Si rien n’est fait, le café de Beaumont risque de disparaître. C’est l’avis de David Nazaire, maire de la commune et président de l’Union des Coopératives Agricoles de la région de Beaumont. Une perte considérable pour cette région qui produit l’un des meilleurs cafés du pays, duquel dépend l’activité économique de milliers de producteurs.
Avant, il y avait la rouille, le scolyte et le vieillissement des plantations qui paralysaient la production du café partout à travers le pays. Face à la baisse significative de production, les torréfacteurs industriels envisageaient d’importer du café de l’étranger pour répondre aux besoins du marché. Depuis plusieurs années, la production caféière en Haïti fait face à de nombreuses difficultés, notamment le manque d’encadrement des producteurs.
Avec le cyclone Matthew, la situation s’est davantage aggravée dans les régions touchées par les vents. C’est le cas de la commune de Beaumont, où pratiquement tous les jardins de café ont été balayés. « Après l’ouragan, tous nos caféiers sont perdus. Il ne reste debout que les troncs dépourvus de feuilles et de cerises », se plaint David Nazaire, maire de la commune de Beaumont et président de l’Union des Coopératives Agricoles de la région de Beaumont (UCAB). « Si rien n’est fait, le café de Beaumont risque de disparaitre à jamais », insiste t-il.
Un café de qualité à préserver
Beaumont produit l’une des meilleures variétés de café du pays, le café Typica. D’après une évaluation des dégats dans le Grand Sud par l’Institut National du Café d’Haïti (INCAH), plus de 20,000 hectares de café sont détruits entre Beaumont et le département du sud. C’est un coup dur pour les coopératives caféières et les producteurs qui ont perdu la ressource principale de la région. C’est grâce au café principalement, des milliers de familles peuvent répondre à leurs besoins économiques fondamentaux. L’ouragan Matthew a frappé la région en pleine saison de cueillette et de vente des cerises de café. Il s’agit d’un manque à gagner considérable pour des milliers de familles dont le budget annuel dépend des revenus générés par le commerce de café.
Selon David Nazaire, la solution pour l’instant est de procéder au déblaiement des jardins et d’appliquer la régénération sévère des caféiers. Il s’agit d’une technique qui consiste à les tailler jusqu’à une hauteur trente centimètre du sol, afin que de nouvelles tiges émergent. Les caféiers mettraient ainsi un peu plus d’un an avant de recommencer à produire de nouvelles cerises. Pour le maire de Beaumont, c’est la seule façon de ne pas perdre la variété Typica qui est très chère à la région. Il dit craindre que de potentiels partenaires, dans le souci de vouloir apporter leur contribution à la solution du problème, introduisent de nouvelles variétés de moins bonne qualité.
Les coopératives caféières de Beaumont exportaient plusieurs containers de café dans le temps. A partir de 2005, le scolyte a été introduit dans la région et la production a commencé par baisser considérablement. Avec la chute du prix du café sur le marché international, des milliers de producteurs découragés, ont automatiquement remplacé le café par d’autres cultures beaucoup plus rentables. Livrés à eux-mêmes dans la bataille contre la rouille et le scolyte, ils n’ont pas pu relancer la production comme auparavant.
D’habitude, l’UCAB exporte entre 10 000 et 15 000 livres de café par an sur le marché équitable. Cette année, il espérait porter ses exportations autour de 30 000 livres. Malheureusement avec l’ouragan Mathhew, ces prévisions ne tiennent pratiquement plus. L’UCAB n’a actuellement que 400 livres de café dans ses entrepôts dont la qualité reste à désirer, car, après l’ouragan, les producteurs ont ramassé les cerises tombées au sol.
Accompagner les producteurs
Même si les techniques de régénération sont connues par quelques producteurs, il leur manque cependant les outils pour procéder aux travaux. Par conséquent, il leur faut un appui technique de la part de l’Etat et/ou des organisations qui s’intéressent à la filière. « Les producteurs ont besoin de semences, d’outils agricoles et d’un appui financier pour redynamiser leurs activités », soutient David Nazaire. Il pense par ailleurs que des programmes Cash for Work aideraient beaucoup les paysans à générer de l’argent pour réparer leurs maisons détruites. De plus, il croit qu’il faut rapidement relancer la production de pépinières pour pouvoir créer de nouvelles plantations.
Jusqu’à présent, l’Etat haïtien n’a encore manifesté aucun intérêt pour relancer la production du café dans la région de Beaumont. Le maire de la commune déplore l’absence du Ministère de l’Agriculture qui n’a procédé à aucune évaluation des pertes enregistrées dans la région. Comme un peu partout à travers le département, les paysans de Beaumont ont perdu leur bétail, leurs maisons et leurs jardins. « Ils sont nombreux à quitter massivement la commune pour aller dans les villes parce qu’ils sont subitement appauvris », fait remarquer David Nazaire.
L’INCAH sans ressources
L’Institut National du Café d’Haïti (INCAH), se voit impuissant face aux dégâts causés dans la filière. « Nous avions fait le bilan des dégâts et présenté un dossier de demande de financement au Ministère de l’Agriculture, nous apprend Jobert Angrand, directeur de l’Institut. L’administration nous avait demandé quelque chose de moins couteux. » Le projet de réhabilitation de la filière café dans les zones touchées par l’ouragan de l’INCAH, prévoit 5 000 hectares de nouvelles plantations dans le grand Sud dont 1 500 hectares à Beaumont. Ce projet permettrait de mettre en terre 15 millions de caféiers et 1 million d’arbres de couverture et d’encadrer 8 300 producteurs pour un coût de plus de 2 millions de dollars.
Après l’ouragan, le gouvernement a octroyé 150 millions de gourdes en appui au secteur agricole selon le directeur de l’INCAH. Pas une gourde n’est dépensée jusqu’ici dans la filière café. « L’INCAH est impuissant, parce que l’Etat haïtien ne croit plus au café. Ils disent que nous demandons beaucoup trop d’argent, mais ils ne pensent pas aux retombées de la filière sur toute l’économie », se plaint Jobert Angrand. Parmi ces retombées, il y a l’avantage environnemental qui vient automatiquement avec la production du café. Les régions caféières sont actuellement celles les plus boisées du pays parce que les caféiers poussent à l’ombre des grands arbres.
Certaines institutions internationales souhaitent bien accompagner les producteurs après l’ouragan. Le directeur de l’INCAH croit que leurs actions n’auront pas d’impacts durables, puisqu’elles insistent sur la régénération des anciennes plantations qui sont très vieux, au lieu de pencher sur le développement de nouvelles plantations.
Ralph Thomassaint Joseph
Avec la collaboration de INTERNEWS
Images: Ralph Thomassant Joseph/Archives
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