MigrationSOCIÉTÉ

Le calvaire des étudiants haïtiens en RD et les fausses promesses de Claude Joseph

0

L’État haïtien n’arrive toujours pas à faire bouger les lignes en faveur des étudiants du pays en situation irrégulière en RD

Lea este artículo en español

Les Haïtiens composent la grande majorité de la population estudiantine étrangère en République dominicaine. Ils sont aussi ceux qui reçoivent le moins de visas étudiants, selon les chiffres officiels.

En 2019, il n’y avait qu’un seul « visa étudiant » délivré pour les étudiants haïtiens. Sur l’ensemble des visas de ce type émis en 2018, les étudiants haïtiens n’ont reçu que 31, selon les données fournies par le site du ministère des affaires étrangères dominicain.

De plus, les étudiants haïtiens sont les seuls, parmi les étudiants étrangers en RD, à devoir formuler leur demande de visa étudiant à l’ambassade dominicaine de leur pays d’origine.

Le chancelier Claude Joseph, actuel premier ministre ad intérim d’Haïti, a eu une rencontre avec la communauté estudiantine haïtienne en République Dominicaine en décembre dernier. Durant cette rencontre, Claude Joseph a fait des heureux en annonçant que les autorités dominicaines allaient délivrer des visas spéciaux aux étudiants haïtiens à partir du premier trimestre de l’année 2021.

Cinq mois plus tard, rien n’est encore entrepris par le gouvernement pour rendre effective cette promesse alors que la quasi-totalité des étudiants haïtiens en terre voisine se trouve en situation irrégulière. La grande majorité ne détient qu’un visa de visiteur. La plupart d’entre eux n’ont même pas de visa.

Badge insuffisant

« En vrai, il est difficile d’abandonner une session en cours pour rentrer en Haïti et mettre le visa [de touriste], raconte Jordan Joseph qui étudie l’administration à l’Universidad Dominicana OyM. Lorsque le visa touristique arrive à échéance, on circule avec le badge que l’institution universitaire nous a fourni. »

Fort souvent, l’usage du badge universitaire comme document d’immigration soulève la grogne des agents de l’immigration dominicaine.

« Ce document ne nous offre pas une couverture légale. Rares sont les agents de l’immigration qui les acceptent », rajoute Jordan Joseph. L’étudiant a été appréhendé à plusieurs reprises, mais s’en est sorti généralement après avoir échangé un pot-de-vin de 1000 ou 2000 mille pesos pour ne pas être transféré en Haïti.

Lire aussi: Les étudiants haïtiens enrichissent les universités dominicaines

Le cas de Richardson Durosier, étudiant en électronique à l’Universidad Technologica de Santiago (UTESA), illustre parfaitement cette situation. Appréhendé avec son badge le vendredi 30 avril, Durosier rend publique son arrestation dans une courte vidéo circulant en boucle sur les réseaux sociaux. Il a été relâché grâce à l’intervention de l’ambassade haïtienne en République dominicaine, après les complaintes des étudiants.

Cette arrestation s’est réalisée pendant que des centaines d’étudiants étaient rassemblés devant les locaux du consulat haïtien en République dominicaine pour protester contre les arrestations arbitraires, réclamer le visa d’étudiant afin d’avoir droit au permis d’étude, forcer l’État à prendre des responsabilités et respecter ses engagements.

Etudier sans visa

Pour le moment, la procédure administrative permet à un étudiant [haïtien] de s’inscrire librement et de suivre ses cours avec un visa de touriste. L’offre d’éducation supérieure en République dominicaine attire annuellement des milliers d’Haïtiens.

En moyenne, les études universitaires durent quatre années. Le visa de touriste est d’une durée d’un an. Les visiteurs qui le détiennent ont droit à un séjour d’une durée inférieure ou égale à trois mois dans le pays. Passé ce délai, le ressortissant étranger est en situation irrégulière. Il peut être renvoyé dans son pays d’origine s’il rencontre des agents de l’immigration dominicaine.

