est intéressant ».

Au cours de la crise du « pays lock »  en février 2019 qui a généré, pendant dix jours, des manifestations violentes pour exiger le départ du président Jovenel Moïse et demander de meilleures conditions de vie — la situation s’est révélée difficile pour le Centre ambulancier national (CAN). « Nous pensions que les manifestants allaient nous laisser franchir les obstacles dressés dans les rues. Souvent, on nous empêchait de passer, racontent des chauffeurs en poste lors des soulèvements. Dans ces cas, nous rejoignons les protestataires pour discuter avec eux afin de trouver une solution ».

Pour Bazar Rodny, la mission d’ambulancier nécessite beaucoup de compétences, et aussi, la capacité de garder un bon contact avec les malades. L’intérêt du métier, d’après une autre infirmière requérant l’anonymat, c’est d’abord le contact avec les patients (malades, personnes blessées ou handicapées) et le travail en équipe sur le terrain (infirmiers, chauffeurs et secouristes). « Nous faisons toujours notre mieux pour accorder notre soutien aux malades. Nous les aidons de tout cœur, c’est surtout un métier de cœur », argue-t-elle.

Le directeur de l’institution, de son côté, se montre satisfait des résultats. Selon lui, le plus grand problème du centre est le manque de ressources financières. « Le CAN a seulement 7 années d’existence, c’est un bébé. Nous faisons de notre mieux pour avancer chaque jour avec le peu que nous disposons », conclut Didier Hérold Louis.

Snayder Pierre Louis

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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