Le premier mouvement du président élu, qu’on se le rappelle, pas encore investi (prévu pour le 7 février 2017), c’est de délocaliser le carnaval national. D’après ses dires ou plutôt ses ordres, l’édition de cette année aura lieu dans la 3e ville du pays, les Cayes. La nouvelle est tombée, la vidéo circule sur les réseaux sociaux, promesse issue d’une rare fougue alimentée par une foule en délire.
Premier pas du Sir. Trois jours de festivités, à croire qu’il ne faut que ça pour calmer la faim qui tenaille les tripes dans l’arrière-pays rongé par le cyclone Mathieu. Au fond de lui, il est sûr de bien faire. Qu’est-ce qu’on ne fera pas, qu’est-ce qu’on ne dira pas devant une foule qui vous acclame comme si vous étiez le bon dieu. La culture de la célébrité, maladie du 20e siècle. Qui n’en souffre pas ? On est tous accro à la gloire et à l’acclamation. Mais un président élu peut-il prendre la parole sans mesurer l’impact que ses mots auront sur le pays? Peut-il décider seulement pour faire plaisir à un certain groupe ? Planifier le Carnaval national ne serait pas la responsabilité du maire de Port-au-Prince, sous la bannière du ministère de la Culture? Est-ce que la présidence va s’immiscer dans la moindre chose, comme elle l’a fait pendant ces quatre dernières années ?
M. le Président, voici un débriefing de la réalité à laquelle ton gouvernement devra faire face à partir du 7 février prochain, au cas où ton entourage manquerait à son devoir : Mathieu a dévasté les départements du Sud et de la Grand’Anse. Entre morts et dégâts matériels, il y a toute une population qui peine à se relever. Il y a les 10 000 morts et les 800 000 victimes du choléra. Vont-ils justement tomber dans l’oubli, comme c’est le cas pour les milliers de victimes du 12 janvier 2010?
À chaque goutte de pluie, des villes sont inondées et le virus du choléra se propage. L’eau potable représente un défi actuellement dans les zones reculées du pays. Parlons du secteur de la santé qui grève par intermittence. Quand ce ne sont pas les médecins, c’est le personnel médical. Quand la grève ne gravite pas autour du paiement des médecins, elle est due au manque de matériel médical.
Quelle sera la réponse à ces milliers d’haïtiens qui ont fui vers le Brésil, Le chili, la République Dominicaine et tous les autres Eldorados ? Et ces 50 000 expulsés pendant l’année 2016 par la République voisine et la Colombie?
Pendant l’année 2015-2016, 60 % de la production du petit mil a été ravagée par le parasite appelé puceron jaune. Le petit mil est la 3e céréale du pays , après le riz et le maïs. 300 000 planteurs et leurs familles en dépendent. En 2012, Haïti était le 2e importateur de produit en plastique de la République Dominicaine après les Etats-Unis, avec 67,3 millions de dollars. Et aujourd’hui en 2017, soit 5 ans plus tard, ces chiffres ont peut-être triplé car les produits dominicains dominent encore le marché haïtien.
L’immigration ne peut pas offrir un passeport à un citoyen haïtien vivant en Haïti? Votre administration devra en offrir 30.000 aux citoyens que la République Dominicaine promet d’expulser sous peu.
Qui se chargera de sauver l’honneur et l’avenir de ces jeunes filles qui subissent des viols collectifs dans les rues d’une ville pourrie jusqu’à la moelle. A croire que la chose la plus urgente à faire c’est de parler Carnaval. Le peuple haïtien, habitué à ce genre de délire, applaudit avec son bandeau sur les yeux.
Combien de promesses avez-vous faites? Combien d’entre elles pourrez-vous tenir?
Mal-Heureusement nous sommes un peuple qui danse. Nous danserons avec la faim au ventre, la violence dans les rues. Nous danserons même quand la jeunesse du pays se rue vers le Brésil, le Chili, les États-Unis. Autrefois, les esclaves dansaient dans les champs pour leurs incantations et oublier les fouets des commandeurs. Lourd héritage, aujourd’hui nous dansons pour voiler notre faillite.
M. le Président, à côté du tapis rouge, du cortège, des gros baraqués armés jusqu’aux dents. Il y a aussi les responsabilités. Mais je vous accorde encore le bénéfice du doute. Je vous accorde les 100 jours à venir.
Soucaneau Gabriel
Images: Richardson Dorvil & FotoKanaval
Comments