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Gary Bodeau: « L’actuelle législature est la plus productive de l’histoire de ce pays. »

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Après avoir brigué la questure à deux reprises, Gary Bodeau est devenu président de la chambre basse. Il est le seul parlementaire en fonction dont la proposition de loi a été votée et mise en application. Avant d’accorder cette interview, le président de la chambre des député a insisté pour qu’on visite un projet d’asphaltage de rue dont il est l’instigateur à Petite Place Cazeau, dans la commune de Delmas. Pour lui, il s’agit d’un point important de son bilan qui mérite d’être souligné. Dans cette interview, il aborde entre autres, le choix de Jean Henry Céant comme premier ministre, ses rapports avec l’ancien premier ministre Laurent Salvador Lamothe et le dossier Petrocaribe. Il insiste sur le fait que tout bon travail d’audit, doit surtout fouiller du côté des firmes bénéficiaires de projets. 

 


 

Qu’est-ce qui est ressorti des négociations au parlement pour que Jean Henry Céant devienne premier ministre ?

 Il n ‘y a pas eu de négociations entre les parlementaires et le premier ministre ou avec le président de la chambre. Dès le début, j’avais fixé les règles du jeu, pour que, par rapport au contexte, on ne dise pas que les députés négocient des postes. Nous avions demandé que les discussions se fassent avec les partis politiques. D’après la loi, lorsqu’il n’y a pas de parti politique majoritaire au parlement, il faut que le président de la République ainsi que le premier ministre nommé négocie avec les partis représentés au parlement.

Pour l’équilibre social, le Premier ministre peut étendre les négociations en discutant avec les forces sociales pour former son gouvernement. Il y a seulement deux parlementaires chefs de partis. C’est le Sénateur Youri Latortue qui dirige le parti AAA et le sénateur Denis Cadeau qui dirige le parti Bouclier. Les négociations ont été faites avec les leaders de partis, non pas avec les parlementaires.

Sur quoi porte l’essentiel des discussions sur le choix d’un premier ministre au parlement ?

Pour le choix d’un premier ministre on parle de consultation. D’après la Constitution, le président de la République choisit son Premier ministre en consultation avec les présidents des deux chambres du parlement. Quand le président désigne quelqu’un, il veut savoir en général si le candidat peut obtenir le vote des parlementaires. En tant que président de chambre, nous donnons nos opinions, mais le président fait quand même son choix. Ce n’est pas une consultation contraignante.

Qu’en est-il des négociations de postes en échange de votes en faveur du premier ministre ?

 Je n’ai jamais assisté à de telles tractations au niveau de la chambre basse. Je n’ai jamais vu des députés marchander leurs votes. Ces choses se font peut-être dans les coulisses. Il y a des partis politiques qui sont représentés au parlement. Il se peut que lors des discussions avec les partis, l’emphase soit mise non sur le pouvoir, mais sur la gouvernance ou les projets. Il y a des parlementaires qui, une fois élus, ne suivent pas la ligne de leur parti politique. Mais, les députés ne discutent pas de postes. Sauf que, dans les discussions avec les blocs politiques, certains députés peuvent exiger des allocations pour des projets dans leurs circonscriptions.

En vous écoutant on dirait que vous parlez d’une assemblée politique très responsable. Pourtant ce n’est pas l’image que le parlement envoie à la population…

Certaines études démontrent que le parlement est toujours impopulaire. Nous avons 202 ans d’histoire parlementaire en Haïti et toutes les législatures ont été impopulaires. L’actuelle législature dont je suis membre est celle la plus productive de toute l’histoire de ce pays. C’est peut-être le parlement le plus impopulaire de l’histoire. On n’évalue pas le parlement sur la base de résultats. Le public ne connaît pas vraiment les lois qui sont votées.

Pourquoi les députés voulaient tant garder le ministre Aviol Fleurant ?

Aviol Fleurant était membre de la commission qui analysait les pièces du premier ministre désigné Fritz Jean. Il était proche de plusieurs députés qui l’avaient proposé comme ministre. A l’époque, il y avait le ministère de la Planification pour lequel Aviol s’était dit intéressé. Il est ainsi devenu ministre grâce au bloc majoritaire qui l’a choisi. Puisque ce bloc n’a jamais été dissout, les députés n’avaient pas exigé sa démission. A la tête du ministère, il a entretenu de bonnes relations avec les députés qui l’avaient choisi. Il a soigné ses relations avec toutes les tendances politiques du parlement.

