La PNH ne semble pas faire de la santé des policiers une priorité
Se blesser ou tomber malade constitue un cauchemar sans fenêtre pour le policier haïtien, qui déjà ne bénéficie aucunement du soutien psychologique d’une structure régulièrement constituée, alors même qu’il effectue un travail violent et stressant.
Les 17,000 agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) sont couverts par le programme d’autoassurance des agents de la fonction publique, géré depuis 2014, par l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA).
Cependant, le fonctionnement inadapté de l’institution, les dettes énormes envers les hôpitaux, les longs retards et le paiement aléatoire des factures conduisent certains établissements hospitaliers à ne pas admettre ou à offrir des soins aux policiers sous certaines conditions, notamment en exigeant le dépôt préalable d’une somme d’argent comme « garantie ».
La lenteur du système oblige certains policiers à contacter leurs proches ou à puiser dans leur maigre salaire pour gérer les urgences de santé.
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Le policier Jude Pierre, parle d’une assurance « tèt bòchèt » sur laquelle, aucun agent ne peut compter réellement. Pierre dit avoir assisté à l’agonie d’un camarade policier du commissariat de Port-au-Prince, mortellement blessé après avoir été la cible d’un groupe de bandits qui opéraient à la rue Capois.
« Nous l’avons transporté à un hôpital privé de la capitale. Là-bas, on nous a exigé un ‘dépôt’ de 50 000 gourdes, bien avant de prendre soin du policier. Comme nous n’avions pas l’argent, nous avons dû partir à la recherche d’un autre centre hospitalier. Le policier a rendu l’âme sans recevoir les soins nécessaires ».
L’agent deux, Obenson Semé, corrobore cette histoire de dépôt, exigé aux policiers, dans la plupart des hôpitaux du pays.
Revenant du travail à la fin de l’année 2016, Semé, alors affecté au commissariat de Carrefour, a eu un accident de moto, au Boulevard Harry Truman, non loin du Théâtre National. D’urgence, il s’est fait transporter à l’hôpital Médecins sans Frontière de Martissant pour recevoir des soins nécessaires.
Pourtant, Semé bénéficie du programme d’autoassurance des agents de la fonction publique. Malgré les avantages de son statut d’assuré, il explique avoir choisi de se faire soigner à l’hôpital Médecins sans Frontières pour échapper au principe de dépôt, exigé par les hôpitaux qui acceptent la carte d’assurance de l’OFATMA, puisqu’il n’avait « pas assez d’argent en poche au moment de l’accident ».
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Un haut cadre de l’OFATMA, requérant l’anonymat, explique que le programme d’autoassurance des employés de la fonction publique dont bénéficient les policiers est beaucoup plus généreux que les deux régimes fondamentaux de l’institution, à savoir « l’accident de travail » et la « maternité et maladie ».
« Pour un employé bénéficiant du régime accident du travail de l’OFATMA, élabore le cadre, l’assurance concerne ses accidents sur son lieu de travail ou sur la route de son travail, alors que pour le programme d’autoassurance des agents de la fonction publique, comme les policiers, tout accident même loin du lieu de travail est couvert. »
Des disparités non justifiées
Les témoignages de plusieurs policiers ayant été victime d’un accident de travail réfutent la thèse d’une assurance bien coordonnée. Ils dénoncent plutôt un micmac où les mêmes assurés reçoivent souvent des traitements différents.
Boaz Hismevil est l’un des sapeurs-pompiers, brûlé lors de l’explosion d’un camion-citerne le 30 avril dernier. Travaillant pour le compte du service des incendies de Port-au-Prince qui est placé sous la tutelle de la PNH, ce sapeur-pompier, bénéficie du statut de policier. Il est donc couvert par le programme d’autoassurance des agents de la fonction publique.
Même s’il dit n’avoir signé aucun document au moment de sa sortie de l’hôpital, il confirme que les frais de son hospitalisation ont été payés. Cependant, il a dû lui-même, avec l’aide de la famille, débourser pour les frais paramédicaux, comme les médicaments et les analyses de laboratoire.
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L’expérience de l’agent de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO), Patrice Mervil, est bien différente.
Impliqué dans un accident de circulation à Grand-Goâve lors d’une patrouille policière en 2016, Mervil confie avoir été totalement pris en charge. « Mêmes, les dépenses paramédicales ont été couvertes », clame Mervil qui dit n’avoir signé aucun document émanant de l’OFATMA après son hospitalisation.