La majorité des Haïtiens se trouvant de l’autre côté de la frontière pour des raisons d’études sont dans cette situation irrégulière. Smith Augustin, actuel ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine estime à près de 80 % les Haïtiens qui étudient avec un visa de touriste.

Lire également: Les étudiants Haïtiens en RD, victimes insoupçonnées de la rareté du dollar

« L’État dominicain ne décerne presque pas de visas étudiants aux Haïtiens », regrette Mike Carly Charlotin, étudiant en troisième année de médecine à l’UTESA et initiateur du mouvement de protestations devant les locaux du consulat haïtien.

Le processus pour l’obtention du visa étudiant reste un casse-tête pour les étudiants haïtiens.

« En 2020, j’ai passé dix mois en République Dominicaine sans mon passeport. Je l’avais envoyé à ma famille en Haïti pour pouvoir appliquer pour mon visa d’étudiant », dit Loudenèse Thélusma, une étudiante en médecine à l’UTESA.

« Durant cette période, j’avais eu toutes les peines pour recevoir les transferts d’argent de mes parents. J’étais obligé de recevoir les transferts par le biais de mes amis parce que je n’avais pas de passeport. Après plusieurs controverses, mes parents ont eu le passeport avec un visa d’étudiant qui expirait dans quatre mois», raconte Thélusma dont la demande de permis d’étude a été rejetée par les autorités dominicaines. Selon ces dernières, certaines des pièces de l’étudiante, comme son certificat de bonne vie et mœurs, étaient déjà expirées.

Promesses vides

L’État haïtien enregistre peu de progrès dans le combat pour la régularisation des étudiants haïtiens en situation irrégulière en République dominicaine.

En juin 2020, les autorités haïtiennes avaient demandé aux étudiants haïtiens en situation irrégulière d’apporter leurs documents au local de l’ambassade d’Haïti en République voisine. Plusieurs milliers d’étudiants ont répondu à l’appel.

« Depuis, on ne nous a rien dit jusqu’à ce que l’administration de Luis Abinader remplace celle du président Danilo Medina. Dès lors, l’ambassade haïtienne raconte que ce sont les différents changements opérés dans l’administration publique dominicaine qui ralentissent le dossier », raconte Mike Carly Charlotin.

« Pour calmer la fureur des étudiants, l’ambassade d’Haïti leur avait promis que l’année 2020 ne se terminerait pas sans que leur dossier soit régularisé », fait savoir John Wesly Chérilus, président de l’association des étudiants haïtiens en RD (AEH). À la fin de l’année, les étudiants n’ont eu que les promesses du Premier ministre a. i Claude Joseph qui, jusqu’à date, peinent à se réaliser.

Lire enfin: Ces parents haïtiens envoient leurs enfants à l’école en République Dominicaine

Pourtant, l’actuel ambassadeur d’Haïti en République Dominicaine, Smith Augustin, avait déclaré à AyiboPost en mars dernier qu’il travaille d’arrache-pied sur le statut des étudiants haïtiens en République dominicaine. Contacté sur le sujet, l’ambassadeur n’a pas répondu aux demandes d’interviews.

Entre-temps, les étudiants haïtiens souffrent. « On est victimes de préjugés, de ségrégation raciale et du non-respect de nos droits, déclare Wesly Chérilus. Parmi les ressortissants étrangers qui étudient en terre voisine, les Haïtiens sont les seuls à recevoir des traitements inappropriés de l’immigration dominicaine », dit-il.

Les étudiants vénézuéliens sont en cours de régularisation, poursuit Chérilus. « Ils gèrent tout sur place sans avoir l’obligation de retourner dans leur pays natal pour avancer dans le processus ».

Les discriminations s’enregistrent aussi au sein des structures universitaires. Selon Chérilus, les étudiants haïtiens à l’UTESA sont les seuls étrangers sur le sol dominicain à verser deux cents dollars américains comme frais d’entrée à la faculté.

Photo de couverture: Manifestation d’étudiants haïtiens en RD. Pacha Produccion

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

Comments