À Hinche dans le Plateau Central, le bain de vapeur vaginal se perpétue de mère en fille. Exercée à grand renfort d’infusions après l’accouchement, cette pratique veut « régénérer » le vagin de la nourrice pour le protéger ou lui « rendre sa fraîcheur d’avant ». Cette tradition n’est cependant pas sans risques.
Il est 5 h 21 à Salmory, au cœur de la ville de Hinche, dans le département du Centre. Tififi, 23 ans et déjà mère de 4 enfants, s’assoit sur un récipient contenant de l’eau chaude aromatisée d’herbes. À côté d’elle, sa mère tient son bébé vieux d’à peine une semaine.
Vêtue d’une robe rose, Tififi se recouvre totalement le corps avec un drap blanc pour garder le plus de chaleur que possible. Elle transpire à grosses gouttes sous la couverture. Ce faisant, elle espère être purifiée par la vapeur qui sort du pot.
Cinq jours après la naissance de son enfant, Tififi se trouve cloitrée dans sa maison couverte de feuilles de lataniers. La pratique requiert que les femmes restent entre les quatre murs de leur maison pour une période de 8 à 22 jours, après l’accouchement. Pas de télévision ni d’occupation pour la jeune dame : sa seule distraction consiste à regarder les murs de pierre qui lui servent d’abri et contempler la lumière du jour qui rentre par la fenêtre de sa chambre.
Un bain risqué
À la tombée de la nuit, à 6 h 22, Dana, 22 ans, se prépare à prendre un bain de vapeur, seulement deux jours après la naissance de son petit garçon. « Il faut ouvrir les jambes pour que la vapeur pénètre en toi », lui a expliqué Rodana, une matrone de 97 ans dans la commune de Hinche.
Ce soir-là, Dana s’est assise au-dessus du bain d’eau bouillante, mais le résultat n’a pas été celui escompté. La dame fut victime d’une grave brulûre au 3e degré aux cuisses et sur les parois du vagin. « Je ne connaissais pas les risques jusqu’au jour où j’ai été gravement brûlée, témoigne-t-elle, l’air triste. Maintenant je ne peux plus porter un maillot de bain pour aller à la plage ».
Un bain aux vertus magiques
Connu en Haïti sous les noms de « Dlo cho », « Beny pòt », « Demi beny », le bain de vapeur ou sauna vaginal est une pratique traditionnelle répandue. Après l’accouchement, elle est recommandée pour nettoyer et rétrécir le sexe des femmes.
Il s’agit d’utiliser de la vapeur provenant d’un pot avec de l’eau chaude bouillante et des herbes aromatiques, telles que la feuille de ricin rouge et la feuille de pois congo. Il faut que la vapeur atteigne les lèvres vaginales pour obtenir le résultat souhaité.
Dès son plus jeune âge, Lèlène 25 ans, voyait sa mère prendre soin des nouvelles mamans, en tant que matrone (accoucheuse traditionnelle) dans un quartier de Hinche. Pour cette jeune mère de deux enfants, le bain de vapeur demeure incontournable. « C’est crucial pour nous les femmes qui enfantons, car après l’accouchement, notre vagin ressemble à celui d’une vache ».
Une pratique déconseillée par les médecins
Des gynécologues interrogés pensent que cette pratique tant répandue est néfaste pour la santé des femmes. « Lors de mes consultations à l’hôpital, je rencontre beaucoup de femmes avec des brûlures extrêmement graves, certaines nécessitent une hospitalisation pour être traitées », révèle le Dr Jean Baptiste, gynécologue obstétricien à l’hôpital Ste Thérèse.
De manière générale, les spécialistes s’inquiètent de l’utilisation de cette pratique qui peut déséquilibrer la flore vaginale et exposer le vagin à des bactéries. « L’un des effets négatifs du sauna vaginal est la dépilation des poils pubiens », affirme Bolo, un agent de santé de Zanmi Lasante.
Une culture bien ancrée
En Haïti, le bain de vapeur reste une affaire de tradition. « Le bain de siège, malgré l’évolution de la médecine moderne ou scientifique, est ce qui raffermit le corps de la femme après la naissance d’un bébé », soutient Erol Josué, prêtre vaudou et directeur du bureau national de l’ethnologie en Haïti. Et d’ajouter : « Le bain de vapeur existe depuis la nuit des temps et est reconnu pour son utilité dans la culture haïtienne ».
Bien enraciné dans les quartiers défavorisés et les zones reculées, le bain de vapeur a également une portée pratique. À défaut des traitements coûteux ou des remèdes pharmaceutiques, ses adeptes s’adonnent à cet exercice simple pour améliorer la santé de leur partie intime et éviter les dépenses excessives des soins sanitaires. « Les femmes qui vivent dans les zones rurales sont plus vulnérables économiquement par rapport aux autres. Elles n’ont pas assez de moyens pour se procurer des médicaments onéreux qui sont sur le marché », dit Jeanlouis, un paysan de Salmory à Hinche.
Qu’en disent les hommes ?
Les femmes ne sont pas les seules à vanter les vertus du bain de vapeur. Plusieurs hommes interrogés à Hinche sont élogieux quant à l’efficacité de cette pratique.
« De par mon expérience, si une femme ne prend pas le bain de vapeur, elle peut se retrouver à marcher dans la rue, et sentir mauvais », affirme Jojo, un père de famille. « Moi je préfère que le vagin soit serré », rajoute François, un chauffeur de taxi à Hinche.
Des noms d’emprunt ont été utilisés pour protéger l’identité des intervenants
Phalonne Pierre Louis
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