Selon le haut cadre de l’OFATMA, la structure offre normalement une couverture complète aux accidentés du travail. Selon ses dires, l’assuré ne devrait dépenser que pour les exigences paramédicales que l’institution couvre à 80%. Il n’a pas pu expliquer pourquoi les deux accidents susmentionnés ont reçu deux traitements différents.
Compter sur la solidarité familiale
Parce qu’ils ne sont pas remboursés à temps, ou à la hauteur des montants demandés à l’OFATMA, certains hôpitaux négligent le cas des policiers, témoignent des agents qui disent compter sur leurs familles pour se tirer d’affaire en cas de maladie, malgré le prélèvement de 170 gourdes effectué sur leurs chèques chaque mois pour les besoins d’une assurance santé. Ogé Paul, un agent 2 de la Brigade d’Intervention motorisée (BIM), confie que le prélèvement sur son salaire est de 167 gourdes.
La procédure pour obtenir un remboursement après dépenses est « longue et humiliante », dévoile l’agent 3 Jean Dubois.
Ce policier, issu de la 17e promotion de la PNH, travaille dans un commissariat de la région métropolitaine. Se battant contre une hyperglycémie, Jean Dubois a eu une sueur froide à la fin du mois de mars, lorsque son pied gauche a grossi de façon disproportionnée.
Dubois qui reçoit comme salaire 29,000 gourdes chaque mois a pris contact avec sa famille pour éviter de se faire « humilier dans des hôpitaux qui négligent les policiers parce qu’ils n’ont pas reçu à temps leur dû de l’OFATMA. »
La source proche de l’OFATMA reconnaît cette réalité et confie que l’entité travaille pour éviter les retards de paiement des prestataires.
À la fin de ce mois de juin, Dubois se dit prêt à reprendre service, mais n’entend entreprendre aucune démarche pour récupérer de l’assurance l’argent dépensé pendant sa convalescence.
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Comme Dubois, l’agent 2, Obenson Semé, n’avait bénéficié que de la solidarité de sa famille pour effectuer des suivis médicaux à Cuba après son accident de travail. Il n’a entrepris aucune démarche auprès de l’OFATMA, ni avant ni après.
Sur ce point, une autre source proche de l’OFATMA dévoile que l’office généralement rembourse les assurés qui partent se faire soigner à l’étranger, moyennant des documents prouvant que cette évacuation a été justifiée par un déficit du plateau technique local.
« L’OFATMA n’est pas une compagnie d’assurance dans la définition de l’ONU, dit la source. [L’OFATMA] n’est pas une assurance privée. C’est un organisme de sécurité sociale qui, dans sa branche maladie, a pour objectif primordial, le financement du système de santé local. De ce fait, le fond mobilisé doit jouer un rôle d’intermédiation entre l’assuré et le prestataire de services de soins. Donc, l’OFATMA n’a pas pour mission d’envoyer les gens se faire soigner à l’étranger et financer du coup, le système de santé d’un pays étranger. »
Se faire humilier à l’hôpital
Selon un haut cadre de la PNH, requérant l’anonymat, c’est en 2014 que l’OFATMA s’est impliqué dans la gestion du programme d’autoassurance des agents de la fonction publique dont font partie les policiers. Il confie que, normalement, dans le cadre de ce programme, « tous les agents ont le même traitement ». La seule différence devrait être la compétence du prestataire choisi par l’assuré.
Pourtant, le policier Jean Dubois mentionne que les rares hôpitaux qui acceptent la carte d’assurance refusent de vendre aux policiers certains médicaments jugés trop cher.
Aux dires de Obenson Semé, « ce refus est le résultat d’une décision de l’OFATMA qui, ne voulant pas trop dépenser, enjoint les hôpitaux à ne vendre à ses assurés que des médicaments à bas coût pour que l’institution puisse accepter de les rembourser ».
Sur ce point, la source anonyme à l’OFATMA dément que l’institution a recours à de tels procédés. Cependant, elle confie que cette pratique existe réellement chez certains prestataires de services qui, « contrairement à l’éthique professionnelle », offrent des services au rabais à des assurés afin d’éviter le problème de retard des paiements de l’office.
Un projet d’hôpital à l’arrêt
Les difficultés des policiers malades ou blessés viennent de loin. En 2004, il a été décidé de construire un hôpital à Martissant, dénommé « Hôpital Simbi continental », du nom d’un ancien hôtel éponyme. Les travaux pour ériger la structure traînent depuis.
