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L’accord complet signé avec le Kenya pour la force multinationale

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Un accord relatif aux protections de statut de la MMAS signé entre le Kenya et Haïti, obtenu par AyiboPost, établit le rapport de la force aux autorités haïtiennes, ainsi que les immunités et privilèges de ses membres

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Le premier contingent d’officiers kényans de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Haïti a atterri sur le tarmac de l’Aéroport international Toussaint Louverture, à Port-au-Prince, le mardi 25 juin 2024.

L’atterissage de Kenya Airways à l’Aéroport international Toussaint Louverture, le 25 juin 2024. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

Ces agents doivent accompagner les forces haïtiennes dans leur lutte contre les gangs et aider à la stabilisation du pays, avant la tenue des élections.

Un Accord relatif aux protections de statut de la MMAS signé entre le Kenya et Haïti, obtenu par AyiboPost, établit le rapport de la force aux autorités haïtiennes, ainsi que les immunités et privilèges de ses membres.

Selon ce document, le personnel n’est pas soumis à une inspection à son arrivée en Haïti, ne paie pas d’impôts sur ses revenus et ses émoluments, et ne s’acquitte pas de taxes locales pour les achats effectués pour un usage officiel.

Ce texte accorde une immunité au personnel de la mission et aux contractuels locaux dans l’exercice de leurs fonctions. Aucun membre de la mission ne peut être emprisonné en Haïti.

Toute poursuite judiciaire pénale sera menée dans le pays d’origine de l’officier mis en cause. Un membre de la mission appréhendé en flagrant délit doit être remis sans délai à la mission pour les suites nécessaires.

Le commandant de la mission peut arrêter les membres de son équipe se rendant coupables d’infractions aux politiques et directives en matière de déontologie et de discipline.

Dans ces cas, il renvoie ces individus auprès des États qui les ont déployés pour les mesures disciplinaires appropriées. Les politiques, procédures et mesures adéquates ne sont pas rendues publiques.

Aucun membre de la mission ne peut être emprisonné en Haïti. Toute poursuite judiciaire pénale sera menée dans le pays d’origine de l’officier mis en cause.

La mission et ses contractuels peuvent importer en franchise de droits et de taxes des matériels, équipements et provisions. Le gouvernement doit établir des installations temporaires de douane à cet effet. Les contractuels non-haïtiens restent exonérés de taxes et d’impôts.

La mission et ses contractuels peuvent mettre en place des magasins de vente pour l’usage de leurs membres. Le personnel local ne peut bénéficier des services de ces institutions.

La mission a aussi la possibilité de mettre en place des stations de radio pour diffuser au public des informations relatives à son mandat.

Aucune opération de la MMAS n’est soumise à un contrôle financier. Et la mission peut réexporter ou céder ses biens, équipements et provisions qui n’ont pas été donnés à l’État haïtien.

Les policiers kényans sur le tarmac de l’aéoroport internationale Toussaint Louverture.

Questionné par AyiboPost sur l’immunité accordée au personnel de la MMAS, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me Carlos Hercule, soutient qu’il s’agit d’un «accord type, presqu’un décalque de la Convention des Nations-Unies [de 1946] sur les privilèges et les immunités diplomatiques».

Le ministre n’a pas communiqué d’informations sur les premières actions des officiers kényans.

«Ce sont les autorités haïtiennes qui vont déterminer où ils vont, quelle sera leur mission et dans quelle mesure ils peuvent fournir une assistance», poursuit Me Hercule. «C’est un contingent disponible qui va répondre aux commandes de la police nationale d’Haïti et des forces armées d’Haïti.»

Une petite foule, dont une vingtaine de journalistes, est venue assister au débarquement des Kenyans aux abords de l’aéroport Toussaint Louverture hier mardi.

Vers 9h20, un appareil blanc estampillé «Kenya Airways» atterrit sur le tarmac de l’aéroport Toussaint Louverture.

Les caméras des journalistes mitraillent l’avion de cliquetis impatients.

Attroupement spectaculaire de journalistes aux abords de l’Aéroport international Toussaint Louverture, en vue de prendre quelques clichés lors de l’atterrissage du premier contingent d’officiers kényans de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), le 25 juin 2024.