Ainsi il a été reconduit au gouvernement de Jack Guy Lafontant sans décharge de sa gestion…

Il n’en avait pas besoin. La Constitution stipule que c’est « si on a été comptable de deniers publics » [Ndlr, qu’il faut décharge]. En liquidant les affaires courantes, on est encore comptable de deniers public, du coup, on n’a pas besoin de décharge pour être reconduit dans un nouveau gouvernement. Par contre, il faut la décharge pour tout ancien ministre que le gouvernement de Jean Henry Céant veut reconduire. Parce que d’après la loi, ce ministre ne gère plus les affaires courantes. Il y a une sorte de cassure dans la gestion qui exige décharge. Les députes du Nord et du Nord-Est ont rencontré le président pour lui dire qu’ils souhaitent que Aviol soit reconduit. Aviol Fleurant était un ministre qui accueillait toujours les députés, même s’il ne fait véritablement rien pour eux.

Le Ministère des Travaux Public, malgré tous les problèmes d’infrastructures, n’a utilisé que seulement 40% de son budget. Cet argent est retourné au Trésor Public.

Pourquoi malgré le déficit budgétaire, le parlement a voté un budget rectificatif qui augmente le train de vie de l’Etat ?

Le Parlement ne fait pas de budget. Le budget est un instrument de l’Exécutif. C’est un document approuvé en Conseil des ministres. J’ai toujours dit aux députés de voter le budget du gouvernement sans modifications pour éviter tout prétexte. Malheureusement ce n’est pas le cas. Les ministres qui ont approuvé le budget en conseil des ministres essayent de le modifier à travers des groupes de parlementaires qu’ils influencent.

Il arrive parfois qu’à la fin de l’exercice fiscal, certains ministères n’aient pas épuisé la totalité de leur budget. Le Ministère des Travaux Public, malgré tous les problèmes d’infrastructures, n’a utilisé que seulement 40% de son budget. Cet argent est retourné au Trésor Public. Le budget rectificatif concerne des dépenses déjà engagées. Le seul changement qu’il y a eu au niveau du budget rectificatif concerne la somme de 1.3 milliards de gourdes que le parlement a désaffectée en accord avec le gouvernement, pour payer le quatorzième mois aux employés de la fonction publique.

Le peuple a gagné les rues en juillet pour revendiquer plus de justice sociale, pourquoi aviez-vous choisi de changer un premier ministre ?

Le gouvernement avait essayé d’appliquer une politique pour rentrer 19.9 milliards de gourdes à partir de l’ajustement du prix de l’essence. Cette politique n’a pas été efficace. Le secteur privé a avancé 300 millions de dollars de pertes après les soulèvements. Le gouvernent de Jack Guy Lafontant a donc échoué. Le premier ministre n’aurait pas du attendre qu’on exige sa démission. N’oubliez pas que tous les secteurs vitaux de la vie nationale y compris les pouvoirs publics avaient exigé sa démission. En tant que président de la chambre basse je l’avais exigé comme d’ailleurs le bloc majoritaire de la chambre. Pour garantir la paix et la stabilité dans nos rues, il a fallu la démission de Jack Guy Lafontant.

Je ne dirige pas le pays. Ceux qui sont au pouvoir vraiment, sont ceux qui ont les moyens de leur politique.

Depuis les évènements de juillet, en tant qu’autorité, êtes-vous conscients de l’urgence pour adresser les véritables problèmes ?

Je ne dirige pas le pays. Tout le monde sait que le parlement ne met pas de politiques publiques en œuvre. Il n’a pas de budget pour adresser les problèmes du pays. Ceux qui sont au pouvoir vraiment, sont ceux qui ont les moyens de leur politique. On peut les influencer au niveau du parlement, on peut faire pression sur un ministre improductif et contrôler, mais on ne définit pas les priorités. On ne dicte pas les jugements à rendre au pouvoir judiciaire. Dans les corps de l’Etat chacun a ses responsabilités à partir desquelles il faut les juger.

Les 6 et 7 juillet ont été le témoin d’un évènement majeur dans l’histoire de ce pays où la population a gagné les rues suite à une décision du gouvernement. Ce n’est pas la première fois que la population gagne les rues. Depuis le 7 février 1986 les gens gagnent les rues. Aujourd’hui, il faut changer notre façon de faire, il faut changer de paradigme. Avant le 6 et 7 juillet, il y avait avril 2008 [Ndlr, Les émeutes de la faim]. Les comportements cupides ne changeront pas du jour au lendemain. Il faut une prise de conscience. Si les évènements de juillet peuvent stimuler une prise de conscience, ce serait une bonne chose.

Estimez-vous que la Cour des comptes est capable de mener une enquête exhaustive sur l’affaire Petrocaribe ?