En mars 2017, lors d’une visite des lieux, le président de la République, Jovenel Moïse avait dévoilé son intention de dédier cet hôpital aux agents de la PNH.
6,4 millions de dollars américains puisés dans les Fonds Petrocaribe devaient permettre la matérialisation en août 2015 de ce centre hospitalier de 5 000 m2 selon ce qu’avait déclaré l’ancienne ministre de la Santé publique, Florence Duperval Guillaume, lors d’une visite des chantiers le 27 mars 2015.
Un soutien psychologique inexistant
Sans hôpital et sans une couverture d’assurance effective, les officiers de la PNH ne sont pas non plus accompagnés psychologiquement.
Le dimanche 7 juin 2020, l’Inspecteur principal Merandieu Jean Baptiste s’est suicidé d’une balle à la tête, au sein même du commissariat des Gonaïves où il a été fraîchement transféré.
Le 25 novembre 2019, le policier Gama Jameson s’est lui aussi, donné la mort à Péguy-Ville, quartier de la commune de Pétion-Ville.
Le 17 avril 2019, l’agent de police, Loyer Lorenso, a mis fin à ses jours, en se tirant une balle dans la tête à la prison civile de la Croix-des-Bouquets, où il était affecté.
Le jeudi 20 octobre 2016, l’agent 3, Luckner Saint-Louis, n’a trouvé d’autres alternatives que de se tirer une balle dans la tête, après avoir répondu à une convocation de l’Inspection générale de la PNH, à propos d’une affaire de contravention.
Le 3 juillet 2014, l’agent de l’Unité départementale de Maintien d’Ordre (UDMO) Welington Jean-Baptiste s’est donné la mort à Jacmel en utilisant son arme de service.
Pour être constamment sur des scènes de crimes et participant à des opérations, parfois sanglantes, les policiers ont besoin de cures psychologiques pour gérer le stress généré et éviter d’être des victimes de leur travail. Le psychologue Ronald Jean-Jacques parle d’une « situation mettant et le physique et le mental de l’homme à rudes épreuves ».
Selon le spécialiste, la situation est beaucoup plus traumatisante pour les policiers haïtiens qui évoluent dans une société marquée par la drogue, la délinquance et la violence politique. Tout comme les militaires, les policiers sont aux prises avec des « chocs traumatiques » dus au fait qu’ils sont constamment en danger, selon Ronald Jean-Jacques.
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Ainsi, sans un appui psychologique solide, garantit le psychologue, ces professionnels risquent de perdre leur équilibre psychologique et recourir au suicide aux « moindres éléments déclencheurs ».
Au sein de la direction médico-sociale de la PNH, il existe bien un bureau de psychologie. Cependant, selon le responsable de ce bureau, Fritzbert Jacksy, la structure ne se charge que des « policiers en état de démence ». D’après Jacksy, « les policiers malades mentaux » sont pris en charge et confiés à des psychiatres selon leur cas.
Cependant, le bureau de psychologie ne se déplace pas pour rencontrer les policiers au sein des commissariats, confie le spécialiste. D’ailleurs, Fritzbert Jacksy est le seul psychologue travaillant dans ce bureau pour garantir la santé mentale de près de 16 000 policiers.
Le psychologue confie avoir, sans cesse, multiplié les démarches pour recruter dix autres professionnels. Ses tentatives se sont jusqu’à présent soldées par des échecs.
La responsable de la « Fondation Je Klere », Marie Yolène Gilles est convaincue que le manque d’accompagnement psychologique explique le comportement irrégulier de certains policiers qui usent trop souvent de la violence, « parce qu’ils se sentent toujours en danger ». C’est ce qui explique aussi, le phénomène de suicide des policiers, selon elle.
Pour pallier la nonchalance des autorités sur la question, plusieurs organisations de la société civile s’étaient chargées d’appuyer psychologiquement les policiers après le séisme de 2010, révèle Marie Yolène Gilles. Parmi ces instances, l’on trouve l’unité de Recherche et d’Action médico-légales (URAMEL).
Selon l’administrateur de l’URAMEL, Joseph Baston, après des années passées à assister les policiers qui ont besoin d’appui psychologique, l’institution a entrepris des démarches visant à « formaliser un tel partenariat avec les autorités de la PNH ». Jusqu’à date, aucun suivi n’est fait du côté de la police pour donner suite à cette requête.
Samuel Celiné
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