«Enfin ! Ils sont là», a déclaré avec soulagement Jacques Sainté, un cireur de bottes, visiblement dans la quarantaine, venu assister à la scène.

Sainté avait fui la violence des gangs avec sa fille en juillet 2022 à Cité-Soleil. Depuis, ils ne sont jamais retournés chez eux.

L’homme au visage émacié, qui dit avoir l’impression de revivre l’Histoire, déclare à AyiboPost avoir été témoin du débarquement de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti en 2004.

Il reste prudent après être ressorti déçu au départ de la MINUSTAH en 2017.

Lire aussi : Retour sur 15 années d’échecs de l’ONU en Haïti

La mission s’est rendue coupable de multiples cas de violations des droits humains et a introduit le choléra dans le pays.

«Moi, je n’ai qu’un seul espoir : le voici», déclare Sainté tournant le dos à l’avion et pointant le doigt vers le ciel.

Dans la rue, à côté de l’aéroport, un mélange d’enthousiasme, d’indifférence et parfois de désappointement se lit sur le visage de la centaine de personnes déplacées pour le débarquement et des passants à la vue de l’avion.

Le premier contingent arrive dans un pays terrassé par les gangs, en quête de répit.

Traversé par le colorisme, Haïti demeure culturellement différent des autres pays où le Kenya a l’habitude d’intervenir.

«Les Kenyans ont la peau noire, mais je crois qu’ils sont tous des Blancs envoyés par les États-Unis. Et, je n’aime pas les Blancs», déclare Violette Exume, mère de 35 ans, qui a laissé sa maison à Delmas pour venir assister au débarquement.

La dame espère un répit avec la mission, mais craint que les mauvaises pratiques des interventions passées ne se répètent.

«Je souhaite pouvoir vivre tranquille sans le souci de me faire kidnapper», a-t-elle dit. «Ce n’est pas possible de continuer ainsi.»

Des agents de la Police nationale d’Haïti (PNH) assurent la circulation alors que des hauts cadres du gouvernement arrivent à l’Aéroport international Toussaint Louverture, le 25 juin 2024.

Le 29 février dernier, les gangs ont lancé un violent assaut contre plusieurs institutions du pays.

Ils ont causé les évasions les plus importantes de la dernière décennie dans les deux plus grandes prisons de Port-au-Prince, incendié et pillé maisons et magasins, et mené les déplacements internes à plus d’un demi-million.

Le premier ministre d’alors, Ariel Henry, avait dû donner sa démission dans une lettre signée à Los Angeles le 24 mars 2024 après avoir été lâché par ses partenaires internationaux.

Les pourparlers entre différents acteurs politiques, initiés en 2023 sous l’égide de la Communauté caribéenne, ont abouti à la mise en place d’un conseil présidentiel de transition de neuf membres, le 11 mars 2024.

Un nouveau cabinet ministériel dirigé par le Premier ministre, Gary Conille, a pris officiellement les rênes du pays trois mois plus tard.

Dans une vidéo parue le week-end écoulé, l’un des plus puissants chefs de gangs du pays, Jimmy «Barbecue» Cherizier, a lancé un appel au «dialogue» au premier ministre.

En réponse, le chef du gouvernement a demandé aux gangs de déposer les armes et de reconnaître l’autorité de l’État «avant toutes autres dispositions» dans une conférence de presse mardi.

Le Premier ministre Garry Conille en conférence de presse avec des hauts cadres kényans, dont la cheffe de la délégation, Monica Juma, à la Primature, le 25 juin 2024.

«Ce n’est plus un film, a lancé hier un motard aux abords de l’aéroport Toussaint Louverture. Dites à Barbecue qu’on viendra dialoguer avec les armes», a-t-il rajouté.

La cheffe de la délégation kényane, Monica Juma, intervenant lors de la conférence de presse tenue le 25 juin 2024 à la Primature.

Par Widlore Mérancourt, Wethzer Piercin et Jérôme Wendy Norestyl

Image de couverture : Le premier contingent d’officiers kényans de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en Haïti est sur le point d’atterrir sur le tarmac de l’Aéroport international Toussaint Louverture, à Port-au-Prince, le mardi 25 juin 2024.

Les photos sont de Jean Feguens Regala/AyiboPost.


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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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