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Des policiers haïtiens alertent sur les failles des interventions anti-gangs

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Selon deux agents contactés par AyiboPost, l’absence de matériel adéquat pour lutter efficacement fait que certains policiers « choisissent la survie aux risques »

Des policiers haïtiens déployés sur le terrain pour combattre les gangs expriment à AyiboPost des réserves quant à la stratégie des forces de sécurité – haïtiennes et kényanes – consistant à lutter contre les gangs principalement depuis l’intérieur des véhicules blindés.

Combattre les bandits, selon l’un des agents faisant partie de l’unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO), nécessite de les affronter sur le terrain, dans des quartiers parfois desservis par des allées sinueuses inaccessibles aux véhicules blindés.

Selon l’agent, rester dans les blindés ne garantit pas l’efficacité des opérations policières.

« Avec cette stratégie, on ne fait que repousser les bandits. Mais après, ils reviennent et recommencent leurs attaques », explique l’agent.

Certains policiers font du « pye sòl » – le nom donné par les policiers au fait de sortir du blindé. Cependant, explique-t-il, « ils savent très bien que c’est dangereux lorsqu’ils affrontent des bandits qui se cachent dans des maisons délabrées situées dans des corridors. »

Rester dans les blindés ne garantit pas l’efficacité des opérations policières.

Selon deux agents contactés par AyiboPost, l’absence de matériel adéquat pour lutter efficacement fait que certains policiers « choisissent la survie aux risques ».

En novembre 2024, Mario Jean-Louis, un policier de la 21ᵉ promotion de la PNH, a été assassiné à Nazon.

Un agent de l’UDMO ayant travaillé avec lui dans un véhicule blindé déployé sur l’axe de Nazon explique à AyiboPost que Jean-Louis a été tué alors qu’il tentait d’ouvrir la porte du blindé pour lancer une grenade de gaz lacrymogène en direction d’un bâtiment où, selon des riverains, des bandits se seraient cachés.

Atteint de plusieurs projectiles, Mario Jean-Louis est mort à l’hôpital.

« Si le blindé avait été équipé d’un lanceur, il ne serait pas mort, car il n’aurait pas eu à sortir du véhicule », se plaint le policier à AyiboPost.

Il critique les responsables de la PNH qui, selon lui, ne montrent pas la volonté de donner à la police les moyens adéquats pour effectuer son travail.

« Nous voulons des équipements efficaces et plus de ‘’sérieux’’ dans la planification des interventions », explique l’agent à AyiboPost.

Une enquête publiée par AyiboPost en septembre 2024 fait état de frictions entre des agents de la Police nationale et des agents de la MMAS au sujet de l’adoption de cette même stratégie par les Kényans.

Un haut cadre de la mission contacté par AyiboPost évoque deux raisons qui justifient cette stratégie.

D’abord, des problèmes logistiques qui persistent, selon la source.

« Nous attendons encore certains matériels tactiques qui doivent arriver », explique le haut cadre de la MMAS sous couvert d’anonymat.

Nous voulons des équipements efficaces et plus de ‘’sérieux’’ dans la planification des interventions

Ces matériels, dont des drones, permettront de mieux planifier les interventions et d’avoir un meilleur contrôle sur les zones ciblées, selon la source.

« Parfois, les bandits armés se cachent sur les toits des maisons. Il est donc facile pour un policier qui sort du blindé de se faire tuer dans ce cas de figure », explique-t-elle à AyiboPost.

L’autre aspect, poursuit-elle, « c’est le fait que nous essayons autant que possible d’éviter les victimes innocentes et d’autres cas de violations des droits humains. »

Elle souligne, à cet effet, la présence des membres de brigades de vigilance et d’autres citoyens dans les quartiers contrôlés par les bandits.

D’autres préoccupations existent au sein de la mission, selon la source.

Parfois, les bandits armés se cachent sur les toits des maisons. Il est donc facile pour un policier qui sort du blindé de se faire tuer dans ce cas de figure

« Sur demande de leurs gouvernements respectifs, les autres troupes des autres pays ont décidé de ne pas participer aux interventions sur le terrain, mais plutôt d’assurer la sécurité d’espaces stratégiques », explique-t-elle.

« Nous voulons que ça change. Nous voulons plus de combattants pour affronter les gangs, en plus des matériels. »

Ces préoccupations prennent place dans un contexte où la police nationale fait face à un manque d’effectifs.

Selon le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), en février 2022, la PNH comptait 15 474 policiers, dont 1 712 policières. Selon le PNUD, ce chiffre correspond à un ratio police/population de 1.30 agent pour 1 000 habitants. Un ratio largement inférieur à la norme internationalement reconnue de 2.2.

Dans ce même document, le détachement de policiers avec des officiels est cité parmi les défis auxquels fait face l’institution policière.

Présente dans le pays depuis près de sept mois, la force étrangère, aujourd’hui constituée d’environ 800 agents, peine à contenir la violence des gangs.

Les gangs ont déjà poussé plus d’un million de personnes à fuir leurs maisons à travers le pays, selon les dernières données de l’organisation internationale pour les migrations.

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Tôt le matin du 27 janvier 2025, les gangs ont attaqué plusieurs quartiers de la commune de Kenscoff, poussant des dizaines de familles à fuir leurs maisons.

Depuis ces dernières années, en raison de la présence des gangs sur la route de Martissant, la route de Seguin, passant par Kenscoff, est devenue la principale voie menant de Port-au-Prince vers le Grand Sud.

« Si rien ne change dans la stratégie des forces de sécurité, c’est tout Port-au-Prince qui tombera », renchérit l’agent de l’UDMO contacté par AyiboPost.

Par Wethzer Piercin &  Widlore Mérancourt

Image de couverture : Photo d’un véhicule blindé, de deux agents armés de la PNH et du logo de la Police Nationale. Collage| ©AyiboPost

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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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