Du 2 au 4 octobre dernier, Haïti a été frappée de plein fouet par l’ouragan de catégorie 4 Matthew, le pire de la décennie. Depuis, le gouvernement haïtien et la presse internationale s’écharpent sur le nombre de morts: plus de 1000 morts, selon une compilation établie par l’agence Reuters à partir de données recueillies auprès de responsables locaux, et autour de 400 morts selon le Ministère de la Culture et de la Communication.
La mort d’un homme, c’est la mort de l’humanité. Mais à coté du bilan humain,il y un autre bilan dont on ne parle ne pas.
Ce n’est pas un bilan qui permettra aux ONG internationales et aux autorités nationales de collecter des millions de dollars américains pour « voler au secours des Haïtiens » et de faire rouler le « charity business ». L’humanitaire est un « marché » comme un autre avec ses perspectives de croissance, ses plans de communication, ses stratégies de marketing et une concurrence accrue.
Ce n’est pas, non plus, un bilan à sensation qui ouvre la voie à des reportages misérabilistes, au voyeurisme médiatique et aux papiers empreints de lyrisme.
Ce n’est pas un bilan qui verra fleurir ou qui mettra de l’eau au moulin, sur les réseaux sociaux, à ces « jeunes leaders autoproclamés » devenus « Papa Bon-Coeur », bénéficiant d’une visibilité comme jamais, racontant « leur histoire » à leurs « amis », leurs réseaux « à l’international », publication après publication, message inbox après message inbox…
Ce n’est pas un bilan, enfin, qui permettra à ces candidats à la présidence, faisant feu de tout bois, de redorer leur blason auprès de ces populations meurtries, préfigurant si, par chance ou malchance, ils arrivaient à se faire élire, un pouvoir se complaisant à gérer les urgences plutôt que d’établir et mettre en oeuvre des politiques de développement durable qui allient une dimension environnementale à une stratégie pour l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale.
Honte à vous, pompiers et guédés politiques d’hier, d’aujourd’hui et de demain, n’ayant, comme vista que la conquête du pouvoir et votre reproduction politique !
Se servir au lieu de servir. Et en temps de crise, d’urgence, servir et se servir!
Ce bilan est celui d’une Haïti dévastée, c’est celui d’un désastre écologique. Une tournée effectuée, la semaine dernière dans le Sud, la Grande Anse et le Sud’Est, m’a permis de constater comment Matthew a touché la terre haïtienne dans ses entrailles. La route menant à Jérémie, cité des poètes, offre un spectacle macabre: la côte est enguirlandée de frêles arbres, sans branches et sans feuilles. A Torbeck, près des Cayes, dans le Sud, de nombreux arbres centenaires sont déracinés.
Depuis des siècles, l’arbre a toujours eu une grande place dans l’imaginaire des Haïtiens. Les Taïnos, occupant l’île avant l’arrivée de Christophe Colomb, étaient caractérisés par leur amour pour les arbres et pour la nature. L’arbre de cohoba était utilisé au cours d’une cérémonie religieuse, connue comme « le rituel de la cohoba », où le cacique, le bohique et les nitaìnos entraient en contact avec les esprits supérieurs. Un peu plus tard, les esclaves venus d’Afrique, ont amené sur la Terre d’Haïti, certains de leurs « esprits » comme AVLEKETTE (esprit des forêts) et SAKPATA (esprit de la terre) ou encore XU (esprit de l’océan) et MAMIATA (esprit de la mer), tous ayant, aujourd’hui, leur équivalent dans le vodou…
Dans le Grand Sud, jusqu’à aujourd’hui, les parents mettent en terre un arbre ou une plante, à l’endroit où est enterré le cordon ombilical de chaque nouveau-né. Ainsi, chacun a « son arbre ». Donc l’ouragan Matthew a laissé des dizaines de milliers de personnes orphelines de « leur arbre » !
A cela s’ajoute aussi, les jardins détruits et les paysans qui ont perdu leurs plantations et leurs animaux, emportés par les inondations.
C’est aussi le bilan de ces fonds marins dévastés. L’ouragan Matthew n’a pas seulement touché la terre, il a aussi touché la mer. Une visite sur la Côte des Arcadins, dans le département de l’Ouest, nous a permis de constater comment les fonds marins, ces hauts-lieux de magnificence, ont été affectés. Les moindres glissements de terrain sous-marins et le déferlement de vagues emportent des débris rocheux et coralliens sur la côte. Les récifs coralliens sont « la maison » des poissons juvéniles et sont à la base de la formation d’autres écosystèmes.
Par ailleurs, il faut aussi souligner que de nombreux pêcheurs ont perdu leurs bateaux, c’est-à-dire leur outil de travail, leur gagne-pain, emportés par les eaux…
Le bilan du passage de l’ouragan Matthew en Haïti ne se compte donc pas seulement en perte en vie humaine mais aussi en termes écologique, anthropologique et économique.
Ainsi un plan d’intervention d’urgence, suite au passage de cet ouragan dévastateur ne devrait pas seulement se résumer à des distributions de kits alimentaires, de tôles et de clous…mais devrait inclure un plan de reboisement des département touchés, des actions au niveau de la mer et des zones côtières ainsi que différents plans de relance pour le monde paysan qui a perdu ses plantations et son bétail et sans doute une partie de lui-même.
Max Jean-Louis
Comments