D’abord, je pense qu’il faut faire avec ce qu’on a. Nous devons donc faire confiance à nos institutions. Dans le contexte politique actuel, pour garantir plus de sérénité, il serait bien d’avoir un audit international de toutes les entreprises bénéficiaires des fonds Petrocaribe. Je ne vois pas comment un ordonnateur public peut soutirer l’argent public. Il faudrait qu’il y ait des appels d’offre truqués et des cas de surfacturation. Par conséquent, il faut regarder au niveau des entreprises bénéficiaires des contrats pour éventuellement retracer des irrégularités. Actuellement le dossier est au niveau de la Cour des Comptes, nous devons nous fier à nos institutions.

Aviez-vous la mission de manœuvrer au parlement pour que l’ancien premier ministre Laurent Lamothe obtienne sa décharge ?

Ce sont des rumeurs. Au niveau de la chambre des députés on ne fait pas de distinction entre ceux qui méritent et ceux qui ne méritent pas décharge. En tant que président de la chambre, j’ai fait beaucoup d’efforts pour accorder décharge à de nombreux citoyens. Mais la décharge s’octroie au niveau de l’assemblée. Des qu’on parle de décharge, les sénateurs et les députés ne sont pas motivés qu’il s’agisse de rapport favorable ou pas.

Pour tout ancien ministre ou premier ministre, la cour des comptes achemine un rapport au parlement. Le parlement est une assemblée politique dont on ne connaît pas vraiment les critères pour l’octroi des décharges. Le parlement n’a jamais octroyé décharge aux citoyens qui ont un rapport favorable de la Cour des comptes. Il y a des anciens ministres qui sont décédés alors que leurs biens sont encore sous hypothèque. C’est le cas des anciens ministres Jean Reynal Clerismé et Gérald Mathurin par exemple. Je pense qu’il y a des forces rétrogrades au niveau du parlement qui refusent d’accorder décharges aux anciens ministres. Ils croient que ces derniers sont de potentiels candidats au Sénat.

Comme tout citoyen, si Laurent Lamothe mérite décharge, qu’on la lui accorde.

Pourquoi serait-ce à moi d’aller demander décharge pour Lamothe ? A la chambre basse, il y a 117 députés dont plusieurs sont des anciens de la 49eme législature qui sont des amis de Laurent Lamothe. Tout le monde sait que j’ai travaillé à la primature pendant l’administration de Gary Conille en tant que jeune issu de l’université d’Etat. Lorsque Laurent Lamothe est arrivé à la tête de la Primature, quoique j’avais démissionné, son équipe m’a appelé deux mois après et j’ai accepté.

Pourquoi une institution aussi puissante que le parlement végète au milieu de tous ces immondices au bas de la ville ?

 Ce n’est pas le pouvoir qui doit forcer quelqu’un à ramasser les déchets dans les rues. C’est un service que l’Etat doit assurer. Ce n’est pas parce qu’un parlementaire habite un quartier, que l’on doit y assurer l’électricité 24/24h. Au niveau du parlement on discute souvent avec les instances de la zone métropolitaine chargées du ramassage des déchets. Le maire de Port-au-Prince, Youri Chevry, vient de prendre des dispositions, mais les résultats ne sont pas pour demain. Si quelqu’un est surpris en train de jeter des déchets, il sera arrêté. C’est très bien. C’est un comportement qui doit être répercuté partout. A travers la loi du Conseil National des Télécommunications, les médias doivent consacrer des heures d’antenne au gouvernement pour faire passer des messages de sensibilisation.

Comment expliquez-vous dans un pays où l’Etat est si inefficace, les officiels sont toujours pressés dans les rues avec leurs sirènes ?

 Je n’ai pas de sirène dans ma voiture. Pour les sirènes, il faudrait même consulter des psychologues sociaux. Dans l’inconscient collectif, beaucoup d’Haïtiens rêvent d’être chef dans leur vie. Certains cherchent à lier une amitié avec un chef pour pouvoir agir en tant que tel. Certains membres de cabinets de ministres mettent des sirènes dans leurs voitures. Il y a ainsi tellement de sirènes dans les rues qu’on ne sait vraiment pas à qui elles appartiennent. Il y a plusieurs façons de gérer ce problème, par exemple les officiels peuvent laisser tôt pour éviter certains excès. Il se peut qu’il y ait une situation d’urgence, mais en général les sirènes contribuent au désordre de nos rues. Rien n’empêche au directeur du service de la circulation de prendre ses responsabilités.

Votre mandat se termine en janvier 2020. Serez-vous candidat au sénat ou a la présidence ?

Aujourd’hui on ne parle pas d’élections. Je suis encore un député en fonction et je n’ai pas encore discuté avec ma famille politique au sujet des prochaines étapes.

 

Ralph Thomassaint Joseph

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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