SOCIÉTÉ

L’antihaïtianisme profite à l’extrême droite dans certains territoires français d’outremer

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« Je ne suis pas ton haïtien » revient à dire que quelqu’un n’est pas l’esclave d’un autre, selon Donald Cavalier, un étudiant en droit à l’Université des Antilles

Le vote massif qu’a obtenu Marine le Pen dans certains territoires français d’outremer serait en partie dû à la présence des Haïtiens. La candidate du Rassemblement national, dont le discours est basé sur la restriction de l’immigration, a obtenu un meilleur score qu’Emmanuel Macron en Guyane au deuxième tour des élections présidentielles.

Pour Donald Cavalier, étudiant en droit à l’Université des Antilles, dans cette île française, il y existe une forme de racisme contre ses compatriotes, due notamment à un flux migratoire qui a augmenté durant les dernières années.

« Une grande communauté haïtienne vit en Guyane assure Cavalier. Certains quartiers sont majoritairement habités par des compatriotes. Ils ont fini par imposer la soup joumou, le griot, la banane pesée, et le pikliz ».

Jessica Lubino, blogueuse, originaire de la Guadeloupe, trouve plausible le lien entre le vote Le Pen, et un sentiment anti-haïtien. « Le discours anti-immigration résonne aux Antilles », remarque-t-elle. Il est normal, dans ce contexte, que les migrants soient le bouc émissaire d’une frange de la population de ces îles.

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La migration haïtienne dans les Antilles a commencé vers les années 1970. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane concentrent le plus de migrants haïtiens, et d’après certaines données plus de 40 000 Haïtiens vivent dans cette dernière île.

Une version du concept « grand remplacement », développé par le Français Renaud Camus en 2011, semble être exacerbée à cause de l’importance de cette population de migrants. Cette théorie fait croire à certains natifs de ces îles que la population locale finira par être remplacée par celle des migrants.

La migration haïtienne dans les Antilles a commencé vers les années 1970.

Jean James Junior Jean Rolph, ancien animateur de radio et étudiant de la faculté des sciences humaines, vivant en Guyane confirme l’existence de ce courant de pensée dans ce pays. « Ce sentiment est dicté par la peur de voir la Guyane devenir une autre Haïti. Certains s’imaginent que les Haïtiens sont venus prendre leur place. »

D’ailleurs, des discours anti-haïtiens sont véhiculés par des expressions péjoratives. Ainsi, « je ne suis pas ton haïtien » revient à dire que quelqu’un n’est pas l’esclave d’un autre. Selon Donald Cavalier, tout cela est le fruit d’une xénophobie patente. « Les Guyanais se considèrent plus français, blancs que noirs. Certains ne se présentent jamais comme guyanais. Il y a peut-être d’autres raisons, mais la xénophobie est importante », explique Cavalier.

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La sociologue Juliette Smeralda, qui travaille sur la question de la dépigmentation de la peau dans les Antilles, pense que c’est une politique délibérée de l’État français qui explique l’attitude des natifs des îles à l’égard des Haïtiens. Cette politique consiste depuis plusieurs années à dénigrer Haïti et à instrumentaliser la migration de sa population. Mais d’après elle, cette attitude reste malgré tout, le fait d’une minorité.

« L’État français a fait d’Haïti un exemple à ne pas suivre, car le pays a accédé à sa liberté, analyse l’écrivaine. Mais la grande partie de la population des îles n’est pas contre la migration haïtienne ni contre les Haïtiens, qui font le travail qu’aujourd’hui les natifs des îles boudent ».

« Parce qu’une partie des Haïtiens présents ne sont pas de parfaits francophones, on les prend pour des illettrés », rapporte Charles

Jean Rolph avance aussi une explication pour comprendre cette attitude face aux Haïtiens. « Il y a une grande forme d’ignorance de l’histoire du pays et comment l’Occident lui a fait payer son indépendance, affirme-t-il. Légion sont les Guyanais qui ignorent que le poète Léon Gontran Damas a été fait citoyen d’honneur à Port-au-Prince dans les années 1950, par exemple ». Preuve que même l’histoire commune aux deux peuples est ignorée.

La Guyane n’est pas le seul exemple, quand il s’agit de dénigrer les Haïtiens. En couple avec un Martiniquais, Vanessa Charles vit en Martinique depuis 2019. Elle doit sans cesse rappeler qu’elle est haïtienne, à cause de la couleur de sa peau, et de son éducation. Charles se rappelle avoir été témoin d’actes racistes envers un Haïtien.

« Un soir, des gens ont saccagé la maison d’un Haïtien, parce qu’il était vodouisant. Ils ont détruit son autel, et écrit ‘démon, sorcier’ sur ses murs », se souvient-elle.

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D’après Charles, ce sont des faits récurrents. « Parfois là où je travaille, on dit du mal des Haïtiens, surtout lors des fêtes vodou. Les Haïtiens ici célèbrent des fêtes vodou comme les premiers et deux novembre. Ils vont parfois faire quelques rituels dans les cimetières. Du coup, on nous qualifie de sorciers, et parce qu’une partie des Haïtiens présents ne sont pas de parfaits francophones, on les prend pour des illettrés. »

Juliette Smeralda croit que ces discours doivent changer. « Je dis aux Martiniquais que c’est grâce aux Haïtiens qu’aujourd’hui nous pouvons manger. Les Haïtiens viennent en frère et c’est bien qu’ils puissent trouver dans nos îles un endroit où vivre et avoir une vie meilleure. »

La sociologue précise qu’à plusieurs reprises, des Martiniquais se sont opposés à des déportations massives d’Haïtiens en situation irrégulière sur l’île. C’est, selon elle, un exemple de la proximité entre ces deux peuples.

« De concert avec des Haïtiens, nous avons formé des collectifs qui exigent réparation auprès du gouvernement français qui a délibérément, avec d’autres puissances occidentales, appauvri le pays, continue Smeralda. Ils en ont fait un avertissement pour contrer les velléités indépendantistes des autres colonies ».

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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