CULTURESOCIÉTÉ

Le beatmaker Haïtien qui veut conquérir le monde en toute discrétion

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Le jeune artiste ne se montre pas sur les réseaux sociaux si ce n’est pas nécessaire

Samuel Sanon est très occupé, mais il a quand même trouvé un créneau pour nous accorder un entretien chez lui.

Le beatmaker habite un appartement spacieux dans un quartier huppé de Pétion-Ville et il est fier de pouvoir gagner sa vie grâce à son travail. Il branche son téléphone et s’installe sur son canapé pour nous dresser le récit de sa vie.

L’homme de 30 ans est né et a grandi à Plaisance dans le département du Nord. Dès son enfance, Sanon avait une connexion avec la musique. Son père, grand fan de Septentrional, ne se lassait pas de jouer les chansons du groupe à la maison. Il passait aussi les cassettes des meringues carnavalesques. Mais c’est la mère du jeune homme qui pratiquait la musique professionnellement ; elle chantait dans la chorale de son église.

Pourtant, quand il devait rentrer à l’Université, Samuel Sanon n’est pas tout de suite allé étudier la musique. Il s’est plutôt orienté vers la Faculté d’ethnologie (FE) pour une formation en anthroposociologie.

« Je voulais aider à résoudre certains problèmes dans ma communauté, dit-il. Quand j’ai grandi, beaucoup d’enfants allaient à l’école, après un certain temps, certains ont abandonné pour aller faire des petits commerces. Pour ceux qui avaient la chance de boucler leurs études, ils rentraient à Port-au-Prince pour se rendre à l’université; la majorité de ce groupe ne revenait plus. »

Ce constat a amené le placentin à se questionner sur une éventuelle réintégration de ses voisins. Il voulait mener une étude scientifique sur la structure sociale des communautés évoluant dans sa ville natale.

Pendant son passage à la FE, Sanon s’est rendu en vacances aux Gonaïves. C’est là qu’un cousin lui a montré les principes élémentaires du beatmaking. Il en est devenu accro. Il garde dans son cœur le rêve de mener une étude sur la réintégration des jeunes universitaires dans sa communauté. Mais il fermera son dossier après la fin de son cursus à la Faculté d’ethnologie pour intégrer le département de l’audio de l’établissement Artiste Institute à Jacmel. Depuis trois ans, Samuel Sanon se fait appeler Samy Beatz et il travaille dans le domaine du beatmaking.

Choix de la discrétion

Le nom de Samy Beatz ne résonne pas dans le paysage musical haïtien comme ceux des autres beatmakers qui évoluent dans le milieu. « C’est un choix que j’ai fait », rétorque-t-il. Le jeune artiste ne se montre pas sur les réseaux sociaux si ce n’est pas nécessaire. Mais c’est aussi parce qu’il s’est orienté vers le marché international, un choix qu’il ne regrette pas d’avoir fait.

Samuel Sanon signe des contrats avec des musiciens en Europe, en Afrique, en Amérique du Nord et aussi dans la Caraïbe. En 2019, il a produit le titre Let it breathe avec l’artitste TheRealEz qui évolue sur le marche américain. La même année, Samy Beatz a sorti un son titré « Tommy Egan » avec l’artiste martiniquaise Widya. Ils sont en train de travailler sur une démo qui doit sortir bientôt. Samuel Sanon a aussi travaillé avec Boipris, un artiste nigérian. Ils ont sorti le titre « NaNa. » Samy Beatz travaille avec d’autres artistes dont il préfère ne pas dévoiler les noms pour le moment.

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Avec sa chaîne YouTube d’environ 18 000 abonnés, il dispense des cours à des étudiants un peu partout dans le monde. Il héberge un store sur son site web pour vendre ses productions. « Toutes mes activités se déroulent en ligne. J’enseigne des cours sur le beatmaking. Mais je vends aussi des sons, des mélodies à des artistes et des producteurs étrangers voulant faire de la musique. »

Plusieurs projets prometteurs

Samy Beatz ne dévoile pas ses revenus qui, selon lui, peuvent varier suivant des circonstances ne dépendant pas de lui. Mais il avoue qu’il gagne beaucoup plus que les beatmakers qui travaillent sur le marché haïtien.

Pourtant, Samuel Sanon ne s’est pas toujours versé sur le marché international. Il a son empreinte sur plusieurs projets d’artistes haïtiens. Il n’était pas encore diplômé à Audio Institute quand il a commencé à signer des contrats avec des artistes haïtiens qui se passent de présentation.

Après sa formation en 2018, Sanon a été le directeur exécutif de l’album Pral nan peyi m pou yo (PNPPY) de l’artiste Trouble Boy. « Avec cet album, j’ai produit l’un des plus gros hits de l’année 2018, Nou pa ka ansanm, une collaboration de Trouble Boy avec Fatima Altieri. J’ai aussi travaillé sur l’album de Fatima qui avait lui aussi, une autre chanson qui cartonnait à une époque, c’est le titre “Padon “. » En collaboration avec Fred Hype, Samy Beatz a aussi travaillé sur l’album « Enèji » de l’artiste Kanis. Il a aussi sa touche dans la collaboration de Vanessa Desire avec Steeve J. Bryan.

Sanon pense qu’il ne peut évoluer dans le milieu musical haïtien. Selon lui, les artistes haïtiens ne font pas assez la promotion de la musique haïtienne à l’extérieur. En plus, Samy Beatz pense que beaucoup de ces artistes ne sont pas professionnels. « Un artiste a enlevé mon identifiant sur une chanson. Quand je travaille avec des artistes étrangers, ils me donnent automatiquement les royalties alors qu’ici, on doit quémander pour les royalties. J’arrive à un point où je ne peux pas accepter n’importe quoi. C’est vrai que j’aime la musique, mais je dois aussi gagner de l’argent, c’est mon métier. »

Samy Beatz s’est dirigé vers un marché plus exigeant qui peut changer d’un moment à l’autre. Mais il travaille pour s’y adapter. « Je suis curieux, je peux apprendre de n’importe qui. Je m’abonne aux pages qui publient les nouvelles technologies pour me mettre à jour.»

Parallèlement, Samuel Sanon commence à travailler sur son mémoire pour obtenir le grade de licencié en anthroposociologie. Son projet d’étude n’a pas changé: il compte travailler sur la problématique de la réintégration des habitants de Plaisance au sein de leur ville natale. Au terme de ce projet, Samuel Sanon envisage de poursuivre ses études dans le domaine de la musique d’affaires.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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